Si le domaine d’application de la loi est encadré (§1), la mise en oeuvre de la responsabilité n’en est pas moins facilitée (§2).
§1) Un domaine d’application encadré
Il convient d’apprécier le domaine d’application de la loi par rapport aux personnes visées (A), aux produits (B) et dommages concernés (C).
A) Les personnes visées par la loi
L’article 1386-1 du Code civil dispose que « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ». La loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux transcende donc la distinction traditionnelle entre responsabilité délictuelle et responsabilité contractuelle et n’opère aucune distinction entre les victimes. Ainsi, l’acquéreur des matériaux et produits de construction, tout comme les tiers au contrat de vente desdits matériaux (même s’ils n’utilisent pas ces produits) pourront agir en responsabilité contre le producteur(115).
La notion de producteur appelle de plus amples précisions. Le producteur est défini à l’article 1386-6 alinéa 1 comme « le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante » lorsqu’il agit à titre professionnel(116). Le fabricant de matériaux de construction est alors susceptible de voir sa responsabilité engagée s’il fabrique et vend un produit défectueux. Le fabricant de composant dans le domaine de la construction sera toutefois solidairement responsable avec la personne ayant procédé à l’incorporation.
Certaines personnes sont assimilées au producteur, ce qui rend l’indemnisation des victimes de dommages causés par les produits défectueux plus facile. Il en est ainsi de l’importateur d’un produit dans la Communauté Européenne agissant dans le but de vendre ou de louer ce produit, et de la personne qui appose sur le produit son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif (cette dernière se présente donc comme producteur). Toutefois, une restriction est opérée à l’article 1386-6 du Code civil. En effet, les personnes visées aux articles 1792 à 1792-6 du Code civil ne sont quant à elles pas assimilées au producteur : il s’agit des constructeurs et notamment de l’entrepreneur réalisant des travaux pour le maître d’ouvrage, ainsi que des fabricants d’Eléments Pouvant Entraîner la Responsabilité Solidaire (EPERS). Ainsi, les fabricants de produits de construction ne pourront être mis en cause sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil que si leurs produits ne sont pas qualifiés d’EPERS(117) (comme des tuiles ou du ciment).
A titre subsidiaire les simples vendeurs ou fournisseurs (donc tous négociants de matériaux de construction) peuvent également voir leur responsabilité engagée. Nous avons évoqué sur ce point la problématique de la transposition de la directive en droit français. A l’heure actuelle, leur responsabilité peut être engagée si le producteur ne peut pas être identifié, mais ils seront exonérés si, dans les trois mois à compter de la notification de la demande de la victime, ils désignent leur propre fournisseur ou le producteur(118).
B) Les produits concernés par la loi
Le fabricant est responsable du défaut de son produit. Il convient d’expliciter les termes de produit et de défaut.
L’article 1386-3 du Code civil donne une définition large du produit : « tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l’élevage, de la chasse et de la pêche. L’électricité est considérée comme un produit ». Cette définition ne vise pas directement les produits de construction mais est assez large pour permettre de les inclure. Les produits de construction sont définis dans les conditions générales « Responsabilité professionnelle des négociants et fabricants en matériaux de construction » de l’Auxiliaire comme les « matériaux ou composants incorporés ou destinés à être incorporés dans une construction ou un existant fabriqués et/ou vendus par l’assuré». Ainsi, les produits visés par l’article 1386-3 du Code civil peuvent être du bois, de la pierre, des cloisons, du ciment, des tuiles, des éléments d’équipement à vocation professionnelle(119)…mais ne doivent pas être des EPERS.
Pour que la responsabilité du producteur puisse être engagée, le produit en question doit présenter un caractère défectueux. Il s’agit d’un produit qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. L’appréciation du caractère défectueux est opérée in abstracto et plusieurs éléments sont pris en compte comme « la présentation du produit, l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et le moment de sa mise en circulation » (article 1386-4 du Code civil). La mise en circulation d’un produit plus perfectionné ne rend cependant pas un produit antérieur défectueux. Dans un arrêt en date du 7 novembre 2006, la Cour de cassation a estimé que l’insuffisance des conditions générales de vente relatives à un béton et ne mettant pas en garde contre les risques de brûlure le rendait défectueux(120). Ainsi, c’est tout d’abord la sécurité des personnes qui est visée et leur santé. En matière de produits de construction il sera porté une attention particulière aux produits contenant de l’amiante.
La sécurité s’entend également de celle des biens, par exemple un produit défectueux peut porter atteinte à la solidité d’un ouvrage.
Enfin, il est nécessaire que le produit défectueux ait été mis en circulation. La loi du 19 mai 1998 est applicable aux produits mis en circulation après son entrée en vigueur. La mise en circulation fait référence au dessaisissement volontaire opéré par le producteur (ce qui exclut donc le vol de la chose): il s’agit pour le producteur de ne plus avoir la garde de la chose définie comme l’usage, la direction et le contrôle de la chose. Il y a dessaisissement dès lors que la chose aura été mise sur le marché ou livrée(121). La question de la mise en circulation se pose avec acuité concernant les produits dans lesquels sont intégrés des composants car l’article 1386-5 du Code civil dispose qu’il n’existe qu’une seule mise en circulation. Il semble qu’il faut retenir la mise en circulation du produit fini. Par ailleurs, la Cour de Justice des Communautés Européennes a jugé qu’« un produit doit être considéré comme ayant été mis en circulation, au sens de l’article 11 de la directive, lorsqu’il est sorti du processus de fabrication mis en oeuvre par le producteur et qu’il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve offert en l’état au public aux fins d’être utilisé ou consommé(122) ».
C) Les dommages concernés par la loi
La loi de 1998 s’applique à deux grands types de dommages : ceux résultant d’une atteinte à la personne, et ceux résultant d’une atteinte aux biens.
Le point central de la directive et de la loi française est de protéger et réparer les atteintes à la personne qu’il s’agisse de la mort ou de lésions corporelles. En matière de produits de construction, de tels dommages ont pu être constatés lors de l’incendie de la discothèque le « Cinq Sept » dans lequel cent cinquante personnes ont trouvé la mort. L’utilisation de matériaux synthétiques avait entraîné la propagation rapide du feu.
Concernant les dommages résultant d’atteintes aux biens, tous ne donnent pas lieu à réparation. En effet, les dommages causés au produit lui-même ne sont pas pris en charge. Par ailleurs, seuls les dommages d’un montant supérieur à 500 euros sont pris en considération.
Lorsque les matériaux de construction défectueux ont été intégrés dans un ouvrage et ont porté atteinte à sa solidité, la question se pose de savoir si le produit et l’ouvrage sont distincts. La réponse sera nuancée en fonction des exemples. Il apparaît qu’une réponse négative peut être apportée lorsque l’écroulement d’un ouvrage est dû à la défectuosité d’un béton composant l’ossature de l’ouvrage. Dans une hypothèse inverse où une distinction pourrait être opérée entre le produit et l’ouvrage, il conviendrait de procéder à une application distributive des règles : le droit commun pour le produit défectueux, la loi de 1998 pour l’ouvrage(123).
Si les conditions relatives aux personnes, produits et dommages concernés sont remplies, la victime aura la faculté de mettre en oeuvre la responsabilité du producteur.
§2) La mise en oeuvre facilitée de la responsabilité
L’action en responsabilité issue de la loi de 1998 n’est pas strictement délictuelle ou contractuelle car la loi n’opère aucune distinction selon la qualité de la victime. D’ailleurs, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ne s’impose pas à la victime puisqu’elle pourra choisir d’exercer les actions en responsabilité délictuelle ou contractuelle de droit commun (la garantie des vices cachés, la responsabilité du fait personnel ou du fait des choses). Elle disposera également de la faculté d’invoquer un autre régime spécial de responsabilité s’il ne repose pas sur le même fondement que celui de la directive.
Les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité du producteur sont exposées à l’article 1386-9 du Code civil. Il s’agit d’une responsabilité sans faute : la victime devra prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre les deux premiers éléments sans que la preuve d’une faute soit nécessaire. La mise en oeuvre de la responsabilité est alors facilitée.
Le producteur dispose de moyens d’exonération(124) dont il doit rapporter la preuve. L’article 1386-11 du Code civil vise plusieurs causes d’exonération. Il en est ainsi si le producteur n’a pas mis en circulation le produit, si le défaut est né après la mise en circulation du produit et si le produit n’était pas destiné à la vente. De même, le producteur peut prouver que le défaut découle de la conformité du produit à des règles impératives entachées d’un vice. Le seul respect des règles de l’art ou de normes préexistantes ne permet pas au fabricant de s’exonérer. Par ailleurs, le producteur d’une partie composante peut prouver que le défaut est dû à l’utilisation faite par l’incorporateur ou aux instructions du producteur du produit fini. La faute de la victime permettra également au producteur de s’exonérer (ou de réduire sa responsabilité) si cette faute a contribué à la réalisation du dommage, ce qui ne sera toutefois pas le cas concernant le fait du tiers. La cause d’exonération qui aura posé le plus de questions est celle du risque de développement ; nous en avons explicité les contours concernant la transposition de la directive.
Il convient de préciser que les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité ne sont pas admises, sauf lorsque les biens endommagés sont utilisés à titre professionnel (article 1386-15 du Code civil)(125) : une telle clause négociée entre un fabricant de produits de construction et un entrepreneur ne pourra être considérée comme non-écrite.
L’action en responsabilité est encadrée puisqu’un délai de prescription de trois ans est applicable, au-delà duquel la victime n’aura plus la possibilité d’agir. Ce dernier court à compter du jour où la victime a eu connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur ou aurait dû en avoir connaissance. Le Code civil prévoit un autre délai qui encadre indirectement l’action: il s’agit d’un délai de dix ans à compter de la mise en circulation du produit, au-delà duquel le producteur qui n’a pas commis de faute n’est plus considéré comme responsable(126).
Ainsi, la responsabilité du fabricant de matériaux de construction et plus largement de produits de construction peut être engagée dès lors que ses produits causent un dommage et qu’il ne s’agit pas d’EPERS. Les fabricants d’EPERS relèvent d’un autre régime spécial de responsabilité propre au domaine du bâtiment et travaux publics.
115 KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°2272
116 MALINVAUD (P.), La loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et le droit de la construction, Recueil Dalloz 1999, p. 85
117 MALINVAUD (P.), La loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et le droit de la construction, Recueil Dalloz 1999, p. 85
118 KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°2272
119 MALINVAUD (P.), Droit de la construction, Dalloz action, 2010, p. 1282
120 Cass. 1è civ., 7 nov. 2006, n° 05-11.604, RDI 2007, 94, obs. Malinvaud
121 CHAUMET (F.), Les assurances de responsabilité de l’entreprise, 5è ed. L’argus de l’assurance, 2011, p.260
122 CJCE 9 févr. 2006, aff. C-127/04 Declan O’Byrne c/ Sanofi Pasteur SA, RLDC 2006/25 n°1093
123 MALINVAUD (P.), La loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et le droit de la construction, Recueil Dalloz 1999, p. 85
124 KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°2276; MALINVAUD (P.), Droit de la construction, Dalloz action, 2010, p. 1284 ; LEFEBVRE (F.), Urbanisme Construction, ed Francis Lefebvre, 2012-2013, p. 1271
125 KULLMANN (J.), Lamy assurances, Editions Lamy, 2012, n°2279
126 Dictionnaire permanent, Editions Législatives, 14 janvier 2011, p. 3387 ; KARILA (L.) et CHARBONNEAU (C.), Droit de la construction : responsabilités et assurances, 2è ed. Lexis Nexis, 2011, p. 299 ; LE TOURNEAU (P.), Responsabilité des vendeurs et fabricants, 4è ed. Dalloz référence, 2012-2013, p.143