Afin de débattre sur la question de l’assurabilité de la faute inexcusable, rappelons qu’en 1946 la loi faisait « interdiction pour l’employeur de se garantir par une assurance contre les conséquences d’une faute inexcusable. L’auteur de la faute inexcusable en est responsable sur son patrimoine personnel » (article 65 alinéa 2, loi du 30 octobre 1946). Ce n’est que trente ans plus tard, que cette interdiction a été levée, mais uniquement pour assurer la faute des substitués dans la direction de l’entreprise (loi 6 décembre 1976). Enfin, la loi du 27 janvier 1987 a permis à l’employeur de s’assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable, possibilité que l’on trouve désormais à l’article L452-4 Code de sécurité sociale.
Pour les premières réclamations qui ont suivies la loi de 1987, malgré qu’elle ne soit pas rétroactive, il y eu des conflits dans le temps quant à son application. C’est dans un arrêt du 14 juin 2006 que Cour de cassation s’est prononcé sur la première fois sur l’application des garanties souscrites avant la loi(88). Officiellement, l’assurance de la faute inexcusable était clairement interdite, mais officieusement elle était pratique courante pour les assureurs.
Dans cet arrêt, plusieurs salariés souhaitaient voir reconnaitre la faute inexcusable de leur employeur, qui s’était assuré par plusieurs contrats successifs, dont l’un souscrit en 1983, donc avant la loi de 1987, et qui prenait fin en 1992 (après la loi). C’est le contrat, sous l’empire duquel le fait dommageable intervient, qui sera amené à jouer, c’est pourquoi il était nécessaire de dégager le fait générateur. La jurisprudence a donc retenu l’exposition aux poussières d’amiante qui devait avoir lieu avant l’entrée en vigueur de la loi de 1987, ou la manifestation du dommage, c’est-à-dire la première consultation médicale de la maladie professionnelle, devant avoir lieu après la loi de 1987. Le problème qui s’est posé est que, souvent, l’exposition aux poussières d’amiante avait cessé avant l’entrée en vigueur de la loi de 1987 ou que la maladie avait été constatée médicalement avant la loi. La question essentielle, aux réponses divergentes, est de savoir si la faute commise avant l’entrée en vigueur de la loi est-elle assurable ? On l’a déjà dit, la loi de 1987, à défaut de dispositions transitoires, n’est pas rétroactive. A première vue, nous pouvons donc dire que les fautes commises antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi sont donc inassurables.
Par la suite, est apparue la théorie des risques composites pour les sinistres liés à l’amiante, s’agissant de sinistres qui s’étendent dans le temps avec une exposition, une constatation médicale, une réclamation et l’établissement de la responsabilité. Tant que tous ses éléments ne sont pas réalisés il subsiste un aléa judiciaire. Mais cette solution n’est valable que pour les contrats souscrits avant la loi du 1er août 2003 qui impose un passé inconnu.
La cour d’appel dans cette espèce, avait exactement déduit l’existence d’un aléa, le risque assuré n’étant pas la maladie elle-même, mais la mise en oeuvre de la responsabilité de l’entreprise, et que la condamnation de l’employeur n’était pas inéluctable car elle supposait que les victimes engagent une action avant l’expiration du délai de prescription biennale et parviennent à prouver la faute inexcusable de l’employeur, c’est-à-dire qu’il avait conscience du danger auquel ils étaient exposés et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour les en préserver.
Cependant, la loi de 1987, créatrice de droits nouveaux pour l’employeur pouvant désormais s’assurer contre les conséquences de sa propre faute inexcusable, ne prévoyant aucune disposition transitoire ne pouvait être rétroactive et s’appliquer à des fautes inexcusables antérieures à l’entrée en vigueur de cette loi. Ainsi, l’employeur assuré ne peut rechercher la garantie de son assureur de responsabilité pour tous les salariés dont l’exposition aux poussières d’amiante a pris fin avant l’entrée en vigueur de la loi, ou dont la première constatation médicale de la maladie professionnelle a eu lieu avant cette date, ces deux événements étant de nature à révéler l’existence d’une faute inexcusable, inassurable à cette époque.
Revirement de jurisprudence de la deuxième chambre civile en 2009, pour des faits similaires, la responsabilité de l’employeur pour des fautes inexcusables survenues entre 1946 et 1987 était-elle assurable ? Cet arrêt de 2009, contraire à la position précédente, admet la rétroactivité de la loi de 1987 et la possibilité d’un aménagement conventionnelle entre les parties. La Cour de cassation utilise le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle aux situations contractuelles en cours pour considérer que la loi de 1987 est applicable.
En l’occurrence, il s’agissait d’un premier contrat d’assurance de responsabilité de l’employeur souscrit en 1993 et un second souscrit en 2001, bien après l’entrée en vigueur de la loi de 1987, la responsabilité de l’employeur pour faute excusable était donc garantie. Cependant, il était stipulé dans le contrat une clause de reprise du passé inconnu couvrant toutes les réclamations, quelle que soit la date de commission du fait générateur, même si elle est antérieure à la souscription du contrat. On est donc certain que le fait générateur survenu après la date d’entrée en vigueur de la loi de 1987 est couvert, mais qu’en était-il d’une faute inexcusable survenue avant cette date? La cour d’appel a relevé qu’ « il apparaît ainsi que les parties, autorisées par la loi du 27 janvier 1987, d’application immédiate, sont convenues d’une garantie des fautes inexcusables de l’assuré dès lors qu’il était l’objet d’une réclamation pendant la période de validité du contrat, et ce, sans exclure les faits dommageables survenus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi ».
De cette manière, si une faute inexcusable était survenue avant la souscription du contrat, même commise pendant la période de prohibition, et si la réclamation était survenue pendant la période de validité du contrat, la responsabilité de l’employeur était garantie. Pour paraphraser Monsieur Jérôme KULLMANN, « Rendre contractuellement licite ce qui était légalement illicite : les assureurs y avaient pensé, la Cour de cassation l’a fait »(89).
Cependant, pour complexifier davantage le sujet, la deuxième chambre civile, dans un arrêt en date du 14 juin 2012, revient sur sa position antérieure et abandonne la jurisprudence issue de l’arrêt de 2009. Elle considère que les fautes inexcusables antérieures à la loi de 1987 ne sont pas assurables, même pour les contrats passés postérieurement à la loi de 1987 assortis d’une clause de reprise du passé. Le contrat prévoyait que « la garantie est acquise pour toute mise en cause ou réclamation formulée entre la date d’effet et la date d’expiration, quelles que soient les dates du fait générateur et du dommage, sous réserve qu’ils n’ont pas été connus de l’assuré lors de la souscription du contrat comme étant susceptibles de mettre en jeu les garanties ».
Cependant, l’exposition des salariés aux poussières d’amiante avait pris fin avant l’entrée en vigueur de la loi de 1987 ou dont la première constatation médicale de la maladie professionnelle avait eu lieu avant cette date, ce qui révèle l’existence d’une faute inexcusable qui était connue de l’assuré et inassurable à cette époque(90). On assiste alors à un retour de la deuxième chambre civile vers la position qu’elle avait retenue en 2006. La faute inexcusable survenue avant l’entrée en vigueur de la loi de 1987 est inassurable et celle survenue après cette date est assurable.
L’assurabilité des fautes inexcusables de l’employeur survenues postérieurement à la loi du 27 janvier 1987, ne faisant aucun doute, nous pouvons désormais nous attarder sur les conséquences financières de la responsabilité de l’employeur.
88 Cass. civ. 2e, 14 juin 2006, n°05-13090, publié au bulletin ; note J.KULLMANN, RGDA, n°2006-03, p.711.
89 Cass. civ. 2e, 19 mars 2009 n°07-19506, publié au bulletin ; Etude H. GROUTEL, RCA, mai 2009, p.7 ; note J.KULLMANN, RGDA, n°2009-02, p.585.
90 Cass. civ. 2e, 14 juin 2012, n°11-16958, non publié au bulletin ; note L.MAYAUX, RGDA, 1er octobre 2012, n°2012-04, p.985.