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Section 2 : Implications en matière de politique de réduction de la pauvreté

Cette section constitue un changement d’optique pour passer des résultats de recherche à des préoccupations opérationnelles et de politique. Les propositions que nous formulerons, constituent des actions possibles dont la mise en œuvre pourrait contribuer à faire reculer la pauvreté au Bénin.

Les mesures proposées sont structurées autour de deux axes : les actions économiques et les actions sociales.

Paragraphe 1 : Les actions économiques

S’il est vrai que la croissance économique représente un facteur favorable à la réduction de la pauvreté, comme l’a encore confirmé les résultats de cette étude, il est néanmoins établi par la Banque Mondiale que la réalisation d’un taux de progression du PIB assez élevé, de 7,0% à 8,0% sur le long terme, est nécessaire pour améliorer, de façon notable, les conditions de vie des populations et faire reculer la pauvreté dans les pays en développement, en particulier au Bénin. Cependant, depuis 2002, le Bénin connaît des taux de croissance se situant en dessous de 5,0%.

Dans cette perspective, les actions économiques suggérées, ici, sont principalement orientées dans le sens de la promotion d’une croissance économique forte.

En effet, face à l’essoufflement des moteurs de la croissance économique au Bénin, souligné plus haut, la promotion d’autres sources de croissance s’impose. Dans ce cadre, l’amélioration de la productivité du secteur primaire constitue un axe fondamental sur lequel l’action publique devrait être centrée dans la recherche de leviers pour accélérer la croissance économique. Cet impératif se justifie non seulement par la proportion de la population concernée, mais aussi, parce que, ce secteur demeure le soubassement approprié pour développer un tissu de petites et moyennes entreprises industrielles de transformation des produits locaux, créer des emplois stables et promouvoir le progrès technique. Les autorités devraient également déployer plus d’efforts en faveur d’un développement rural accéléré, notamment par une forte mobilisation de tous les acteurs concernés (élus locaux, populations à la base) autour de l’objectif d’une production de masse pour garantir l’autosuffisance alimentaire et accroître les exportations.

Parallèlement aux efforts de diversification de l’offre dans le secteur agricole, une attention soutenue devrait être accordée à l’élargissement et au renforcement du secteur secondaire en vue d’accroître sa contribution à la réalisation d’une croissance économique plus forte et moins vulnérable aux chocs exogènes. Il importe donc que ce secteur joue un rôle moteur dans l’accroissement des richesses et la création des emplois nécessaires pour assurer l’amélioration des conditions de vie des populations. A cet effet, le renforcement de l’ensemble des secteurs économiques, l’amélioration de l’environnement juridique des affaires et les mesures visant le développement de l’initiative privée (incitation fiscale par exemple) devraient constituer les axes prioritaires d’une politique visant à attirer les investisseurs et à promouvoir un tissu de PME/PMI capables de contribuer à la transformation des produits locaux. Cette évolution renforcerait la valeur ajoutée des activités productives et la diversification de la base des exportations.

Par ailleurs, pour relever les défis d’une croissance durable, les actions de l’Etat devraient être centrées sur un certain nombre de domaines prioritaires, au premier rang desquels figurent le renforcement des capacités humaines et des infrastructures de soutien à la production ainsi que l’amélioration du climat des affaires.

Plus spécifiquement, la rénovation et le développement des infrastructures de base, singulièrement dans les secteurs des télécommunications, de l’énergie, de l’eau et des transports doivent être placés au cœur des priorités, en vue de réduire les coûts de production et de transaction. En effet, la réalisation d’une croissance forte, prenant appui sur une réelle diversification de la production et des exportations, dépendra des efforts déployés dans les secteurs clés des infrastructures de base et de la formation professionnelle.

En outre, pour améliorer l’environnement des affaires et promouvoir les investissements, les autorités devraient renforcer, d’une part, la bonne gouvernance, à travers une lutte active contre la corruption, et, d’autre part, le système judiciaire. Aussi, afin de conduire à bien les programmes d’actions requis, les autorités devront-ils maintenir de bonnes relations avec l’ensemble des partenaires au développement, en vue d’une mobilisation plus importante des ressources nécessaires pour accroître les investissements publics comme privés.

Toutes ces mesures économiques proposées pour la réalisation d’une croissance forte, doivent être menées dans une dynamique de renforcement de la qualité des politiques macroéconomiques. Cette nécessité implique la poursuite de la consolidation de la situation des finances publiques, amorcée au début des années 1990, et la maîtrise de l’inflation.

Par ailleurs, certaines de ces actions promouvant le jeu du marché – dans la mesure où elles contribuent au relèvement des taux de croissance économique -paraissent aider à faire reculer la pauvreté. Cette influence positive est toutefois tempérée par le fait que l’effet de ces mesures sur la distribution des revenus peut être un accroissement des inégalités. De plus, considérer l’ensemble des pauvres comme un groupe homogène, masque le fait que les réformes macroéconomiques peuvent, dans le court terme, avoir des coûts importants pour les pauvres. C’est dire que, en matière de lutte contre la pauvreté, le modèle de croissance est tout aussi important que le taux de croissance. Dans ces conditions, des actions sociales doivent être associées aux mesures d’amélioration des politiques macroéconomiques en vue de combattre efficacement la pauvreté.

Paragraphe 2 : Les actions sociales

Tout individu est vulnérable. Mais, les pauvres sont davantage affectés par cette vulnérabilité, car une fluctuation à la baisse de leur revenu peut les jeter dans l’indigence. C’est pourquoi, les pouvoirs publics doivent mettre en place des mesures sociales visant à protéger les pauvres, et surtout, à les sortir progressivement de leur situation de pauvreté absolue ou relative.

Les interventions visant à protéger les plus démunis devraient avoir pour objectif principal, d’aider ces derniers à atteindre et à maintenir un niveau suffisant de consommation et un accès plus accru aux services sociaux de base. A cet effet, les pouvoirs publics devraient encourager les mesures de politique visant à stabiliser les prix des biens de première nécessité qui composent le panier du seuil de pauvreté. Dans ce cadre, il faudrait mettre en place des mécanismes adaptés pour limiter les effets inflationnistes, facteur d’aggravation de la “précarité alimentaire” des pauvres, grâce à une bonne maîtrise et à une gestion efficace des agrégats monétaires, d’une part, et à un meilleur contrôle des situations de pénurie artificielle engendrant des comportements spéculatifs, d’autre part.

Par ailleurs, l’Etat devrait s’efforcer à mieux centrer les dépenses publiques sur les pauvres, en développant une offre de services sociaux essentiels et de qualité. En effet, il s’agirait de fournir prioritairement des infrastructures et du savoir aux zones de pauvreté, rurales et urbaines. Les autorités devraient donc poursuivre et accélérer leurs efforts de mise en place des infrastructures sociales durables, telles que les écoles et les centres sanitaires dans les zones éloignées et défavorisées. Il importe également de poursuivre la construction de pistes rurales, tout en veillant à un meilleur entretien de celles existantes, en vue de permettre, aux pauvres paysans des villages, de transporter à moindre coût et plus rapidement la production agricole, leur source principale de revenus, vers les lieux de vente. Ce qui devrait leur éviter de subir la perte de production due au mauvais état des voies d’accès aux marchés. Aussi, la construction de centres de stockage locaux devrait-elle permettre d’éviter une détérioration des produits ; toutes choses nécessaires à la sécurité alimentaire que l’Etat devra, à tout prix, sauvegarder.

Outre la construction et l’entretien des infrastructures sociales, l’Etat béninois devrait élaborer des systèmes nationaux de gestion des risques sociaux.

A cet effet, il pourrait développer des systèmes qui fournissent parallèlement une assurance aux “non-pauvres” et une aide sociale aux pauvres (comme en Chili) ; une assurance maladie offrant une couverture en cas de maladie catastrophique susceptible de réduire à néant les actifs familiaux (comme au Costa Rica) ; et l’assurance chômage et les aides qui n’encouragent pas la marginalisation.

Toutefois, pour que les programmes de ce type portent tous leurs fruits, il importe que le pays soit à même de les gérer efficacement.

Les autorités devraient également promouvoir la parité des sexes, ainsi qu’une décentralisation et un développement communautaire bénéfiques pour tous. En effet, une plus grande égalité entre hommes et femmes est souhaitable non seulement en soi, mais également parce qu’elle se traduit par des avantages économiques et sociaux sur le terrain de la lutte contre la pauvreté. Certes, certains progrès ont été réalisés, dans les domaines de l’éducation et de la santé, par exemple, mais il reste beaucoup à faire. Par exemple, les subventions publiques en faveur de l’éducation des filles devraient être renforcées et mieux gérées sur le terrain pour permettre, entre autres, le renforcement de l’autonomie des femmes et l’amélioration de l’état nutritionnel des enfants.

Quant à la décentralisation, elle devrait rapprocher les prestataires de services sociaux des communautés et des individus défavorisés et donc, théoriquement, permettre aux pauvres d’avoir plus d’influence sur les services auxquels ils ont droit. A cet effet, le gouvernement devra renforcer les capacités locales et transférer les ressources financières nécessaires. Il devra également veiller à ce que les classes privilégiées locales n’accaparent pas les ressources et les services destinés aux plus démunis.

Parallèlement aux efforts de protection des pauvres sous la forme de filets de sécurité sociale, les pouvoirs publics devraient également envisager des actions sur les mécanismes de redistribution des revenus en guise de transfert ou d’innovations fiscales pour réduire considérablement l’inégalité socioéconomique.

Il s’agira prioritairement de maintenir et d’encourager les politiques et les comportements macroéconomiques et microéconomiques tendant à transférer des revenus vers les plus pauvres pour leur permettre de franchir progressivement le seuil supérieur de pauvreté.

En effet, dans la mesure où la redistribution des revenus est devenue un des outils essentiels de la politique sociale, il serait souhaitable que les autorités fassent, des efforts de redistribution des revenus, une principale composante de la lutte contre la pauvreté. Cette nécessité s’impose aujourd’hui dans le cas du Bénin car, lorsque l’on se réfère aux résultats issus des estimations faites dans cette étude, on observe un niveau assez élevé d’inégalité dans la répartition des revenus (41,68%). Il s’agit donc d’une condition sine qua non pour la réduction de la pauvreté monétaire au Bénin.

Cette redistribution peut s’effectuer de deux façons : horizontale et verticale. La redistribution horizontale du revenu, effectuée par le biais du régime de sécurité sociale, devrait être renforcée. Ainsi, les transferts de revenu qui sont instaurés entre actifs et retraités, entre travailleurs en emploi et en chômage, entre bien portants et malades, entre personnes sans enfant et les chargés de famille, devraient être améliorés, en termes de volume, et gérés avec beaucoup plus d’efficacité. Quant à la redistribution verticale, elle consiste en un transfert de ressources et de pouvoir d’achat des catégories supérieures de revenu aux catégories moins aisées, au moyen de diverses techniques d’interventions, tels les impôts, le contrôle des prix, les subventions et la fourniture de biens et services tels que l’éducation, la santé et le logement. Alors même que cette redistribution est essentiellement mise en œuvre par la fiscalité et par la politique des dépenses publiques, l’instauration de pensions minimales reflétant le coût de vie et l’exonération des contributions des travailleurs faiblement rétribués (salaires inférieurs au seuil monétaire de pauvreté) contribueraient à la rendre plus équitable.

En outre, les programmes de microfinancement devraient être poursuivis et développés. A cet effet, il faudrait rendre les montants des prêts et les échéances de remboursement plus flexibles afin que les familles les plus pauvres puissent participer à ces programmes. Ce qui leur permettrait, à court terme, de lisser les fluctuations de la consommation et, à moyen terme, de sortir progressivement de la pauvreté grâce à la création d’activités génératrices de revenus.

Toutes ces mesures économiques et sociales visant à faire reculer la pauvreté au Bénin, suggérées dans le présent mémoire, mettent en exergue le rôle primordial des pouvoirs publics dans cette lutte. Mais, pour un bon aboutissement de ces mesures, il importe que les institutions publiques soient réellement mises au service des pauvres.

En effet, pour que les actions publiques répondent aux besoins des pauvres, il importe de les sélectionner et de les mettre en œuvre en fonction de l’interaction des processus politiques, sociaux et institutionnels au sens large.

L’accès aux services du secteur public est souvent déterminé en grande partie par les institutions publiques et sociales, qui doivent être attentives aux besoins des pauvres et responsables vis-à-vis d’eux. C’est une démarche essentiellement politique, qui implique une étroite collaboration entre les pauvres, les classes moyennes et d’autres composantes de la société. Une collaboration active peut être grandement facilitée, d’une part, par des réformes rendant l’administration publique, les institutions juridiques et les autres prestataires des services publics plus efficaces et plus responsables vis-à-vis des citoyens et, d’autre part, par le renforcement de la participation des pauvres aux processus politiques et aux décisions locales. Des institutions compétentes et attentives sont non seulement bénéfiques pour les pauvres, mais également essentielles dans le processus de croissance en général.

Au fait, toute stratégie de lutte contre la pauvreté passe par un bon fonctionnement des institutions publiques, notamment au bénéfice des pauvres.

C’est le principe implicite, par exemple, de toute stratégie faisant de l’Etat le prestataire des services de santé et d’éducation. C’est dire que, quel que soit le niveau de revenu par habitant, le mode de gestion des affaires publiques peut beaucoup influer sur l’évolution de la pauvreté. On constate, en effet, que la corruption et la mauvaise conduite des affaires de l’Etat affectent directement la vie des pauvres de multiples façons, en ayant, par exemple, des répercussions négatives sur les perspectives de croissance.

Enfin, la “démarginalisation” des pauvres dans leurs rapports avec les institutions publiques devrait constituer un instrument assurant que ces institutions se mettent bien au service des plus défavorisés. Il urge alors que les pauvres s’organisent pour obliger les institutions publiques à répondre de leur gestion devant eux. En effet, des organisations de pauvres plus fortes peuvent exiger la fourniture des services publics et faire en sorte que les décisions gouvernementales répondent aux besoins des plus démunis. Elles peuvent aussi limiter la corruption et l’arbitraire dans l’action des autorités. Par ailleurs, si les pauvres participent davantage au suivi et au contrôle de la prestation des services sociaux au niveau local, ils auront plus de chances de profiter des dépenses publiques.

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