Institut numerique

Section 2 : Les dangers des clauses réclamation et leurs palliatifs

§1. Les risques liés aux clauses « claim’s made »

Le système base réclamation est susceptible de générer des « trous de garantie », en l’occurrence des situations où le professionnel de santé est dépourvu de couverture d’assurance. A titre d’exemple, il en va ainsi lorsque la réclamation de la victime est portée après les cinq ou dix ans de la garantie subséquente et que le dommage en question était connu au moment de la souscription de la seconde garantie. En effet, d’une part le délai de prescription en matière de dommage corporel est de dix ans à compter de la consolidation de l’état de la victime et non pas du fait générateur, d’autre part le contrat d’assurance ne prend pas en charge les sinistres dont le fait dommageable était connu lors de la souscription(136).

La situation est analogue pour un professionnel qui change de spécialité puisque l’objet du nouveau contrat, distinct du contrat précédent, n’a pas vocation à prendre en charge les sinistres antérieurs(137).

Par ailleurs, la notion de « passé inconnu » suscite des difficultés d’interprétations. En effet, il peut y avoir des hypothèses dans lesquelles l’ancien et le nouvel assureur contesteront leur garantie. Par exemple, qu’en est-il lorsque le praticien reçoit de l’un de ses malades une demande de communication de son dossier? Doit-on considérer que le médecin a connaissance du fait dommageable?

Toutefois, il convient de souligner que selon le rapport de l’IGAS de 2007(138), ces « trous de garantie » seraient essentiellement théoriques, les assureurs ayant pris l’engagement de les combler par le biais de conventions de gestion conclues entre eux. Aux termes de ces conventions, le contrat d’assurance en cours au moment de la réclamation assumerait la réparation. Cet assureur disposerait alors d’un recours contre l’assureur précédent.

L’autre inconvénient est que ce régime base réclamation peut conduire à inciter les sociétés d’assurance à résilier les contrats de façon plus systématique dès qu’un risque a été identifié.

La faculté conventionnelle de résiliation après sinistre du contrat d’assurance de responsabilité des professionnels de santé obéit au droit commun faute de disposition spécifique puisque l’article L.251-3 du code des assurances renvoie expressément à l’article L.113-4 du même code.

La critique qui peut être faite à la loi About serait de ne pas avoir considéré la problématique de la faculté de résiliation après sinistre à l’instar du régime de l’assurance automobile obligatoire qui encadre cette clause(139). Il s’agit pourtant d’un aspect indissociable des clauses « base réclamation ».

L’assureur a ainsi la possibilité en cours de contrat de résilier celui-ci, lorsqu’un assuré déclare des circonstances nouvelles entrainant une aggravation du risque assuré ou créant un risque nouveau(140).

Cette faculté est incontestablement préjudiciable à l’assuré, qui perd alors sa garantie à un moment où celle-ci s’avère nécessaire. C’est dans ce sens que Monsieur Jean Bigot s’est positionné en déclarant « que le véritable handicap des contrats sur base réclamation réside dans la possibilité de résiliation du contrat par l’assureur dans le contexte des sinistres sériels ». Rappelons qu’un sinistre sériel est un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique et étant assimilé à un fait dommageable unique. J. Bigot rajoute que « les assureurs ont suffisamment payé d’indemnités au titres de ces sinistres (amiante, sang contaminé, produits défectueux, pollutions récurrentes, etc…) pour être naturellement très circonspects à l’égard de ce risque (…).

Craignant un risque de sinistres sériels, l’assureur peut être tenté de résilier dès la survenance du premier sinistre. » Il continue en qualifiant cette pratique de peu élégante et peu morale(141).

On peut également se questionner sur la compatibilité d’une telle clause avec l’obligation d’assurer corrélative à l’obligation d’assurance mise en place par la loi Kouchner.

Il est certes prévu que les parties ont la possibilité d’encadrer cette faculté de résiliation, toutefois il n’est pas certain que les assurés disposent des moyens nécessaires pour négocier de tels aménagements.

Tout cela met en évidence la volonté de la Cour de cassation de faire prévaloir la liberté contractuelle mais en l’occurrence au détriment des professionnels de la santé. Ces imperfections nécessitent d’être palliées.

Enfin, comme tout nouveau régime, la question s’est posée de savoir à partir de quand ces dispositions étaient applicables. La loi du 30 décembre 2002 a tenté de régler ce délicat problème en son article 5. Or cet article peu clair et sujet à interprétation a donné lieu à un important contentieux opposant une société d’assurance qui faisait valoir qu’il s’agissait uniquement d’un régime transitoire à l’ensemble des autres sociétés qui plaidaient qu’il s’agissait d’une garantie subséquente.

§2. Les palliatifs

Tout d’abord pour tenter de résoudre les difficultés d’interprétation quant à la notion de « passé inconnu » pouvant aboutir à des trous de garantie préjudiciables aux assurés, les sociétés d’assurance membres de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) et du Groupement des entreprises mutuelles d’assurances (GEMA) ont adopté le 18 décembre 2007, une nouvelle convention intitulée « Convention de gestion des sinistres portant sur l’application de la garantie dans le temps, notamment la détermination du passé connu/inconnu en assurances de responsabilité médicale ».

Le nouvel article 8 de ladite convention liste les critères qui, une fois connus de l’assuré, suffisent à qualifier de passé connu. Il s’agit notamment de la connaissance par le professionnel de santé d’une enquête pénale ou administrative, d’une lettre informant l’assuré de la saisine de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI).

La convention précise également que la qualification de passé connu résulte de la connaissance par l’assuré d’un dommage caractérisé en lien avec un fait particulier à savoir un fait marquant et grave impliquant la conscience par l’assuré que ces conséquences dommageables sont susceptibles d’engager sa responsabilité.

Ces dispositions ont pour but de limiter au maximum les cas de passé connu et parallèlement d’éviter des contentieux entre sociétés d’assurance.

On peut néanmoins regretter que le législateur ne se soit pas saisi lui-même de la question. En effet, bien que ces conventions entre assureurs soient suivies en pratique et donnent satisfaction à la plupart des acteurs, la mise en oeuvre d’un cadre légal permettrait de satisfaire au principe de sécurité juridique.

Actuellement, il semblerait que le seul palliatif à ces situations de « trous de garantie » réside dans l’intervention de l’ONIAM. Toutefois, comme nous l’avons déjà évoqué, la loi Kouchner ne confère à l’Office qu’un champ restreint. Il ne peut remédier à l’absence d’assurance que si la victime porte sa réclamation devant une CRCI. Par ailleurs, l’article 44 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 (aujourd’hui abrogé) n’avait traité explicitement que de la question de l’épuisement de la garantie et non de son expiration.

Concernant la problématique de la date d’application des nouvelles dispositions de la loi About, il a finalement été considéré que l’article 5 n’instaurerait pas une période de transition mais se contenterait de prévoir que le principe de la base réclamation s’applique immédiatement à tous les contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication de la loi et que s’agissant des contrats conclus avant cette date, il leur est adjoint de manière rétroactive une garantie subséquente afin d’éviter d’éventuels « trous de garantie » notamment dans le cas où l’assuré changerait d’activité(142).

Il ne s’agirait donc pas d’un régime transitoire mais bien d’une garantie subsidiaire qui n’aurait vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où le nouvel assureur n’aurait pas à prendre en charge le sinistre.

Ainsi, le régime de l’assurance obligatoire de responsabilité civile médicale instauré par la loi du 4 mars 2002 avait pour objectif la protection des victimes d’accidents médicaux. Si cette innovation était largement souhaitable, les modalités de mise en œuvre du régime nécessitaient des améliorations. En effet, le manque d’encadrement et la volonté de faire primer la liberté contractuelle se sont révélés préjudiciables tant pour les professionnels et établissements de santé que pour leur assureur.

C’est pour répondre à cela que le législateur est intervenu le 30 septembre 2002. Les précisions apportées au régime initial mais surtout la validation des clauses base réclamation a permis d’adapter le contrat d’assurance à la spécificité des dommages consécutifs à des accidents médicaux notamment causés par des produits de santé. Or ces apports ne sont pas sans risque pour les professionnels de santé et nécessitent eux même des réformes.

136 Art. L.251-2 al.6 C. ass
137 Assurance des acteurs de santé, Lamy droit de la santé, étude n°548, n°548-28
138 Rapport de l’IGAS « l’assurance en responsabilité civile médicale », févr. 2007, annexe 4, p. 13 et s.
139 Art. A. 221-1-2 C. ass
140 Art. L113-4 et R. 113-10 al.1 C. ass
141 BIGOT J., « La loi n°2002-1577 du 30 décembre 2002 sur l’assurance de la responsabilité médicale – Une lueur d’espoir pour les « clauses réclamations », JCP 2003. I. 118, n°10
142 Assurance des acteurs de santé, Lamy droit de la santé, étude n°570, 570-69

Retour au menu : RESPONSABILITE ET ASSURANCE DES PRODUITS DE SANTÉ : BILAN APRES 10 ANS D’APPLICATION DES LOIS DU 4 MARS 2002 ET DU 30 DECEMBRE 2002