Les conséquences d’une conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou d’un accident ne se bornent pas au seul domaine contractuel. En effet, elles se répercutent tant sur le plan judicaire concernant la responsabilité civile du conducteur en état d’ivresse à l’égard des tiers (§1) ainsi que sur le domaine pénal concernant la réprobation de son comportement (§2).
§1. Les conséquences d’une conduite sous l’emprise de l’alcool sur le plan judicaire
Il existe une véritable interaction entre les dispositions contractuelles qui tendent à réduire voir exclure l’indemnisation du conducteur responsable d’un accident sous l’influence de l’alcool (A) et la loi Badinter qui consacre un véritable droit à indemnisation pour les victimes non conductrices (B).
A. L’exclusion de la couverture pour le conducteur responsable
Exclure les cas d’ivresse au volant des garanties conducteur et dommages au véhicule est autorisé. Mais les juges sont très sévères quant à l’application de ces exclusions.
1. Les clauses d’exclusion subordonnées à des conditions que doit rapporter l’assureur
Les polices individuelles accidents qui couvrent les préjudices corporels subis par les conducteurs et les contrats d’assurance qui garantissent les dommages au véhicule assuré prévoient des exclusions de garantie lorsque les conducteurs sont en état d’ébriété lors de l’accident.
L’article L211-6 du Code des assurances précise « qu’est réputée non écrite toute clause stipulant la déchéance de garantie de l’assuré en cas de condamnation pour conduite en état d’ivresse ou sous l’empire d’un état alcoolique ».
Cet article ne s’applique que pour l’assurance de responsabilité civile automobile obligatoire.
La déchéance de garantie qui est en fait une exclusion est licite et s’applique uniquement en cas d’assurance facultative c’est-à-dire à l’assurance du conducteur et aux garanties de dommage aux véhicules.
Pour que la clause d’exclusion puisse jouer l’assureur doit faire la preuve de l’état d’ébriété du conducteur et de sa relation avec la survenance de l’accident. L’assureur doit prouver que le conducteur était en état d’ébriété lors de l’accident mais aussi que c’est son état qui est la cause de l’accident. L’état d’ébriété du conducteur peut être rapporté par les constatations de la police.
Souvent les assureurs n’arrivent pas à rapporter cette double preuve et ils ne peuvent pas faire valoir cette exception de garantie. De plus les juges relèvent fréquemment d’autres facteurs ayant concourus à la réalisation du dommage et l’état du conducteur n’est pas un élément prépondérant, il peut simplement avoir accentué la négligence ou l’imprudence du conducteur. Les juges exigent en outre que la clause d’exclusion soit rédigée de manière formelle et limitée et qu’elle soit comprise par l’assuré ainsi que par eux-mêmes.
C’est donc à l’assureur de prouver l’existence de la cause de l’exclusion dont il en demande le bénéfice, de plus l’article 1162 du Code civil dispose qu’en cas de doute, il faut interpréter une convention en faveur de celui qui a contracté l’obligation.
En outre, d’après la clause d’exclusion c’est à l’assureur de prouver un lien de causalité entre l’état de l’assuré et le dommage dont il demande à être indemnisé. Si le conducteur conduit sous l’emprise d’un état alcoolique et qu’il a un accident c’est un cas d’exclusion de garantie prévu dans le contrat, l’assuré ne sera pas indemnisé dans un tel cas, il sera débouté de sa demande d’indemnisation(33).
En conclusion pour que l’assureur puisse dénier sa garantie il lui faut prouver une double condition : d’une part, établir l’existence d’un état alcoolique réprimé par le Code de la route, et d’autre part établir la relation de causalité entre cette imprégnation et l’accident, établir que l’état alcoolique était à l’origine exclusive de l’accident(34).
2. Les conditions relatives à la clause d’exclusion elle-même et l’importance de son libellé sous peine de nullité
Une clause d’exclusion suite à un accident pour une conduite en état d’ivresse peut s’appliquer même en dehors d’une condamnation pénale prononcée contre l’assuré, il suffit que l’état alcoolique au moment de l’accident soit prouvé mais l’exclusion est d’interprétation stricte. Elle ne pourra pas s’appliquer en cas de refus de l’assuré de se soumettre à une prise de sang, un éthylotest positif ne suffit pas et dans ce cas l’assureur devra garantir les dommages causé au véhicule(35).
Un assuré condamné pour refus de se soumettre à la prise de sang et non pour une conduite en état d’ivresse alors que l’exclusion s’applique en cas d’une conduite en état d’ivresse donc dans ce cas, l’assureur a dû accordé sa garantie.
Les juges du fond ont appliqué strictement les dispositions claires et précises de la police d’assurance qui définissaient les conditions applicables pour pouvoir exclure la garantie.
Les clauses d’exclusion doivent être d’application restrictive c’est-à-dire que son exclus de la garantie les dommages que le conducteur a subi si lors de son accident il était en état d’ivresse d’après les dispositions de l’article 1er du Code de la route. Il n’y a pas besoin que le conducteur ivre soit poursuivi pour conduite en état d’ivresse pour que les juges puissent refuser de l’indemniser, car même s’il n’est pas poursuivi son état alcoolique est avéré et donc l’exclusion de garantie peut pleinement s’appliquer(36).
Le libellé de la clause est également essentiel, il doit répondre à certains caractères sinon la sanction est la nullité.
Ainsi, toute clause d’exclusion de garantie doit être formelle et limitée pour être valable cette condition s’applique à l’exclusion en cas de conduite sous l’empire d’un état alcoolique.
Dans les contrats à caractère civil, l’assureur peut rapporter la preuve de l’état alcoolique par tous moyens et cet état s’apprécie indépendamment d’une infraction pénale.
L’assureur devra prouver que le conducteur était, au moment de l’accident, sous l’emprise d’un état alcoolique.
De ce fait il a été jugé que la Cour d’appel a violé les articles 1134 du Code civil et L113-1 du Code des assurances car sa clause d’exclusion de garantie indiquée que la déchéance de la garantie s’appliquait en cas d’imprégnation alcoolique de l’assuré mais elle ne fixait aucun taux d’alcoolémie de sorte qu’une interprétation subjective était possible. Et dans cette affaire l’assuré avait consommé de l’alcool mais son taux d’alcoolémie était inconnu. Cette clause était rédigée de sorte qu’elle n’était ni précise, ni formelle et limitée(37).
L’assureur doit donc dans sa clause d’exclusion de garantie soit, interdire la consommation d’alcool soit, indiquer un taux d’alcoolémie précis à ne pas dépasser et au-delà duquel la garantie de l’assuré sera exclue.
3. L’application discriminatoire de la loi Badinter pour les conducteurs
La particularité de l’assurance automobile tient au fait qu’en outre ses exclusions de garantie, l’indemnisation des victimes est soumise à la loi Badinter.
Ainsi, le régime d’indemnisation de la loi Badinter met en place un traitement différencié selon que les victimes sont conductrices où non conductrices. Le conducteur à droit à une indemnité moindre du fait de sa qualité de conducteur. Mais en plus, lorsque ce conducteur commet une faute, dans ce cas il peut voir son indemnisation réduite de manière conséquente ou bien même purement et simplement supprimée.
En effet, l’article 4 de la loi de 1985 dispose que « la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis. Le juge peut relever d’office la faute de la victime et limiter ainsi son indemnisation. » (38)
Le conducteur ivre qui commet une faute du fait de son état, peut avoir son indemnité réduite ou même exclue en application de l’article 4 de la loi de 1985. Donc si la faute du conducteur d’un véhicule terrestre à moteur est en relation de causalité avec son préjudice, son droit à indemnisation peut être limité ou même supprimé.
B. La couverture maintenue à l’égard des tierces victimes
Concernant la responsabilité civile à l’égard des tiers, l’assureur doit obligatoirement garantir les dommages causés par son assuré aux tiers quand il conduit en état d’ivresse, il peut quand même par une clause d’exclusion fixer un seuil d’alcoolémie mais celle-ci devra être rédigée de manière explicite et non équivoque.
De plus, conformément à la directive automobile (directive n° 72/166/CEE du Conseil, 24 avril 1972) le législateur a strictement encadré les conditions de garantie de l’assurance obligatoire de la responsabilité civile automobile.
C’est la loi qui fixe par décret pris en Conseil d’ Etat les exclusions de garantie qui sont autorisées et ce, dans un but de protection des tiers victimes, pour autant, ces exclusions sont limitées au sens de l’article L211-5 du Code des assurances.
D’après l’art. R211-8 du Code des assurances, « sont obligatoirement exclus de la garantie de responsabilité civile automobile :
– les dommages subis par les voleurs et leurs complices ;
– les dommages corporels subis par le conducteur ;
– les dommages corporels subis par les préposés ;
– les dommages touchant les immeubles, les choses, les animaux loués ou confiés au conducteur à quelque titre que ce soit ;
– les dommages causés par des armes ou engins destinés à exploser par modification de structure du noyau de l’atome ou par tout combustible nucléaire, produit ou déchet radioactif et qui engagent la responsabilité exclusive d’un exploitant d’installation nucléaire ;
– les dommages causés aux marchandises et objets transportés, sauf en ce qui concerne la détérioration des vêtements des personnes transportées lorsque celle-ci est l’accessoire d’un accident corporel. »
En matière de responsabilité civile automobile, seules les situations invoquées aux articles R210-10 et R211-1 du Code des assurances peuvent faire l’objet d’exclusion de garantie, et à la condition d’être reprises par une clause dans le contrat. Cela concerne :
« – l’absence d’âge requis ou le défaut de permis de conduire valable (incluant le brevet de sécurité routière pour les cyclomoteurs) au moment du sinistre.
Le permis de conduire ne doit avoir été ni suspendu, ni annulé ;
– les dommages subis par les personnes transportées lorsque le transport n’a pas été effectué dans les conditions suffisantes de sécurité telles que décrites par l’article A. 211-3 du code des assurances ;
– les dommages causés ou aggravés par le véhicule qui transporte des sources de rayonnements ionisants ;
– les dommages causés ou aggravés par le véhicule qui transporte des matières dangereuses (inflammables, explosives, corrosives ou comburantes) ;
– les épreuves, courses et compétitions sportives ou leurs essais soumis, par la réglementation en vigueur, à l’autorisation préalable des pouvoirs publics. »
Par contre ces exclusions ne peuvent pas être opposables à la victime, ce qui signifie que l’assureur devra indemniser la victime pour le compte de son assuré et ensuite exercer un recours contre son assuré responsable selon les dispositions du Code des assurances à son article R211-13 4°.
L’assurance de responsabilité civile impose à l’assureur la couverture des dommages causés aux tiers par son assuré ayant conduit en état d’ivresse. De plus, d’après l’article L211-6 du Code des assurances « est réputée non écrite toute clause stipulant la déchéance de garantie en cas de condamnation pour conduite en état d’ivresse ou sous l’emprise d’un état alcoolique ou pour conduite après usage de substances ou plantes classées stupéfiants ».
Donc même si l’assuré a causé des dommages aux tiers en étant sous l’emprise de l’alcool
l’assureur est obligé d’indemniser les victimes. Le législateur a choisi de protéger les victimes
de dommages corporels en les indemnisant plutôt que de punir le conducteur qui a conduit en
état d’ivresse en le privant de sa garantie de responsabilité civile.
§2. Les sanctions pénales véritables miroir de la désapprobation sociale à l’égard d’un tel comportement
En France, la conduite d’un véhicule terrestre à moteur est strictement encadrée. Au-delà d’un certain taux d’alcoolémie il est interdit de conduire.
Ce qui implique dans un premier temps, de définir ce qui est considéré comme étant un état d’ivresse d’après la réglementation française (A).
Puis dans un second temps, de voir quelles sont les sanctions encourues en cas de conduite en état d’ivresse (B).
A. Définition légale de la notion d’état d’ivresse
Selon l’article L234-1 du Code de la route: « Même en l’absence de tout signe d’ivresse manifeste, le fait de conduire un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d’alcool dans l’air expiré égale ou supérieure à 0,40 milligramme par litre est puni de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende. Le fait de conduire un véhicule en état d’ivresse manifeste est puni des mêmes peines. »
Donc selon le Code de la route le fait de conduire en état d’ivresse manifeste ou sous l’empire d’un état alcoolique (état d’ébriété) est la même chose, c’est illégal et punit par la loi.
Depuis 1995 la conduite en état d’ivresse c’est-à-dire avoir un taux d’alcoolémie égale ou supérieur à 0,5 gramme d’alcool par litre de sang est prohibée, ce taux correspond à 0,25 milligramme d’alcool par litre d’air expiré.
La répression d’un tel comportement n’a fait que se durcir depuis ces dernières années, les lourdes sanctions auxquelles s’expose les contrevenants témoignent d’elles mêmes.
Les dépistages ses sont aussi intensifiés, ils peuvent avoir lieux à titre préventif par des officiers de police judicaire ou à la demande du procureur de la République. En revanche, les vérifications de la présence d’alcool dans le sang deviennent systématiques en cas d’accidents de la route ou d’infraction routière.
B. Les sanctions pénales encourues en cas de conduite en état d’ivresse
L’aggravation des sanctions est en corrélation avec l’augmentation du taux d’alcoolémie présent chez le conducteur.
Ainsi, lorsque le taux d’alcool dans le sang est égal ou supérieur à 0,5 grammes par litre de sang (0,5g/l) sans dépasser les 0,8 g/l, le conducteur risque un retrait de six points sur son permis de conduire. Il s’expose à une contravention qui sera réprimée par une peine d’amende forfaitaire de 135 euros, l’immobilisation de son véhicule et une suspension du permis pour trois ans maximum.
S’il dépasse les 0,8g/l de sang dans ce cas, il commet un délit sanctionné par une amende pouvant atteindre jusqu’à 4 500 euros, l’immobilisation du véhicule, le retrait de six points sur le permis de conduire et même une suspension (jusqu’à trois ans) voire une annulation du permis. Ses sanctions peuvent être accompagnées d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans et l’obligation de suivre un stage de sensibilisation à la sécurité routière à ses frais.
Dans les hypothèses de récidive avec un taux égal ou supérieur à 0,8g/l, la répression est très lourde pour les contrevenants. Le retrait des six points sur le permis de conduire est toujours le minimum. L’amende grimpe jusqu’à 9 000 euros.
Le conducteur est exposé à la confiscation de son véhicule, l’annulation de son permis de conduire pouvant aller jusqu’à trois ans ainsi que l’obligation d’effectuer un stage de sensibilisation à ses frais. Il risque en outre, une peine de prison qui peut s’élever à quatre années d’emprisonnement.
De même que le refus de se soumettre à un contrôle du taux d’alcoolémie est également sanctionné sévèrement par la loi.
Ce refus est assimilé à un taux d’alcoolémie étant égal ou supérieur à 0,8 g/l de sang. Et dans ce cas, le contrevenant est exposé aux mêmes sanctions relatives à cette infraction. ainsi il risque la sanction de base qui est le retrait de six points sur le permis de conduire associé à une amende forfaitaire pouvant atteindre 4 500 euros.
L’immobilisation du véhicule, la suspension du permis, le stage obligatoire voire même une peine de prison.
Enfin, lorsque le conducteur, sous l’emprise de l’alcool provoque un accident avec des victimes blessées gravement, celui-ci est passible de cinq années d’emprisonnement et d’une peine d’amende de 75 000 euros. Il peut se voir appliqué la suspension ou l’annulation de plein droit pour une durée de dix ans de son permis de conduire sans sursis ni permis blanc.
Quand le conducteur est responsable d’un accident en étant sous l’emprise de l’alcool et qu’il entraine le décès d’un tiers, ce dernier s’expose à une peine de sept ans de prison et d’une amende de 100 000 euros ainsi que d’une annulation de plein droit de son permis de conduire pour une période de dix ans.
Les condamnations sont très sévères mais elles se font en application de l’intérêt général pour le bien être de la société et de ses membres. Bien que lourdes, ces sanctions paraissent justifiées et justes car elles sont graduées en fonction de leur gravité.
33 Cass. Civ. 1ère, 6 novembre 1985, L’Argus du 7 février 1986, p. 327
34 Cass. Civ. 2e ch. civile, 4 décembre 2008, Jurisp. Auto. 2009
35 Cass. Civ. 1ère, 6 décembre 1994, Jurisp. Auto. 1995, p. 94
36 Cass. Civ. 1ère, 27 mai 1997, Jurisp. Auto. 1998, p. 139
37 Cass. Civ. 1ère, 9 décembre 1997, Jurisp. Auto. 1998, p. 143
38 Cass.civ. 2ème, 3 octobre 1990, Gaz. Pal. 1991, 1, panor. p. 129