Un contrat d’assurance vie en cas de décès, souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers
bénéficiaire qui accepte le bénéfice de ce contrat fonctionne selon le schéma suivant : le
souscripteur verse des primes d’assurance à l’assureur en contrepartie desquelles il demande à
l’assureur de couvrir son risque de décéder pendant une période donnée en versant au moment
de la réalisation du risque un capital à un tiers qu’il aura désigné préalablement(58).
Comme nous l’avons vu précédemment, ce contrat peut réaliser une donation indirecte
au profit du tiers bénéficiaire(59). C’est donc une opération par laquelle, dans un sens, le
donateur (le souscripteur/assuré) s’appauvrit des primes qu’il a payées à l’assureur et dans
l’autre sens, le donataire (le bénéficiaire acceptant) s’enrichit du capital qui lui sera versé par
l’assureur. Il y a deux mouvements de valeur. Le donataire va recevoir un bien qui n’a jamais
fait partie du patrimoine du donateur mais cela n’empêche pas la qualification de l’attribution
bénéficiaire de donation indirecte(60).
Cette donation est un peu particulière car elle fait intervenir trois personnes : un
donateur et un donataire comme dans toute donation classique mais également une troisième
personne, ni donateur, ni donataire, par laquelle transite le montant de la donation à savoir
l’assureur. Dans le cadre de cette donation particulière, la question s’est donc posée de
déterminer précisément l’objet de cette donation indirecte. Cette donation est-elle du montant
des primes versées par le souscripteur ou au contraire est-elle du montant du capital décès
versée par l’assureur ? Cette interrogation a longtemps divisé la doctrine ainsi que la
jurisprudence et les divise encore à l’heure actuelle dans la mesure où il importe de
déterminer la somme à laquelle il faudra appliquer les règles juridiques des libéralités(61) et les
règles fiscales(62). Cette interrogation a donc un important enjeu pratique.
Cette question a été amenée à se poser car très souvent dans le cadre de ces contrats
d’assurance vie, la somme de primes versées par le souscripteur ne correspond pas à la
somme du capital qui sera versée par l’assureur.
Afin de tenter de déterminer l’objet de la libéralité, il est tenu compte à la fois de
l’appauvrissement du souscripteur/assuré dans son patrimoine mais également de
l’enrichissement corrélatif du tiers bénéficiaire. La libéralité réalisée par l’attribution
bénéficiaire peut donc être du montant des primes versées par le souscripteur du contrat à
l’assureur ou du montant capital décès reversé par l’assureur au bénéficiaire. Pour déterminer
l’objet, l’étendue de la libéralité, il faut donc faire un choix entre ces deux options.
C’est sur le choix entre ces deux options que la controverse doctrinale et jurisprudentielle réside.
Pour certains auteurs(63), la libéralité réalisée est égale au montant des primes versées
par le souscripteur à l’assureur. Pour ces auteurs, le montant de cette libéralité est fixé par
l’enrichissement acquis par le tiers mais sans que le montant de cette libéralité ne puisse être
supérieur à l’appauvrissement du souscripteur/assuré. Plus précisément, ces auteurs font la
différence entre deux situations. Tout d’abord, dans la situation où le montant du capital versé
au bénéficiaire est plus important que le montant des primes versées par le souscripteur, ces
auteurs considèrent que la « donation n’est que du montant des primes »(64). En revanche,
lorsque l’on est dans la situation où le bénéfice du contrat à verser au bénéficiaire est d’un
montant inférieur à la somme des primes versées, ces auteurs considèrent que la donation est
alors du montant du bénéfice.
En revanche, pour d’autres auteurs(65) dont nous partageons l’opinion, la libéralité est
égale au montant du capital décès versé par l’assureur au tiers bénéficiaire. Pour faire valoir
leur opinion, ils fondent sur la définition d’une donation indirecte. En effet, selon le
vocabulaire juridique(66), une donation indirecte correspond à un avantage qui résulte d’un acte
autre qu’une donation. Comme nous l’avons vu précédemment, la stipulation pour autrui qui
réalise une donation indirecte n’est pas un acte qui peut exister de lui-même ; c’est un acte
dont l’existence dépend d’un autre acte auquel il est accolé.
Dans le cas d’espèce, la stipulation pour autrui réalisant une donation indirecte dépend du contrat
d’assurance vie souscrit à titre gratuit au profit d’un tiers bénéficiaire. C’est ce contrat d’assurance
contenant une stipulation pour autrui qui est à la base de la donation indirecte. Une donation indirecte
étant un avantage qui résulte de l’acte duquel elle dépend et auquel elle est accolée, en
l’espèce, la donation indirecte est l’avantage procuré par l’attribution bénéficiaire à titre
gratuit du contrat d’assurance vie. L’attribution bénéficiaire est donc égale au montant du
capital décès versé au tiers bénéficiaire au moment du dénouement du contrat d’assurance.
Il n’y pas eu donation directement des primes elles-mêmes du souscripteur au bénéficiaire mais
elles ont transité par le patrimoine de l’assureur. Le contrat d’assurance vie a ensuite
« transformé » ces primes en capital ou en rente (selon l’option qui aura été choisie par les
parties). Nous considérons que la donation doit être regardée comme ce qui a été
véritablement donné au bénéficiaire et plus précisément ce qu’il a véritablement reçu. Le
bénéficiaire reçoit dans son patrimoine ce qui lui est versé par l’assureur. Il semble donc que
la donation soit du montant du capital ou de la rente versé par l’assureur au tiers bénéficiaire.
58 Cf Annexe 3
59 Cf Annexe 6
60 Cf supra, même si le lien unissant le souscripteur au tiers bénéficiaire est indirect et que l’attribution
bénéficiaire implique l’intervention d’un patrimoine tiers (celui de l’assureur, de la compagnie d’assurance) par
lequel transite le montant des primes versées conditionnant le montant du capital qui sera versé au
bénéficiaire, cela ne remet pas en cause la possible qualification de l’attribution bénéficiaire du contrat
d’assurance de donation indirecte.
61 Les règles civiles applicables aux libéralités sont notamment le rapport à la succession et la réduction pour
atteinte à la réserve héréditaire
62 Les règles fiscales applicables aux libéralités sont la taxation en application des droits de mutations à titre
gratuit.
63 Dont Mr François Sauvage, L’assurance vie et le patrimoine de la famille, RGDA 1997, n°1 p 13 et s., spéc.
n°60
64 Traité de Jean Bigot, Tome 4, Les assurances de personnes, LGDJ 2007, n°288.
65 Tels que Mr Grimaldi, Réflexions sur l’assurance vie et le droit patrimonial de la famille, Defresnois 1994, art
35841, spéc. n°24.
66 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant.