L’assurabilité des fautes de l’assuré a fait l’objet de deux lois majeures en Belgique. La
première date du 11 juin 1874, tandis que la seconde, plus récente, remonte au 26 juin
1992. Dans les deux cas, il était prévu que l’assureur pouvait refuser de prendre en
charge les sinistres intentionnellement causés par l’assuré. Cette prohibition est fondée
sur les mêmes principes que ceux du droit français : il serait contraire au caractère
aléatoire du contrat d’assurance d’autoriser la prise en charge de la faute intentionnelle.
La jurisprudence considère par ailleurs que les dispositions relatives à cette faute sont
d’ordre public(63 ); il n’est donc pas possible d’y déroger. Néanmoins, le contenu de cette
faute a fait l’objet d’une évolution en jurisprudence.
§ 1 – Aggravation du risque garanti
L’article 16 de la loi du 11 juin 1874 visait la « faute grave » de l’assuré excluant la
garantie de l’assureur mais cette notion a été abandonnée au profit de la « faute
intentionnelle » d’inspiration française, par l’article 8 alinéa 1 de la loi du 25 juin 1992.
Néanmoins ces dispositions ne contenaient pas de précision quant au contenu de cette
faute. Comme en France, la jurisprudence est intervenue pour créer de toutes pièces un
régime juridique répondant à cette notion.
Ainsi, la jurisprudence belge a d’abord assimilé cette faute intentionnelle au comportement
de l’assuré « qui aggrave le risque garanti ». Le premier arrêt à avoir énoncé cette solution
remonte à 1968(64) : « pour qu’il y ait, au sens de l’article 16 de la loi du 11 juin 1874, faute
grave de l’assuré exonérant l’assureur de la charge du dommage, il suffit que cette faute
soit assimilable à un fait intentionnel, c’est-à-dire que l’assuré ait eu ou ait dû avoir
conscience que son comportement entraînait une aggravation du risque garanti ». Cette
solution a été rappelée à de multiples reprises jusqu’en 2000(65). Ainsi, il a été jugé que le
fait de se trouver sous l’empire d’un état alcoolique pouvait constituer une faute exclusive
de la garantie d’assurance, à condition que l’assuré ait eu ou ait dû avoir conscience que
sa faute entraînerait une aggravation du risque(66). La Cour de cassation belge a par
ailleurs précisé que le comportement de l’assuré devait faire l’objet d’une appréciation in
concreto, et non par comparaison avec le comportement d’un individu normalement
diligent et prudent placé dans la même situation.
Cette situation semblait néanmoins excessive eu égard aux fondements de l’inassurabilité
de la faute intentionnelle : le fait d’aggraver un risque ne fait nullement chuter l’aléa du
contrat d’assurance mais augmente la probabilité qu’un sinistre survienne. La Cour de
cassation a donc modifié sa jurisprudence en 2000 afin de restreindre le champ de la
notion de faute intentionnelle.
§ 2 – Dommage raisonnablement prévisible
La Cour de cassation a opéré un revirement remarque le 5 décembre 2000(67). Dans cette
espèce, une manifestation avait été organisée par une association protectrice des
animaux contre le transport de bovins et moutons vivants entre le Royaume-Uni et la
Belgique. Or, un groupe de manifestants entreprit de forcer les barrières de sécurité afin
d’atteindre le bateau en partance. L’un d’eux poussa un gendarme au sol et le blessa
copieusement ; celui-ci se constitua partie civile pour obtenir réparation de son préjudice
corporel et s’adressa à l’assureur de responsabilité du prévenu. Néanmoins celui-ci
invoqua la faute intentionnelle au sens de l’article 8 de la loi du 25 juin 1992. Les juges
du fond le condamnèrent à exécuter la prestation d’assurance mais un pourvoi fut
formé : les haut-juges ont cassé l’arrêt d’appel au motif qu’« un sinistre est causé
volontairement dès lors que l’assuré a agi ou s’est abstenu d’agir sciemment et
volontairement, et que son comportement à risque a causé un dommage
raisonnablement prévisible à une tierce personne. La circonstance que l’auteur n’ait pas
souhaité ce dommage, sa nature ou son ampleur n’y change rien, il suffit que le
dommage ait été occasionné ». En se fondant sur cette nouvelle définition de la faute
intentionnelle, les juges de la Cour de cassation ont retenu la faute intentionnelle de
l’assuré, exclusive de garantie d’assurance. Depuis ce revirement, la jurisprudence
relative à la faute intentionnelle est fixée en droit des assurances belge, cette solution
ayant été confirmée en 2008.
La conception belge de la faute intentionnelle est infiniment plus souple qu’en droit
français : il suffit que le dommage ait été « raisonnablement prévisible », c’est-à-dire que
l’assuré, en commettant un geste conscient et volontaire, aurait dû être en mesure de
l’anticiper. Cette solution a pour vertu d’éluder plusieurs problèmes théoriques. Tout
d’abord, il n’est pas nécessaire de démontrer l’intention de nuire de l’assuré envers la
victime en assurance de responsabilité, ou envers l’assureur en assurance de chose ou
de personne. Ensuite, il n’y a plus à distinguer entre le dommage anticipé par l’assuré
au moment de la faute et le dommage effectivement survenu, fossé qui se rencontre
souvent en matière de suicide et d’incendie.
En revanche, les autres conditions de la faute intentionnelle sont assez proches du droit
français puisque la Cour considère que le trouble mental exclut le caractère conscient de
la faute et par la même la faute intentionnelle(68). De même pour l’appréciation in concreto
de la conscience que l’assuré pouvait avoir quant à la survenance du dommage(69).
Cette première partie avait pour objectif de définir le contenu de la faute intentionnelle et il
en ressort que celle-ci fait l’objet d’une conception subjective qui n’a pas toujours été celle
de la jurisprudence, notamment avant 1974. Néanmoins, cette conception pose problème,
surtout en matière contractuelle, d’où la question d’une éventuelle consécration de la faute
intentionnelle objective.
63 Cass. 2 juin 1967, Num. Justel. F-19670602-1.
64 Cass. 7 nov. 1968, F-19681107-1, Arresten van het van cassatie 1969(P.269), Pasicrisie belge 1969 (P.
255).
65 Cass. 19 janv. 1973, F-19730119-3, Pasicrisie belge 1973, I, p. 491 ; Arresten van het hof van cassatie
1972 (P. 513-515) ; Cass. 16 janv. 1975, F-19750116-1 ; Cass. 24 déc. 1976, F-19761224-3 ; Cass. 18 mars
1982, F-19820318-2.
66 Cass. 6 oct. 1972, F-19820318-2, Revue critique de jurisprudence belge, 1971, p. 15 à 75, note S.
Fredericq. Cass. 21 nov. 1985, F-19851121-17, Revue générale des assurances et des responsabilités,
1987, p. 11215 ; Pasicrisie belge 1986, I, p. 349.
67 Cass. 5 déc. 2000, F-20001205-5, Arresten van het hof van cassatie 2000 (670), Pasicrisie belge 2000 (I/
670). Confirmé par Cass. 12 fév. 2008, F-20080212-6.
68 Cass. 12 fév. 2008, F-20080212-6.
69 Cass. 21 nov. 1985, F-19851121-17, Revue générale des assurances et des responsabilités, 1987, p.
11215 ; Pasicrisie belge 1986, I, p. 349.
Retour au menu : ÉVOLUTION DE LA FAUTE INTENTIONNELLE EN DROIT DES ASSURANCES