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Section 2 – Motifs de cassation inadéquats

D’après l’article 604 du Code de procédure civile, « le pourvoi en cassation tend à faire
censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles
de droit ». Le Code ne donne pas de liste limitative des motifs de cassation mais la
doctrine et la jurisprudence sont parvenues à dresser un panorama de ces motifs dont font
partie « la violation de la loi » et « le manque de base légale ».

§ 1 – Manque de base légale

Le « manque de base légale » constitue un vice de fond, lequel est propre à fonder la
cassation d’une décision dès lors que celle-ci contient des motifs insuffisants pour que les
haut-juges puissent exercer leur contrôle en droit. Ainsi, la motivation sera insuffisante
lorsque les juges n’auront pas relevé suffisamment d’éléments de fait pour caractériser les
conditions de la faute intentionnelle, quand bien même sa définition jurisprudentielle aurait
été rappelée. A titre d’exemple, la cassation peut être prononcée à l’encontre du jugement
ou de l’arrêt pour lequel les juges n’ont pas relevé suffisamment d’éléments de fait propres
à démontrer la volonté de causer le dommage survenu. En toute rigueur, ce motif de
cassation devrait être adopté chaque fois que les juges n’ont pas relevé suffisamment de
faits établissant le geste volontaire et/ou la volonté de provoquer le dommage
effectivement réalisé.

§ 2 – Violation de la loi

La « violation de la loi » vise à sanctionner une application erronée des règles de droit,
celles-ci étant entendues au sens large (Constitution, textes législatifs et règlementaires,
textes internationaux) puisqu’est aussi prise en compte la jurisprudence de la Cour de
cassation. Dans le cadre de la faute intentionnelle, encourt la cassation l’arrêt qui, tout en
écartant la garantie d’assurance, ne fait pas référence à un geste volontaire et conscient,
ou à la volonté de causer le dommage effectivement survenu. Néanmoins, il est
regrettable de constater que la Cour régulatrice ne fait pas toujours preuve de rigueur
quant à l’application de ses propres motifs de cassation.

§ 3 – Confusion entre les motifs de cassation

Cette confusion remonte à une période relativement ancienne. En effet, dans un arrêt de
1981(50), une Cour d’appel avait retenu une faute intentionnelle contre un conseil juridique
au motif que celui-ci avait délibérément sacrifié les intérêts de sa cliente, sans évoquer la
recherche du dommage. Pour autant, l’arrêt d’appel est cassé pour défaut de base légal,
alors que la violation de la loi était flagrante.

Plus récemment, cette confusion est soudainement réapparue dans trois arrêts de 2006.
Dans le premier arrêt(51), un enfant avait chuté du haut d’une aire de jeu aménagée sur la
toiture d’un bâtiment mis en copropriété. Or, la Cour d’appel avait, pour écarter l’appel en
garantie formé contre l’assureur de responsabilité, retenu la faute de ladite copropriété
pour ne pas avoir voté l’installation de garde-corps, sans évoquer la volonté de provoquer
le dommage survenu. La cassation s’imposait donc, non seulement parce que cette faute
ne relevait que d’une simple négligence, impropre à caractériser une faute volontaire, mais
aussi parce que le dommage ne pouvait en aucun cas avoir été recherché. Pour autant, la
cassation fut prononcée pour manque de base légale, alors que la violation de la loi
s’imposait.

Dans la seconde espèce(52), deux dirigeants d’une société avaient été condamnés pour
complicité de dégradation d’immeuble par incendie et tentative d’escroquerie. La Cour
d’appel s’était fondée sur cette infraction pour retenir le caractère volontaire de la faute
exclusive de la garantie d’assurance. Néanmoins, la Cour d’appel n’avait pas rappelé la
définition jurisprudentielle de la faute intentionnelle. L’arrêt est cassé, au motif que les
juges du fond n’ont pas recherché si les auteurs de l’infraction avaient eu la volonté de
provoquer le dommage survenu, mais pour manque de base légale, alors que la violation
de la loi était le motif approprié.

Enfin, dans la troisième espèce(53), un avocat spécialisé dans les procédures d’adjudication
immobilières avaient tardé à verser les fonds consignés par ses clients et ceux-ci en ont
subi les conséquences puisque le Trésor leur réclamait des intérêts de retard. Néanmoins,
la Cour d’appel a écarté la garantie de l’assureur de responsabilité professionnelle de
l’avocat au motif que celui-ci avait connaissance et conscience du dommage qu’il causait
aux acquéreurs, sans se référer à la recherche du dommage. En toute rigueur, au regard
de la conception stricte de la faute intentionnelle adoptée par la Cour régulatrice, l’arrêt
aurait dû être cassé pour violation de la loi. Pourtant le pourvoi est rejeté, les haut-juges
considérant comme suffisant le fait que l’avocat ne pouvait pas ne pas avoir conscience
du dommage qu’il causerait à ses clients.

Dire que la position de la Cour de cassation en matière de faute intentionnelle est peu
claire est un euphémisme. Jérôme Kullmann n’hésite pas à parler de « cacophonie
jurisprudentielle » et son opinion est partagée par Sabine Abravanel-Jolly(54). Cette situation
accroît encore le trouble entourant l’appréciation de la faute intentionnelle, cette notion
étant tiraillée entre deux objectifs : ne pas laisser les victimes sans débiteur solvable et ne
pas favoriser la mauvaise foi du débiteur en la laissant impunie.

50 Cass. 1re, civ., 20 janv. 1981, Bull. civ. I, n°19, note J. Kullmann, RGDA 2006, p. 632.
51 Cass. 2e, civ., 24 mai 2006, n°05-14.942, note J. Kullmann, RGDA 2006, p. 632.
52 Cass. 2e, civ., 24 mai 2006, n°05-13.547, RGDA 2006, p. 632.
53 Cass. 2e, civ. 24 mai 2006, n°03-12.024, RGDA 2006, p. 632.
54 Actuassurance.com, Janv. 2009, n°10, Notion de faute intentionnelle en assurances : une nécessaire
dualité, note S. Abravanel-Jolly.

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