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Section 2 : Les incertitudes et les pistes de réformes

§1. Les réformes nécessaires du régime de l’assurance de responsabilité civile médicale

La primauté donnée à la liberté contractuelle au sein du contrat d’assurance de responsabilité civile professionnelle a des conséquences néfastes pour les professionnels de santé.

La possibilité de réduction de la couverture d’assurance responsabilité civile professionnelle des médecins par le jeu des plafonds de garantie n’a pas été anodine pour les professionnels de la santé et a créé une « grande complexité juridique » en privant certaines spécialités médicales d’une couverture d’assurance suffisante.(117) A titre d’exemple, les obstétriciens ou encore les chirurgiens font partie des professionnels les plus exposés à un risque de dépassement de plafond dans la mesure où le montant des condamnations peut être très élevé. Ils sont ainsi plus susceptibles de devoir indemniser sur leurs fonds propres.

De surcroit, le régime de la prise en charge de l’indemnité par l’ONIAM en cas de dépassement de plafond n’est pas abouti.(118) En effet, lorsque la couverture d’assurance du médecin est épuisée (condamnation du praticien pour un montant supérieur au plafond d’assurance) ou expirée (plainte de la victime déposée après les 10 ans suivant sa cessation d’activité ou son décès) l’Office a compétence pour indemniser la victime uniquement si la demande est portée devant une CRCI. En outre, l’ONIAM dispose d’une action récursoire contre médecin.

Par ailleurs, concernant la garantie d’assurance dans le temps, la Cour de cassation avait développé une jurisprudence décidant que la garantie était acquise pour tout sinistre survenu pendant la date de validité du contrat, en d’autres termes, les dommages étaient couverts par l’assureur dès lors que leur fait générateur, l’acte médical, s’était produit pendant la période de validité du contrat. Ces clauses base fait générateur, bien que favorables aux victimes, portent atteinte à l’assurabilité des professionnels de santé dans la mesure où elles n’offrent pas à l’assureur suffisamment de visibilité. En effet, les dommages médicaux, et particulièrement ceux causés par des produits de santé, sont des risques complexes pouvant apparaître beaucoup plus tard, dans un tel
système, la victime pourra rechercher en garantie l’assurance en vigueur au moment de la réalisation de l’acte.

Une réforme du régime de l’assurance semble nécessaire même si à l’heure actuelle aucun consensus n’existe sur le principe même d’une réforme de l’assurance.

De nombreuses propositions ont été formulées ces dernières années sans toutefois obtenir les faveurs du législateur. Une proposition récente du 20 janvier 2010 ambitionnait de régler certaines imperfections du régime de l’assurance de façon particulièrement opportune(119). Il s’agissait d’assurer l’indemnisation par l’ONIAM dès que la garantie du professionnel de santé est expirée ou épuisée et ceux aussi bien lorsque la victime porte sa demande devant les juridictions ou devant une CRCI. De surcroit, toute action récursoire de l’ONIAM à l’encontre des médecins serait proscrite.

Cette proposition de réforme était pertinente puisque rien ne justifie aujourd’hui, un traitement différent selon que la victime demande réparation de son dommage par la voie amiable ou judiciaire.

Cette proposition allait encore plus loin dans l’encadrement du régime de l’assurance médicale en prenant exemple sur le régime de l’assurance automobile obligatoire qui a réussi à trouver un équilibre entre les intérêts des parties. Elle prônait ainsi l’établissement d’une liste des clauses d’exclusion admises ou proscrites et ouvre la réflexion sur l’approfondissement du régime du plafond de la garantie.

§2. La réforme du droit de l’indemnisation du dommage corporel

Le régime d’assurance obligatoire mis en place par la loi Kouchner visant exclusivement la réparation des atteintes à la personne et en particulier les incertitudes qui en découlent entrent pleinement dans la réflexion actuelle de modification du droit positif en matière d’indemnisation du dommage corporel.

Jusqu’à une période très récente, il n’y avait aucune règle juridique qui encadrait l’évaluation et la réparation du dommage corporel. Le principal problème était un problème d’harmonisation des pratiques: compte tenu du pouvoir souverain du juge du fond, chaque juge pouvait indemniser le dommage corporel comme il le souhaitait, sans méthodologie commune ce qui pouvait conduire à des disparités d’évaluation.

Une étape essentielle fut la réforme du recours des tiers payeurs par la loi de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2006(120) qui retient un recours poste par poste. La pratique s’est alors saisie de la nomenclature instaurée par le groupe de réflexion présidé par Monsieur Jean-Pierre Dintilhac(121). Ce groupe sous l’égide du Ministère de la justice a conclu, dans un rapport remis en 2005, à la nécessité d’instaurer en France une nomenclature des chefs de préjudices réparables en matière de dommages corporels en distinguant d’une part les préjudices patrimoniaux des préjudices extra-patrimoniaux et d’autre part, les préjudices temporaires des préjudices permanents.

Puis une circulaire du Ministère de la Justice de février 2007(122) a recommandé aux magistrats de l’ordre judiciaire d’utiliser la nomenclature Dintilhac.

Ce qui conduit à une généralisation spontanée de l’utilisation de cette nomenclature.

Deux interrogations subsistent: tout d’abord, cette nomenclature est essentiellement utilisée en droit privé et beaucoup moins par le juge administratif ce qui pose un problème d’égalité entre victimes.

De plus, pour l’heure cette nomenclature est purement une pratique et n’a pas été entérinée par un texte quelconque: ne serait-il pas souhaitable de consacrer cela dans un texte? Il y a un certain nombre de projets de loi qui ont envisagé d’entériner la nomenclature Dintilhac mais ils ne sont jamais allés au bout du processus législatif. Pourtant cette nomenclature est à la fois dans l’intérêt du juge, dans l’intérêt des assureurs car cela facilite la prévisibilité de l’indemnisation et dans l’intérêt des victimes bénéficiant ainsi d’une norme de référence.

Une seconde étape est peut-être sur le point d’être franchie. Une proposition de loi a été déposée le 5 novembre 2009 par le député Guy Lefrand et d’autres parlementaires portant sur l’indemnisation des victimes d’accidents de dommages corporels(123). Ce texte préconise la mise en place de missions types d’expertise médicale et d’un barème médical unique. Il prône également l’application d’une nomenclature des préjudices obligatoires. Pour l’essentiel, ce texte consacre les analyses développées depuis plusieurs années par les spécialistes de l’indemnisation du dommage corporel.

Cette volonté de mettre en œuvre un référentiel national d’indemnisation a déjà été évoquée s’appuyant sur le rapport du groupe de travail présidé par Madame Yvonne Lambert-Faivre remis en juillet 2003 mais fut abandonnée à la suite d’un arrêt du Conseil d’État. Les opposants à ce référentiel craignent qu’un tel référentiel « sclérose les possibilités d’indemnisation et empêche la prise en compte de la situation individuelle de chaque victime ».

A la place du référentiel, a été préférée la création d’une base de données faisant apparaître le montant des indemnités attribuées pour chaque poste de préjudice mentionné dans la nomenclature des préjudices.

Ainsi, la réforme du droit de l’indemnisation du dommage corporel est en cours et devrait aboutir à un système plus égalitaire permettant d’améliorer la sécurité juridique.

117 PELLET R., « l’assurance des obstétriciens et l’impéritie des pouvoirs publics », RDSS, 2010, p.94
118 Cf partie 2; titre 2
119 Sénat, proposition des sénateurs Leclerc et Milon, du 20 janv. 2010, n°222
120 Art. 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 déc. 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007, parue au Journal officiel 2006-1640 du 22 déc. 2006
121 Rapport consultable sur le site internet du ministère de la justice : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/brP/064000217/0000.pdf
122 Circulaire de la DACS n° 2007-05 du 22 févr. 2007 relative à l’amélioration des conditions d’exercice du recours subrogatoire des tiers payeurs en cas d’indemnisation du dommage corporel: Bulletin officiel du ministère de la justice n° 2007/2
123 Assemblée Nationale, proposition de loi n°2055 visant à améliorer l’indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d’un accident de la circulation

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