Les sinistres sont une source d’information centrale pour les assureurs. Si la sinistralité leur permet d’améliorer leur intervention pour les futurs sinistres par un retour sur expérience bénéfique, elle permet également d’améliorer les risques présents en portefeuille.
Cette dynamique passe par une meilleure segmentation du marché, afin que le positionnement de l’assureur se redéfinisse sur les risques qu’il souhaite juridiquement et donc économiquement couvrir (A), ainsi que par un recentrage sur les bons risques détenus en portefeuille, et ce spécifiquement pour les grands risques (B).
A- Segmentation du marché
Les sinistres catastrophiques d’origine naturelle, plus que ceux d’origine qu’humaine, ont pour effet collatéral d’induire une sélectivité accrue des risques détenus en portefeuille. Les assureurs adoptent différentes postures d’assainissement de leurs engagements juridiques en cours ou futurs. Ils segmentent le marché selon les branches et la typologie de clients-cibles. La tempête Xynthia a permis de revoir certains usages de contractualisation en fonction de la zone géographique à couvrir pour les risques de multirisques habitation. Parallèlement, l’augmentation des sinistres naturels d’ « intensité normale » comme la grêle ou la pluie, pousse les assureurs à s’interroger et redéfinir les polices d’assurances dédiées aux risques agricoles.
La tempête Xynthia(231), comme avant elle la tempête Klaus(232) ont eu pour effet de relancer le débat relatif à la segmentation des tarifs des polices d’assurance en fonction la zone géographique pour les risques de particuliers et plus spécifiquement pour les polices Multirisques habitation. Il convient de préciser que la zone géographique est une variable du calcul de la prime pure pour les contrats automobiles. Une corrélation directe est établie entre sinistralité et zone de conduite pour ces risques. Les contrats de MRH n’incluent que peu de variables dans leur détermination de prime, aussi, forts de la connaissance des risques climatiques à venir sur certaines zones géographiques bien délimitées, les assureurs s’interrogent sur l’opportunité de segmenter en multirisques habitation, sur le même modèle que le risque automobile. Sur le créneau de l’automobile existe un impact comportemental prépondérant, le style de conduite déterminé par le bonus/malus et la sinistralité sont les éléments majeurs de la détermination de la prime finale que le souscripteur devra régler.
Sur le risque « habitation », les critères sont plus objectifs. La prime est déterminée de manière moins rationnalisée qu’en automobile, elle repose sur des notions de constructions, de type de biens, de nombre de pièces, de superficies. La prime pure évolue peu en fonction de ces critères, et dans le passé, des tentatives de tarification liées au risque de tempête avaient été imaginées pour les zones à risques. Toutefois, le résultat de ces modulations de prime en fonction de l’exposition géographique du risque en MRH n’avait qu’une influence infinitésimale sur la prime pure. Par exemple, en Bretagne, le risque de tempête est plus fréquent que dans le Cantal, aussi la région est plus vulnérable à la survenance de ce risque. Or les maisons bretonnes sont construites sur des bases de résistance aux vents, les événements naturels n’ont pas forcément un coût immaitrisable.
En revanche, l’apport de la tempête Xynthia est manifeste, elle a permis d’identifier des zones noires quant à la constructibilité, si les mutuelles continuent d’assurer les risques de leurs sociétaires actuels, elles refusent d’assurer de nouvelles maisons construites sur ces zones. Les refus seront systématiquement opposés lors de la phase de proposition d’assurance par le prospect espérant devenir souscripteur, si aucune mesure de prévention n’est prise dans les faits et présentée à l’entreprise d’assurance abordée.
Selon Laurence Lemerle(233), responsable technique habitation et immeuble au sein d’AXA France, « si le régime d’indemnisation des CatNat venait à évoluer, il est probable que la question du zonage serait un enjeu pour beaucoup d’assureurs. La limite de la mutualisation est qu’il n’y a pas de responsabilisation de l’assuré ». Il est clair que la prévention des risques va devenir une parade au refus de garantie des assureurs sur les risques de catastrophes naturels pour les risques de particuliers. Si les contrats à prime variable par zone géographique ne sont pas encore d’actualité à défaut d’aboutissement de la réforme du régime des CatNat, telle que présentée à l’occasion de la partie précédente, il est certain que les refus d’assurance sont déjà une réalité pour les zones à fort degré de vulnérabilité aux risques de catastrophes d’origine naturelle pour la cible des particuliers.
Le changement climatique se traduit, comme précisé en première partie, par une hausse de l’occurrence des risques majeurs mais également par une démultiplication des événements climatiques moins impactant mais dont le nombre a un poids défavorable à l’équilibre contractuel. Pour ces raisons, les produits façonnés pour répondre aux risques agricoles sont d’autant plus exposés aux risques environnementaux.
L’agriculture est le secteur économique dont les résultats sont les plus dépendants du climat. Cette vulnérabilité climatique est à l’origine la création du fonds National de Garantie des Calamités Agricoles par la loi du 10 juillet 1964(234). Ce fonds est une nouvelle manifestation de la solidarité nationale face aux risques climatiques et il s’agit en la matière d’une des plus anciennes initiatives toujours en vigueur. Le fonds indemnise les dommages matériels non assurables causés aux exploitations agricoles par les calamités considérées comme « des dommages non assurables d’importance exceptionnelle dus à des variations anormales d’intensité d’un agent naturel, lorsque les moyens techniques de lutte préventive ou curative employés habituellement dans l’agriculture n’ont pu être utilisés ou se sont révélés insuffisants ou inopérants ».
Ce fonds, a un mode de fonctionnement similaire au régime des catastrophes naturelles ou technologiques, à la différence qu’il ne couvre que les dommages matériels spécifiquement agricoles et qu’il est financé par les agriculteurs en acquittant les primes d’assurance, qui sont assorties d’une taxe parafiscale instituée au profit du Fonds, ce qui rejoint le financement du régime des CatNat. Le fonctionnement suppose la publication d’un arrêté interministériel par les autorités administratives compétentes, et présuppose la souscription d’une police d’assurance couvrant l’exploitation agricole, biens, fruits, sols et cheptels contre l’un au moins des risques reconnus dans le cadre de la région, normalement assurables par arrêté interministériel puis sur la proposition de la Commission nationale des calamités agricoles. Les dommages sont indemnisés sur évaluation des dégâts subis par l’exploitation.
La victime doit adresser une lettre recommandée au maire de la commune, dans les dix jours qui suivent la publication de l’arrêté interministériel au Journal Officiel, et constituer un dossier dans le mois qui suit. Dans un délai de deux mois, à partir de la réception des demandes par la direction départementale de l’Agriculture, le préfet adresse un rapport à la Commission nationale des calamités agricoles qui donne son avis sur le pourcentage d’indemnité à accorder en fonction de la nature des dégâts, de leur gravité, sans pouvoir dépasser 75% des dommages. Il existe des garanties spécifiques pour les exploitations agricoles et leurs risques sur le marché de l’assurance privée et notamment les contrats d’assurance contre la grêle qui est souscrit sur de longues périodes, c’est-à-dire dix ans en général, soit garantie des dégâts causés aux récoltes « exclusivement par l’action mécanique du choc des grêlons ». Toutefois, la garantie ne s’applique qu’à la récolte, le fruit de l’exploitation. La couverture n’est pas optimale. De même, il existe sur le marché la garantie tempête, qui est un complément du contrat d’assurance grêle sur récoltes, et suit les mêmes règles de fonctionnement. Elle est en revanche, limitée à certaines cultures particulièrement fragiles (qui sont le plus souvent le maïs, et le tournesol. Plus précisément, elle couvre les dommages matériels issus de « l’action mécanique d’un vent violent lors d’une tempête, d’un ouragan ou d’un cyclone ».
Outre la disposition légale, qui n’est qu’une réponse partielle par une extension de garantie obligatoire pour un contrat non-obligatoire, il est aisé de voir que le marché a été fortement segmenté. La FNSEA(235) précisait le 13 Août dernier les difficultés que rencontrent agriculteurs afin d’assurer leurs récoltes contre les risques climatiques qui ont causé d’importants dégâts cet été. La FNSEA indique «lorsque le risque est assurable, le fonds national de gestion des risques en agriculture ne pourra intervenir que pour couvrir les pertes de fonds ». La Cour des comptes mentionne que le développement de l’assurance récolte demeurait «à un stade de développement insuffisant » et que de ce fait «le basculement des indemnisations publiques vers l’assurance est donc loin d’être effectif ». En même temps, les pouvoirs publics ont entrepris une réduction des aides destinées aux compensations financières en cas de sinistre pour le secteur alors que la vulnérabilité aux risques augmente d’année en année.(236) En effet, les dispositifs de solidarité nationale sont un frein, à la souscription de polices d’assurance. De ce fait, l’assurance privée innove pour se recentrer au coeur de la couverture des exploitations agricoles afin que les exploitants trouvent des offres et produits à la mesure de leurs besoins.
Depuis 2005, des produits d’assurance multirisques climatiques pour les récoltes ont été mis en place. Cette innovation répondait une demande conjointe des organisations professionnelles agricoles que des pouvoirs publics. En 2011, ce créneau segmenté représente environ 70 000 souscriptions, soit 30% des terres françaises semées(237) environ. Cette pénétration est un succès en demi-teinte pour une assurance, rappellerons-le non obligatoire. Les contrats ne remportent pas le succès escompté auprès des exploitants, et ce malgré un niveau de subvention d’assurance multirisques « récolte » à hauteur de 65 % de la prime. Les conseils généraux proposent des subventions en vue d’inciter les exploitants agricoles à transférer leurs risques vers l’assurance privée. Pour favoriser les souscriptions, Allianz a amélioré ses produits disponibles en ajoutant de nouvelles garanties comme la perte d’exploitation. Ce type de produits satisfait pleinement les exploitations de grande taille mais le coût de la prime semble dissuader les exploitations de plus petite taille.
Aussi, Groupama a mis en place le produit « Climats » qui met en avant sa garantie « sécheresse » risque chronique et phobie des exploitants agricoles. La subvention des conseils généraux est également mise en exergue.(238) La volonté de pénétration de Groupama, « au coude à coude » dans le monde agricole avec le Crédit Agricole, a décidé d’offrir les extensions de garantie à douze autres événements climatiques pour tous les souscripteurs déjà titulaires d’une police d’assurance contre la grêle sur récolte pour l’exercice 2013 uniquement.(239) Une stratégie de portefeuille plutôt inédite. Les assureurs se positionnent différemment pour les risques d’entreprises et les grands risques plus particulièrement répondent à une autre logique de sélection des risques.
B- Impacts sur la stratégie de renouvellement
Les grands risques fonctionnent principalement sur des contrats d’assurance de long terme, appelés les « long terms agreements(240) ». Ces contrats sont pluriannuels et l’exposition au risque est analysée sous l’angle des sacrosaints SMP et SRE(241), scenarii catastrophes permettant de déterminer les engagements financiers maximaux par risque couverts au titre d’une police souscrite en fonction de ces termes et conditions. Cette approche basée sur le retour d’expérience « sinistres » qui rejoint l’ « école du sinistre » de Picard et Besson.(242)
Si les risques catastrophiques sont une des préoccupations majeures du secteur de l’assurance, ce dernier porte une attention particulière sur la multiplication des sinistres dont le coût est compris entre un et deux millions d’euros. Ces sinistres impactent directement les résultats des assureurs car leur coût se situe au-dessus des seuils moyens de rétention. Ils sont le fruit de la politique urbaine en matière industrielle. Les sites industriels sont en général concentrés sur une même zone en périphérie des villes et dans des zones de compétences industrielles, comme la Silicone Valley en Californie ou l’industrie pharmaceutique en région Lyonnaise. La concentration accroit les valeurs assurées, comme précisé en première partie, les capitaux en jeu sont très importants et par conséquent le SMP pour un site industriel sera, de facto, très élevé. Le portefeuille devra donc se composer essentiellement de SMP encadré par les opportunités de capacités disponibles pour les assureurs et la réassurance sans oublier les mécanismes de transfert alternatif des risques. C’est le premier critère de sélectivité.
Dans l’économie actuelle, marquée par un essoufflement économique européen, Daniel Ellzam de GAN Eurocourtage dénote qu’une « crise économique impacte mécaniquement les résultats techniques dans la mesure où la sinistralité d’origine inconnue à tendance à augmenter. A contrario, les budgets en matière de prévention se rétractent fortement ». Ce qui signifie, autrement dit, que la conjoncture actuelle mêle hausse des événements catastrophiques et de leurs coûts, une augmentation des sinistres d’origine naturelle moyens en raison de l’accroissement de leur récurrence, vont dans le sens d’une augmentation prime, par effet mécanique. Dans le même sens, toujours en raison de la conjoncture, la prévention des risques n’est plus un enjeu de la politique d’entreprise ; alors qu’elle permet justement de réduire les coûts à long terme des sinistres auto assurés, ce qui va tout autant dans le sens d’augmentation de primes.
Toutefois, les assureurs peuvent récompenser les bons élèves, comme précisé précédemment, par des réductions de primes. Au moment fatidique du renouvellement, l’assuré qui se sera vu attribué des réductions de prime sera fidélisé. L’innovation en la matière est conjoncturelle, en raison de l’incertitude business marquée par la crise, les assureurs préfèrent récompenser les bons risques, disposant d’un ratio sinistre-à-prime satisfaisant, en faisant bénéficier leurs assurés de renouvellement LTA à taux fixe. Nadia Coté, Directrice Grands Comptes et international au sein de ACE indique que « face au contexte évolutif du domaine, la profession a développé une nouvelle génération de couvertures » et elle ajoute que « ces programmes ont le mérite de susciter l’intérêt des clients. Cependant, cela représente un coût supplémentaire qui explique que la décision d’achat, -pluriannuels, reste difficile. ».
Certains assureurs n’hésitent pas à proposer des prolongements avant même que les renouvellements commencent, c’est ce que la profession appelle le roll-over, sorte de dumping des renouvellements. L’intérêt sous-jacent est la fidélisation des bons risques à faible sinistralité qui équilibrent le portefeuille des assureurs. Allianz par exemple proposait en 2009-2010 des prolongements en appliquant un taux de valorisation de 5 à 10%. Le roll-over témoigne de la nouvelle stratégie post crise de 2008 selon laquelle les assureurs préfèrent garder un risque à la sinistralité faible voire maitrisée quitte à limiter ses marges futures plutôt que d’attendre l’échéance et risquer de voir un bon risque quitter son giron. La concurrence, et en particulier sur le marché français de l’assurance, est très tendue. Beaucoup d’acteurs qui s’intéressent aux grands risques, mais cette sélectivité ne va pas s’arrêter à la technique de roll-over. Dès que la conjoncture le permettra, l’approche préventionniste sera plébiscitée par les assureurs. L’appétit des acteurs en présence sur le marché des risques d’entreprises, induit une sélectivité minimale et constitue un frein à une reprise ingérable en temps de crise d’un hard market.
Les assureurs se positionnent et sélectionnent leurs risques sans cesse croissants. Ils s’impliquent, par extension, en investissant dans des projets de mécénat de développement durable à dominante environnementale et s’engagent à être eux aussi des acteurs de la politique globale de la réduction du réchauffement climatique par des actions d’introduction du développement durable comme composante de la gouvernance d’entreprise ou l’orientation de la gestion d’actifs vers le « socialement responsable » ( Chapitre 2).
231 La tempête Xynthia survenue le 27 février 2010.
232 Du 28 janvier 2009.
233 http://www.argusdelassurance.com/acteurs/vers-une-segmentation-des-tarifs.45391
234 Loi du 10 juillet 1964 n° 64-706
235 Fédération nationales des syndicats d’exploitants agricoles.
236 Réduction de près de réduire d’un quart l’enveloppe destinée à l’assurance-récolte, qui est passée de 100 millions d’euros en 2012 à quelques 77 millions en 2013. Source
237 Interview de Stéphane Gin, Président du comité Agricole de la FFSA. http://www.ffsa.fr/sites/jcms/p1_427775/fr/assurance-recolte-trois-questions-a-stephane-gin?cc=p1_82151
238 http://www.groupama.fr/agricole-mon-activite-et-mes-revenus/agricole-mes-biens-professionnels/agricole-n-mes-recoltes.html.
239 http://www.lafranceagricole.fr/dossiers/gestion-et-reglementation/assurance-recolte-les-contrats-d-assurance-multirisque-climatique/coup-de-theatre-groupama-offre-l-assurance-recolte-a-ses-clients-garantis-contre-la-grele-7426.html
240 Ci-après dénommés « LTA »
241 Sinistre maximum possible et sinistre raisonnablement escomptable. http://www.ffsa.fr/webffsa/risques.nsf/b724c3eb326a8defc12572290050915b/739766f0d096ae31c125743b0055735a/$FILE/Risques_49_0024.htm
242 Traité sur les assurances terrestres, 5ème Edition