La distinction que fait la loi entre suicide conscient et suicide inconscient (§1) disparaît
avec la loi du 3 décembre 2001 (§2).
1 – Dichotomie du caractère conscient et inconscient du suicide avant la loi du 3 décembre 2001
L’article L132-7 du code des assurances inséré dans le code des assurances par la loi
du 2 juillet 1998 dispose « l’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne
volontairement et consciemment la mort au cours de la première année du contrat ». Tout
juriste en conclut donc que les caractère volontaire et conscient sont cumulatifs et qu’en
cas d’absence de l’un deux il y aura garantie du suicide au cours de la première année du
contrat d’assurances. Encore faut-il savoir ce que recouvre l’adjectif conscient. Le Petit
Larousse nous indique que la conscience est le sentiment intérieur qui pousse à porter un
jugement de valeur sur ses propres actes, c’est avoir le sens du bien et du mal. Rapporté
au suicide c’est la capacité pour l’individu de considérer ou non cet acte comme contre
nature et de réaliser ce qu’il implique. Toutefois la notion de suicide conscient n’est pas
pour autant facile à déterminer et c’est le commentaire que fait Trasbot sur la loi de 1930
repris par les professeurs Picard et Besson en 1982 qui nous donne la solution. Ainsi « le
suicide conscient est le résultat d’une résolution réfléchie : c’est l’acte commis par un
individu qui jouit de son libre arbitre et qui malgré tout, est en état de comprendre la portée
morale de l’acte que de sang-froid et en pleine raison il va commettre. Inversement,
le suicide inconscient est le résultat d’une impulsion irraisonnée et irrésistible : c’est
l’acte accompli par un être qui n’a plus la pleine possession de ses facultés mentales,
dont la volonté est obnubilée, la force de résistance annihilée, au point qu’il ne saisit pas
la portée morale et les conséquences de son acte. » Conscient et inconscient sont donc
opposés par la compréhension et la maîtrise de l’individu qui voudrait en finir avec ses
jours. Conscient est rattaché au fait intentionnel (14) ce qui justifie sa non garantie alors
qu’inconscient dépasse la seule volonté du sujet et annihile ses forces de résistance. Ce
sont des « impulsions » qui le poussent et l’incitent à l’acte.
Et le professeur Lambert-Faivre de préciser que dans le cas du suicide inconscient « l’assuré
a bien voulu se donner la mort, mais un état morbide tel que l’état dépressif ou la maladie
ou la passion l’a empêché de juger clairement de la portée et des conséquences de
son acte ». La distinction est très difficile à rapporter en pratique et nombre de décisions
ont été rendues sans êtres convaincantes. C’est, disons le clairement, un subterfuge pour
les juges pour refuser la garantie du décès. C’est une distinction totalement artificielle
mais qui a perduré jusqu’en 2001. Pour déterminer et trancher la nature du suicide,
les juges ont souvent assimilé les cas de suicide inconscient avec ceux de pathologies
avérées, influençant l’assuré indépendamment de sa volonté. C’est le cas d’un arrêt
de la cour d’appel de Colmar qui le 20 mars 1970 souligne un « anéantissement de
la volonté, se manifestant par un état de prostration ou l’acte irrésistible d’une force
insurmontable se trahissant par une obsession pathologique ». Par conséquent dans le
cas contraire il s’agit d’un suicide conscient, souvent déduit de traces écrites, supposant
une préméditation et donc, selon les juges, la connaissance et la compréhension des
conséquences d’un tel décès. Ainsi une décision du tribunal de grande instance de la
Seine du 20 juin 1961 relevé par le professeur Beignier. Il en résulte « qu’un suicide ne
peut être qualifié d’inconscient dès lors que la victime a pris le soin d’en indiquer les
motifs, à savoir l’impossibilité de supporter la dégradation progressive de ses facultés
intellectuelles ». Les juges du fond vont relever « un suicide préparé de sang froid
et librement exécuté » (15) et sanctionnent un suicide un peu trop préparé pour ne pas
paraître suspect. Il est regrettable comme nous le verrons par la suite que les juges bien
que compétents dans leur matière jouent aux apprentis psychiatres et déterminent s’il y
a eu conscience ou non.
Comme le résume le professeur Jérôme Kullmann, « tout suicide est soit conscient,
soit inconscient ». La charge de la preuve de ce caractère pèse sur l’assureur. Il y a
cependant un arrêt qui restera dans les mémoires car les faits étaient un peu trop excessifs
pour ne pas être remarqués (16). Un individu avait souscrit 11 contrats d’assurance décès
au bénéficie de son épouse et de ses enfants et pris d’autres dispositions assorties d’un
avantage financier en cas de décès pour un bénéfice de 37 millions de francs. Le souscripteur
avait acquis un fond de commerce de librairie par le biais d’emprunts mais s’était
vite retrouvé en situation financière difficile, puisque mis en état de liquidation judiciaire
sans plus de revenus. La mairie était intervenue par arrêté municipal pour lui enjoindre
d’arrêter des travaux qu’il n’était plus en mesure de financer ni rembourser et son humeur
se dégradant il avait fait l’objet de procès verbal d’outrage à agent de la force publique.
Ce rappel des faits principaux concernant la situation financière du souscripteur qui était
décédé peu après la souscription des polices d’assurance dans un accident de circulation,
une circonstance envisagée précisément dans ces dernières, montre sans ambiguïté la
volonté d’escroquerie manifestée par le souscripteur. Les juges n’ont pu que constater
un suicide conscient au vu de l’état d’esprit manifesté par le souscripteur et l’intérêt
financier de ses proches dont il craignait de ne pouvoir continuer à assurer la prise en
charge. Il devenait trop délicat d’user de ces critères : conscient ou inconscient. D’où la
suppression de cette dichotomie en 2001.
2 – Suppression de la dichotomie du caractère conscient et inconscient du suicide
par la loi du 3 décembre 2001
La loi du 3 décembre 2001 présente un nouvel article L132-7 du code des assurances
qui dispose : « L’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement
la mort au cours de la première année du contrat. » Le législateur s’en tient
au caractère volontaire du suicide, seul critère pour déterminer l’intention du défunt
et enlever au contrat d’assurance son caractère aléatoire. Un auteur semble partagé.(17)
Il associe volonté et conscience et dénie dans ce cas une importance à la suppression
de l’adjectif « conscient ». Mais pas si la conscience s’assimile à un libre arbitre. Et
de rappeler que c’est en principe pour « simplifier la tâche de l’assureur et éviter des
investigations déplaisantes pour les familles » que la suppression a été proposée lors des
travaux préparatoires à la loi du 3 décembre 2001. Et de souligner qu’en pratique l’effet
semble manqué car le juge doit toujours se livrer à une interprétation du comportement
du défunt avec la recherche toujours exigée du caractère volontaire.
Actuellement cela revient à exclure tout suicide de la garantie du décès pendant la
première année de la souscription du contrat, du moins officiellement mais les juges
pourront comme c’est le cas avec les accidents de circulation ambigus leur refuser la
qualification de suicide et se calquer davantage sur l’attitude du législateur. Il convient
maintenant de s’interroger sur l’assimilation du suicide à une faute intentionnelle.
14. J. KULLMANN (dir.), op. cit.
15. CA Paris, 30 juin 1942
16. CA Paris, 7 décembre 1999
17. J. BIGOT (dir.), Ph. BAILLOT, J. KULLMANN et L. MAYAUX, Traité de Droit des assurances. Les
assurances de personnes, tome 4, LGDJ, 2007