Le mécanisme de l’action de groupe ou class action dans les pays anglo-saxons permet à un ou plusieurs demandeurs de se regrouper pour intenter une action en justice au bénéfice d’un groupe de personnes, présentant des questions de droit et de fait semblables, pouvant ainsi être jugées de la même manière par un seul procès(117).
Avant de pouvoir aboutir, les class action à la française sont passées par plusieurs tentatives infructueuses, projets avortés, nombreux questionnements et débats. Le 11 octobre 2012, le ministre délégué Benoit Hamon relance la possibilité d’introduire l’action de groupe en France. Présentation d’un projet de loi au parlement au printemps 2013, qui a été adopté par le Conseil des ministres le 2 mai 2013. Le texte du projet de loi (voir annexe I) sur la consommation vient d’être voté, le 3 juillet 2013, par les députés après une semaine d’examen.
L’action de groupe a mis du temps à être adoptée en France, alors que ce mécanisme était déjà en vigueur dans six pays européens : l’Allemagne, l’Angleterre et le pays de galles, l’Italie, le Portugal, les Pays Bas et la Suède.
Nous allons analyser ce projet de loi de consommation, en abordant notamment, le champ d’application de l’action de groupe (§1), les étapes de la procédure à suivre pour le consommateur qui souhaite obtenir une indemnisation par le biais de cette action (§2). Nous nous questionnerons également sur le financement de cette nouvelle action de groupe (§3).
§1 : Champ d’application de l’action de groupe
L’action de groupe a pour objet la protection des consommateurs personnes physiques agissant dans un but non professionnel pour la réparation de « dommages sériels ayant pour origine comme l’inexécution ou la mauvaise exécution par un même professionnel de ses obligations vis-à-vis des consommateurs relatives à la vente de biens ou la fourniture de services »(118). L’action de groupe est une réponse aux problèmes des sinistres sériels notamment en ce qui concerne les plafonds de garantie et la répartition des indemnisations des victimes.
En revanche, le champ d’application de l’action de groupe est très restreinte, elle ne concerne que le droit de la concurrence et droit de la consommation, donc les consommateurs uniquement. Le consommateur étant définit comme la personne utilisant ou consommant le produit, agissant à des fins privées, pour satisfaire des besoins personnels. Et elle n’intervient que pour des dommages matériels. Ce qui sous-entend que les actions visant à l’indemnisation des dommages corporels, comme par exemple les affaires du Médiator ou des prothèses PIP, seraient donc exclues. Les atteintes à la santé humaine, qui ont une cause environnementale directe, c’est le cas des victimes de l’amiante, ou une cause environnementale dérivée, tel que le préjudice écologique pur sont également exclues. De plus, les préjudices moraux (atteinte aux intérêts extrapatrimoniaux de la personne, telle que la violation du droit à la vie privée, l’atteinte à l’image) sont également hors champ d’application de l’action de groupe,
Une action de groupe peut être engagée en cas de sinistres successifs causés par une vente de produits ou une prestation de service, telle que l’affaire Apollonia, pouvant être qualifiée de la plus grande escroquerie immobilière en France. Cette affaire se trouve dans les rouages de la justice depuis 2008, suite aux réclamations des 1000 victimes d’un préjudice qui s’élève jusqu’à 1 milliard d’euros. Le dirigeant du groupe Apollonia a été mis en examen en 2011, mais on se doute bien qu’une escroquerie d’une telle ampleur n’a pu avoir lieu qu’avec l’aide de certains complices, dont des notaires et des établissements financiers. On reproche notamment aux banques leur défaut de conseil dont elles étaient tenues envers les investisseurs, de telle sorte que ceux-ci ne pouvaient connaitre la portée réelle de leur engagement. Et bien au-delà de ça, il y a eu violation de la réglementation bancaire : délai légal de rétractation non respecté, documents falsifiés, comptes bancaires créés à l’insu des investissements…
L’objectif du projet de loi relatif aux actions de groupe est d’éviter à tout prix les dérives des procédures américaines (juges complaisants, moins de contrôle des juges que ce qui est prévu en France, existence de dommages et intérêts punitifs, l’indemnisation octroyée dépassant parfois la juste réparation du préjudice).
La class action à tout de même biens des avantages, elle offre un traitement égalitaire de toutes les victimes du groupe et permet aux victimes de mutualiser leurs moyens. En permettant une action collective au lieu de plusieurs actions individuelles, cela évite l’encombrement des tribunaux. Pour cette même raison, il y a une bonne administration de la justice, pas de multiplication des recours et moins de décisions contradictoires. Ce qui entrainera également une moralisation du comportement des professionnels qui auront tout intérêt à améliorer leur rapport avec la clientèle mécontente afin d’éviter une action collective à leur encontre qui entrainerai des couts importants pour l’entreprise responsable.
Dans un avis du 4 décembre 2012, le Conseil National de la Consommation annonce qu’« il est nécessaire de définir un cadre juridique qui empêchera les actions abusives ou infondées contre l’entreprise (…) et de concevoir un dispositif adapté à l’environnement juridique français ». C’est pourquoi l’action de groupe est strictement encadré par le projet de loi : champ d’application limité, action réservée aux associations, juge au centre de la procédure, ceci dans le but notamment d’éviter les dérives des class action américaines.
Une fois le litige entrant dans le champ d’application de l’action de groupe, il convient de déterminer à présent la procédure à suivre pour une « class action » à la française.
§2 : Schéma des class actions à la française
La procédure prévue par le projet de loi de consommation repose sur deux phases, la première consistant notamment à statuer sur la responsabilité du professionnel mis en cause (A), la deuxième phase est celle de la liquidation des préjudices (B).
A) Jugement sur la responsabilité du professionnel (phase 1)
Cette première phase, consistant en cinq étapes, donne au juge un rôle de « chef d’orchestre ». En effet, c’est à lui de vérifier les conditions d’exercices de l’action, c’est-à-dire la qualité pour agir, rappelons que seules l’une des seize associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées ont la possibilité d’agir devant des tribunaux de grande instance spécialisés statuant en formation collégiale pour défendre les intérêts des consommateurs (article L423-1 du Code de consommation).
Ensuite, le juge doit statuer sur la responsabilité du professionnel. Jugement de responsabilité qui fera l’objet, après épuisement des voies de recours, d’une publicité afin d’en assurer la diffusion auprès des consommateurs. Permettant ainsi que les consommateurs lésés par ce professionnel se fassent connaitre.
A cet effet, le juge doit définir le groupe de consommateurs concernés et déterminer les critères de rattachement, par exemple, pourrait être concernés tous les abonnés d’un opérateur. Il fixera ensuite les délais et modalités d’adhésion des consommateurs au groupe afin qu’ils puissent obtenir réparation de leur préjudice.
Par la suite, le juge aura pour mission de déterminer le montant des indemnisations ou les éléments permettant leur évaluation(119).
Interviendra ensuite la deuxième phase donnant lieu à l’indemnisation des consommateurs lésés qui se seront manifestés.
B) Liquidation des préjudices (phase 2)
Le projet de loi de consommation mettant en place cette action de groupe a opté pour le système d’opt in donnant la possibilité aux consommateurs concernés d’entrer dans le groupe. L’opt out, donnant la possibilité de sortir du groupe, n’a pas été prévu pour l’action de groupe en France.
La phase de liquidation consiste à l’indemnisation individuelle des préjudices subis par chaque consommateur. Pour cela, les consommateurs doivent se faire connaitre et soumettre leur demande soit directement auprès du professionnel, soit par l’intermédiaire de l’association, selon la décision du juge.
Pour le cas général de l’article L423-3 du Code de consommation, quel que soit l’option choisie (indemnisation directe par le professionnel ou indemnisation indirecte par l’association) le consommateur devra faire une demande d’indemnisation auprès de ce professionnel ou une demande d’adhésion au groupe (valant mandat donné à l’association aux fins d’indemnisation).
Pour le cas spécifique de l’article L423-5 du Code de consommation lorsque le montant des préjudices individuels sont identiques et que le nombre des consommateurs est connu dès le jugement de responsabilité, une distinction doit être faite entre les deux options possibles. Ainsi, si l’indemnisation se fait par le biais de l’association (option 1), le montant de la condamnation sera versé au profit de l’association qui devra ensuite procéder à la répartition des sommes entre les adhérents du groupe de consommateurs. Les consommateurs devront alors formuler une demande d’indemnisation. Les sommes non réclamées à l’association seront restituées au professionnel. Pour l’option 2, à savoir, l’indemnisation directe par le professionnel, l’adhésion au groupe n’est pas nécessaire. Le juge condamne le professionnel à indemniser directement les consommateurs qui en font la demande. Il n’y a pas de possibilité d’opt in ici. En cas d’inexécution par le professionnel dans le délai fixé, l’association saisit le juge aux fins de fixer les délais et modalités selon lesquels les consommateurs pourront adhérer au groupe et obtenir réparation de leur préjudice.
C’est un décret en Conseil d’Etat qui fixera les critères de choix des modalités d’indemnisation.
C) La question brûlante du financement de ces actions
Les actions collectives vont certainement entrainer des frais de gestion de dossier et frais de procédure importants pour l’association agissant pour le compte des consommateurs victimes. Le projet de loi prévoit que le juge pourra ordonner au professionnel mis en cause, dans le jugement sur sa responsabilité, de verser une provision à l’association concernée.
Mais pourquoi ne pas s’inspirer du modèle Québécois, qui fonctionne particulièrement bien depuis plus de quarante ans. En effet, a été créé un fonds spécialisé pour les recours collectifs permettant d’avancer les frais nécessaires pour le recours. Plus précisément, il s’agit d’un « fonds (le Fonds d’Aide au Recours Collectif)(120) soutenu par des subventions du ministère de la Justice québécois et en partie autofinancé par le remboursement des sommes avancées et par le pourcentage prélevé sur d’éventuels reliquat »(121).
Le plus grand regret dans ce projet de loi est sans aucun doute l’exclusion de son champ d’application des dommages causés à la santé humaine par l’utilisation de certains produits.
117 http://www.senat.fr/lc/lc206/lc2060.html
118 Avis Conseil national de la consommation du 4 décembre 2012, Recueil Dalloz, 10 janvier 2013, n°1.
119 J.P. GRANDJEAN, Gaz. Pal., n°136, 16 mai 2013, p.34.
120 http://www.farc.justice.gouv.qc.ca
121 C.PICHE, Gaz. Pal., 16 mai 2013, n°136, p.11.