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Section 2 : Conséquence : la pertinence de la requalification

Considérer que les qualifications d’assurance vie et de libéralité sont exclusives l’une
de l’autre a pour conséquence d’établir que la requalification d’un contrat d’assurance vie en
libéralité est pertinente. Cette requalification est à l’heure actuelle, la tendance de la
jurisprudence. En effet, la question du cumul ou de l’exclusion des qualifications de contrat
d’assurance vie ou de libéralité influe sur la considération de la pertinence ou non d’une
requalification de l’opération. Les auteurs qui considèrent que ces deux qualifications sont
cumulatives l’une de l’autre, pensent que ce terme de « requalification » n’est pas adapté.

Il faut, selon eux, parler simplement de « qualification » de l’opération. En effet, il n’y a pas lieu
de requalifier car l’opération est à la fois une assurance vie et une libéralité/donation.

Contrairement à ces auteurs, nous considérons que la requalification d’un contrat
d’assurance en libéralité et plus précisément en donation indirecte est pertinente car les
qualifications d’assurance vie et de libéralité sont, selon nous, exclusives l’une de l’autre. En
effet, un contrat d’assurance vie souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire qui
l’accepte, avec un dénouement prévu en cas de décès de l’assuré, peut dans certains cas être
requalifié de donation indirecte. Une qualification de donation indirecte est admise lorsque les
conditions de l’article 894 du Code civil sont remplies mais également lorsque cette opération
est dénuée de tout aléa dont la présence est nécessaire à la qualification d’une opération de
contrat d’assurance.

Lorsqu’un contrat d’assurance vie remplit les conditions de qualification d’une
opération en donation indirecte posées par l’article 894 du Code civil, nous considérons que
ces deux qualifications ne peuvent pas s’appliquer de manière cumulative et qu’il faut faire un
choix entre ces deux qualifications. Dans cette situation, nous considérons qu’il y a lieu à une
substitution de qualification, la qualification de libéralité remplaçant celle d’assurance vie.

En effet, nous pensons qu’un contrat d’assurance vie n’a pas vocation à être souscrit dans le but
uniquement de consentir une donation à un tiers et que lorsque tel est le cas, la qualification
d’assurance vie n’a plus lieu d’être appliqué. Par ailleurs, lorsque l’aléa fait défaut, la
requalification de l’opération est justifiée car l’aléa dans la survenance du risque assuré est
nécessaire à l’existence de tout contrat d’assurance vie.

La validité de tous les contrats d’assurance est soumise à la présence d’un aléa. En ce
sens, le Code civil dispose, en ce qui concerne les contrats d’assurance de chose, à l’article
L121-15 du Code des assurances, que « L’assurance est nulle si, au moment du contrat, la
chose a déjà périe ou ne peut plus être exposée aux risques ». Les assureurs n’acceptent de
couvrir un risque qu’à partir du moment où ce risque est aléatoire. Si le souscripteur d’un
contrat sait que le risque qu’il souhaite assurer va se réaliser de manière certaine, les assureurs
refuseront catégoriquement d’assurer cette personne. Dans le cadre des assurances vie, la
validité des contrats est également soumise à la présence d’un aléa. La date de la survenance
du risque ne doit pas être connue du souscripteur et/ou de l’assuré de manière certaine.

Or, le risque couvert par un contrat d’assurance vie est spécifique car ce contrat couvre un risque qui
dépend, qui est lié aux aléas de la vie humaine. En effet, ces contrats couvrent soit le risque de
survie du souscripteur/assuré soit son risque de décéder. Le risque couvert par ces contrats et
plus spécialement le risque de mort est spécifique en ce qu’il se réalisera obligatoirement à un
moment donné. Mais, bien que ce risque se réalisera de manière certaine dans le futur, les
assureurs acceptent de couvrir un tel risque dans certaines conditions. Ils acceptent de couvrir
un tel risque lorsque le souscripteur/assuré n’a pas d’indice quant à la date de survenance de
sa mort.

En effet, les assureurs considèrent que le risque de mort demeure aléatoire et
acceptent de le couvrir à partir du moment où le souscripteur, lors de la souscription de ce
contrat, n’est pas soumis à un risque de mort prématuré. En d’autres termes, les assureurs
acceptent de couvrir le risque de mort à partir du moment où le souscripteur/assuré ne se sait
pas atteint d’une maladie grave qui entrainera son décès. En effet, les contrats d’assurance vie,
au même titre que les contrats d’assurance de chose ne sont valables que lorsqu’ils dépendent
d’un aléa c’est-à-dire lorsque le risque qu’ils couvrent et qu’ils garantissent demeure aléatoire.
Tel est le cas lorsque la date de la mort de l’assuré demeure incertaine.

Malgré cette exigence d’un risque aléatoire, si de tels contrats sont quand même
souscrits, leur nullité pour défaut d’aléa pourra être prononcée. Les contrats d’assurance vie
risquent d’être déclarés nuls pour défaut d’aléa lorsqu’ils ont été souscrits in extremis, c’est-àdire
très peu de temps avant la mort du souscripteur/assuré. On dit alors qu’ils ont été
souscrits in articulo mortis. Plus précisément, un contrat d’assurance vie est souscrit in
articulo mortis lorsque le souscripteur/assuré, se sachant condamné à court ou moyen terme à
cause d’une maladie dont il se sait atteint, souscrit un contrat d’assurance vie en faveur d’une
personne, le tiers bénéficiaire. Dans cette circonstance, le contrat d’assurance vie n’est plus
aléatoire.

En effet, en ayant lieu quelques temps, quelques jours ou quelque temps avant la
mort de l’assuré, la faculté de rachat du souscripteur est rendue théorique et son exercice
illusoire de sorte que le contrat ne peut plus être considéré comme aléatoire. Par l’intermédiaire
de la souscription de ce contrat, le souscripteur/assuré dispose d’une partie ou
de la totalité de son patrimoine au profit d’un tiers bénéficiaire. Il en est de même pour la
désignation in articulo mortis ou la modification de la désignation du bénéficiaire in articulo
mortis. Lorsque le souscripteur désigne ou modifie la désignation du bénéficiaire quelques
jours avant son décès alors qu’il se sait condamné, toute notion d’aléa disparait.

Dans ces cas, les contrats d’assurance vie sont alors entachés de la nullité pour défaut d’aléa car ces
opérations ne constituent plus des contrats d’assurance permettant de garantir un risque
aléatoire mais ce sont réellement des opérations dont l’objectif est uniquement de transmettre
une partie de son patrimoine dans des conditions fiscales préférentielles(70). Cependant, ce n’est
qu’à défaut d’action en nullité du contrat pour défaut d’aléa intentée avec succès que cette
disposition constituant une donation indirecte ne pourra être requalifiée en tant que telle.

La requalification d’un contrat d’assurance vie est admise lorsque les critères de
l’article 894 du Code civil définissant une donation sont remplis. Récemment, l’arrêt du 21
décembre 2007, a disposé que « Un contrat d’assurance vie peut être requalifié en donation
indirecte si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté
du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ».

Depuis cet arrêt, la Cour de Cassation exige, pour qu’un contrat d’assurance vie soit requalifié
en donation indirecte, que les circonstances de souscription de ce contrat traduisent la volonté du
souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable. C’est donc une partie des critères de l’article 894
du Code civil qui est ici reprise. En effet, selon cet article, pour qu’un acte soit qualifié de donation, il
faut qu’il traduise la volonté du disposant de se dépouiller actuellement et irrévocable, au
profit d’un tiers bénéficiaire, qui doit accepter cette disposition faite à son profit. Cet arrêt de
la Cour de Cassation insiste sur le caractère irrévocable de la donation. Selon cet arrêt, dès
lors que la faculté de rachat du souscripteur/assuré est devenue illusoire en raison du
rapprochement dans le temps de la souscription du contrat (ou de désignation bénéficiaire) et
du décès du souscripteur/assuré, l’intention libérale du disposant est devenue irrévocable.

Dans ces conditions, l’opération doit être requalifiée en donation indirecte. Cependant, il est à
noter que bien que l’arrêt se fonde sur l’importance que la disposition du souscripteur soit
devenue irrévocable, il ne conditionne pas ce caractère irrévocable à l’acceptation du
bénéficiaire. En l’espèce, la Cour de Cassation admis la requalification du contrat
d’assurance vie en donation indirecte car les circonstances traduisent la volonté du
souscripteur de se dépouiller irrévocablement alors même que le bénéficiaire n’avait pas
accepté le bénéfice du contrat.

Nous utilisons donc ici en toute conscience le terme de « requalification » de
l’opération et non pas simplement le terme de « qualification » car, selon nous, comme
précédemment énoncé, ces opérations sont exclusives l’une de l’autre. En effet, à l’origine,
l’opération en question a été souscrite en tant que contrat d’assurance vie. Mais, en raison des
circonstances dans lesquelles la souscription a eu lieu, une telle qualification n’est plus
adaptée et doit être remplacée par la qualification de donation indirecte car l’objectif qui se
dégage de la souscription de ce contrat est un objectif de transmission patrimoniale. Nous
considérons donc qu’il y a une véritable substitution de qualification.

Selon nous, l’obstacle à un cumul de ces qualifications semble être pratico-pratique et
résider dans le fait que ces deux qualifications qui pourraient, en théorie, être appliquées à un
seul et même acte entraînent des régimes juridiques tellement différents qu’il serait
impossible, en pratique, de les appliquer de manière cumulative. La pratique nous conduit
donc à opérer un choix entre ces régimes et implicitement entre ces deux qualifications.

70 Cf infra.

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