Le transfert alternatif des risques catastrophiques est une réponse capacitaire intéressante, elle est cependant peu flexible (A). Les acteurs du secteur évoluent mais cette solution est assez difficile à mettre en application pour les risques de catastrophes technologiques (B)
A- Les limites de la titrisation en assurance
Les produits financiers, dérivés comme Catbonds, ne peuvent pas se substituer à l’assurance – ou à la réassurance traditionnelle, dont le champ d’intervention est plus global, aussi bien en termes d’acteurs que de risques couverts. Le marché des dérivés climatiques est verrouillé aux acteurs de l’assurance et de la réassurance, soit des personnes morales dont l’activité est réglementée par leur législation nationale.
En effet, le marché peut être décomposé en deux temps, à savoir les transactions primaires et secondaires. Les transactions primaires impliquent la couverture de risques climatiques pour des entreprises qui souhaitent voir leurs exposions à ce risque couvert d’une part, les réassureurs et les banquiers d’autre part. Les transactions secondaires sont, elles, purement boursières à finalité hautement spéculative.
Les dérivés climatiques ont un objectif de rentabilité boursière qui ne doit pas être occulté par les acteurs en présence. Si le marché est dédié aux acteurs de l’assurance, sa structure s’éloigne du mécanisme de l’assurance, ces produits restent avant tout financiers. Ils sont régis par les principes de la gestion d’actifs moderne diversifiée inspirée de la pensée de Markowitz. La diversification est un principe selon lequel un portefeuille composé de titres non corrélés permet de réduire la volatilité sans réduire le rendement. Ceci explique l’attractivité de ces produits pour les investisseurs. La titrisation n’est qu’un complément de l’assurance qui ne peut être extrapolé à d’autres situations par absence d’équilibre financier à long terme.
Le mécanisme ne pourrait être appliqué aux risques de fréquence classiques en raison de son particularisme et de son manque de lisibilité pour l’assuré final. Sur les risques liés aux particuliers, comme la couverture du risque automobile, il serait difficilement possible de transposer le modèle, il s’agit d’un risque de fréquence élevé avec un aléa faible – probabilité de survenance, et l’évaluation statistique serait peu probante. Après plus d’une décennie de pratique, la structure des produits a évolué. Elle tend à s’élargir et à passer du monorisque aux multirisques. Le sous-jacent n’est plus corrélé à un risque naturel particulier mais dans cette configuration, le déclenchement du produit peut se faire consécutivement à la survenance d’un ou plusieurs dommages ou en raison du dépassement d’un seuil pour les conséquences pécuniaires.
La titrisation est déliée du mécanisme de l’assurance, malgré son objet commun. L’opération financière de titrisation est déconnectée des dommages causés par son sous-jacent. Le montant fixé, notamment pour les Catbonds est, après modélisation, conventionnellement estimé et agréé par les deux parties au contrat. Ce montant n’est pas la somme des indemnités versées par l’assureur ou le réassureur en cas de sinistre : les pertes liées au sinistre peuvent être inférieures ou supérieures au rendement du produit financier. L’assureur ou le réassureur en présence, dans ce type d’opérations, peut donc être, malgré le versement du capital en cas de déclenchement, en perte pour régler le sinistre. Ainsi, en l’occurrence, les dérivés climatiques sont aux antipodes du principe indemnitaire. Ces produits doivent être considérés comme un pari spéculatif articulé autour d’un paramètre défini au contrat, tout comme le capital et la durée du produit financier.
Par conséquent, l’assurance s’adapte et se tourne également vers le mécanisme de capital contingent qui a pour objet de protéger les assureurs et réassureurs des fluctuations du marché. Il s’agit de déclencher des tranches de capital, dès lors que les pertes liées à la survenance d’un risque catastrophique dépassent un certain seuil, préalablement fixé entre l’entreprise d’assurance ou de réassurance et une banque. En 2010 et 2012, la Scor(150), premier réassureur français a signé avec UBS, établissement bancaire suisse, un accord de couverture financière contre les catastrophes naturelles. En l’espèce, il s’agit de l’émission de bons d’émissions d’actions en faveur d’UBS dès que les pertes estimées pour un sinistre dépassent le seuil conventionnellement fixé ; le sous-jacent est un risque naturel(151). En 2010, le programme de capital contingent portait sur une ligne de 75 millions, en 2012, 75 millions additionnels ont été prévus, portant l’intégralité du dispositif à 150 millions d’euros. Il s’agit d’une solution de diversification des moyens de protection des engagements d’un groupe tel que la Scor ; c’est est une alternative intéressante aux coûts de la réassurance de rétrocession mais également aux coûts des dérivés climatiques classiques. Ce produit est à l’aube de sa croissance alors que les dérivés climatiques sont le produit phare de l’ILS.
Le succès des dérivés climatiques a eu pour effet principal de finalement diversifier les acteurs à l’initiative des transactions primaires : en effet, les Etats d’y intéressent, toutefois, ce schéma est uniquement valable pour les risques naturels.
B- L’intervention Etatique et la délicate transposition du mécanisme aux catastrophes technologiques
Le positionnement géographique est un paramètre essentiel dans l’analyse des risques climatiques. Les conséquences des catastrophes naturelles et technologiques sont considérables mais variables d’un pays à l’autre. De manière géostratégique, les pays en voie de développement ont une vulnérabilité importante aux risques climatiques. D’ailleurs, les pertes infligées par ces événements ne sont pas identiques : les catastrophes technologiques peuvent trouver une source d’indemnisation parce qu’une responsabilité sous-jacente peut être reconnue dans la survenance de l’événement.
Or, dans le cas des événements d’origine naturelle, des pertes demeurent outre l’intervention du marché de l’assurance. Et, dans certaines régions, parce que très exposées ou bien parce que ne disposant d’un marché local d’assurance mature ou en voie de maturité ou alors d’une obligation de couverture, l’Etat est, par défaut, l’assureur de dernier ressort.
Il est commun de considérer que «l’Etat est son propre assureur», un adage qui fait loi à dimension internationale malgré le fait qu’il ne résulte d’aucun principe général de droit public Dans le cas des Etats vulnérables, ces derniers voient leurs économies ravagées par les conséquences des catastrophes naturelles. Les risques climatiques viennent grever les budgets publics et les activités économiques sont paralysées durant de nombreux mois, voire des années. Dans certains Etats, notamment émergents, le fatalisme est une donnée prépondérante et aucune véritable solution n’est disponible, que ce soit sur le plan légal ou assurantiel. L’aide internationale devient alors le dernier recours. En vérité, ce besoin démontre l’incapacité de ces Etats à instaurer des politiques publiques durables en la matière ou même à indemniser les victimes du fait d’une instabilité gouvernementale ou politique chronique.
A l’inverse, une politique publique garantissant intégralement les conséquences d’un sinistre dont l’origine est naturelle génère une déresponsabilisation des populations locales. C’est l’exemple de la Turquie, qui, au même titre que d’autres Etats, avait mis en place un dispositif d’assurance obligatoire en matière de catastrophes naturelles sur un modèle proche du modèle français décrit en amont. Ce dispositif, datant de l’an 2000, avait été couronné de succès car 32% des habitations ont été couvertes.(152) En raison des tremblements de terre qui ont eu lieu entre 2002 et 2003, l’Etat turc a finalement opté pour une indemnisation complète et intégrale de tous les sinistrés, qu’ils soient titulaires d’une couverture d’assurance adéquate ou non. Par conséquent, et de manière très logique, le nombre de polices a diminué massivement dès les mois suivants, faisant peser sur le budget de l’Etat des coûts sans commune mesure.
En conséquence, certains Etats à caractère géo-sensibles, ont saisi le besoin d’intervenir en amont afin de se prémunir contre les coûts immaitrisables des catastrophes naturelles. Pour se faire, certains n’hésitent pas à suivre l’exemple des assureurs en modélisant certains endémiques afin d’investir sur les marchés financiers. Cette mesure a pour avantage de les faire bénéficier de capacités financières complémentaires en cas de survenance d’un sinistre catastrophique.
Cet apport financier permet notamment de verser des indemnités aux populations et entreprises sinistrées sans amputer la majeure partie des fonds publics. Ces Etats n’ont pas pour objectif de tirer une espérance de gains, mais uniquement de mieux maîtriser une partie de leur budget, dans le même schéma qu’un risk-manager, qui opère à l’échelle d’une entreprise. Les produits financiers spéciaux que sont les dérivés climatiques et avant tout les Catbonds améliorent clairement le niveau des couvertures pour des risques bien délimités. Aussi, l’intégralité des risques climatiques ne peut être transférée aux marchés financiers. L’action des Etats sur les marchés de dérivés climatiques se fait en direct ou par l’intermédiaire d’agences publiques dédiées dans la gestion des risques d’origine naturelle, comme la Californie, qui a créé en 1995 une agence spécialisée : California Earthquake Agency ou CEA qui s’occupe du risque de tremblements de terre. Taïwan a émis une obligation catastrophe Formosa Ré en 2003. Le Mexique a émis en 2006, un Catbonds de 280 millions de dollars afin de faire face aux risques de pluies torrentielles ou aux glissements de terrains. La Turquie songe à suivre le même exemple pour ses risques indigènes tout comme l’état de l’Alabama aux Etats-Unis. Depuis les épisodes sismiques de 2010, le Chili s’intéresse à la question.
Pour autant, les limites du mécanisme restent identiques quel que soit l’émetteur du produit financier. Le capital versé en cas de réalisation du risque demeure déconnecté des conséquences réelles du sinistre et les budgets dédiés à l’indemnisation des victimes et à la reconstruction ne peuvent être pris en charge par ce système. La viabilité du mécanisme dépend en grande partie de l’appétence des investisseurs pour le produit émis. De ce fait, si un Etat fait appel de manière disproportionnée aux marchés financiers et que les risques surviennent systématiquement, les investisseurs, dont l’objectif reste l’espérance de gains, auront une appétence réduite voire nulle pour ces produits. Aussi, dans le même esprit que les entreprises d’assurances et de réassurance émettant des dérivés climatiques, les Etats se doivent de mettre en place une réelle stratégie de risk-management. Les mesures de prévention qui en découleront devront limiter le coût total des catastrophes naturelles et le rendre acceptable. De cette façon, les investisseurs ne durciront pas les conditions de placements des dérivés. Ces mesures de prévention des risques passent inexorablement par des politiques d’urbanisme veillant à une réduction de la concentration des richesses, des activités économiques et humaines dans les zones identifiées comme à risques.
Les marchés financiers sont une réponse alternative et partielle aux conséquences de risques climatiques. Si le mécanisme apporte un complément de réponse à l’assurance pour les catastrophes naturelles, la duplication de ce mécanisme ne parait pas envisageable pour les risques de nature technologique.
En effet, en raison de leur nature, ces risques sont difficilement modélisables. S’ils étaient prévisibles, ils ne seraient plus aléatoires et par essence non assurables(153). Leur survenance est une résultante de l’activité humaine, que le sinistre soit directement causé par l’activité humaine ou indirectement. A ce titre, ces risques sont donc différents, leur connaissance est empirique et ne permet pas de modélisation, comme pour les risques de catastrophes ou d’événements naturels. Les prévisions qui peuvent être envisagées relèvent d’une politique de risk-management accompagnée par les recommandations d’ingénieurs préventeurs et des services de « Qualité Hygiène, Sécurité et Environnement (154)». La responsabilité que l’entreprise ou de ses dirigeants mis en cause à l’occasion de la survenance d’un sinistre en sont la raison principale. La responsabilité d’une catastrophe naturelle n’est imputable qu’à la force majeure, celle d’une catastrophe naturelle peut être imputable à une personne morale ou physique. La modélisation repose sur des indices paramétriques, comme la température, or pour les risques technologiques de telles données communes seraient difficilement calculables. Ce qui reste du domaine de l’aléatoire seraient les conséquences pécuniaires des dommages engendrés, mais ce ne sont pas des paramètres suffisants en vue de la construction de produits financiers. Dans la même logique, le déclencheur serait difficile à envisager de manière certaine. Il serait difficilement concevable qu’un groupe international émette un produit dérivé pour dégager des capacités en raison d’un bris de machine, de turbine, par exemple même sériel. Les mesures de prévention sont la réponse adaptée. Par une simple analyse technique des équipements, des mesures correctrices peuvent être entreprises qu’il s’agisse de maintenance ou d’une mise en cause du ou des constructeurs.
A ce titre, les catastrophes d’origine technologiques doivent faire l’objet d’une étude particulière d’autant plus que le cadre législatif qui les entoure évolue sur le plan international et oblige notamment le modèle français, schéma innovant à s’adapter. La survenance des catastrophes technologiques permet un certain empirisme législatif, qu’il soit en amont avec la responsabilité environnementale ou en aval avec le dispositif d’indemnisation des risques majeurs et technologiques issu de la loi Bachelot de 2003 (Titre 2).
150 Source :Capital. « La Scor poursuit activement sa stratégie de protection du capital contingent » 16 mai 2012.
151 Tremblement de terre, tremblement de terre sous-marins, chocs résultant de tremblements de terre, éruptions et troubles sismiques et/ou volcaniques ; ouragans, tempêtes de pluie, tempêtes, orages tornades, cyclones, typhons ; les raz-de-marée, tsunamis inondations ; grêle, le temps et le gel hivernal, les tempêtes de neiges, les dommages résultant du poids de la neige, les avalanches, les impacts de météorites ou d’astéroïdes ; les glissements de terrain, effondrement de terrain, coulées de boues, incendies de brousse, incendie de forêts et la foudre.
152 Chronique internationale de Jean-Pierre Daniel : La tribune de l’assurance n°153 , Décembre 2010.
153 Aléa moral :
154 QHSE