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Section 2 : Regret: maintien de la jurisprudence antérieure et du dualisme juridictionnel

§1. Renvoi à la jurisprudence antérieure à la loi Kouchner

Comme nous l’avons déjà évoqué de manière regrettable, la loi du 4 mars 2002 n’est pas allée jusqu’à la mise en œuvre d’un régime spécifique de responsabilité du fait des produits de santé. Ce régime de responsabilité ne s’est pas vu reconnaitre une autonomie au regard des dispositions des articles 1386 et suivants du Code civil. Il a, en effet, été précisé que l’article L.1142-1 I du Code de la santé publique « ne modifie pas les règles de responsabilité du fait des produits défectueux définis par la loi n° 93-389 du 19 mai 1998 »(90)

Par ailleurs la loi Kouchner renvoie clairement à la jurisprudence antérieure. Ce renvoi apparaît dans l’exposé des motifs du projet de loi qui déclare que « le présent texte n’entend pas revenir sur la jurisprudence établie en matière de responsabilité des professionnels ou des établissements lors de l’utilisation ou de la délivrance au cours des soins d’un produit défectueux, ni a fortiori, sur les règles générales de responsabilité des fabricants ou des fournisseurs de produits ».

Le fait que la loi ne modifie pas substantiellement la jurisprudence antérieure est regrettable dans le sens où les juges font preuve d’exigence à l’égard des professionnels de santé notamment en ce qui concerne le fait générateur de responsabilité.

En effet, les professionnels de santé sont susceptibles d’engager leur responsabilité non seulement pour faute, mais également en l’absence de faute.

La faute est appréhendée par les juges avec fermeté. La preuve en est que toute violation des règles de l’art est susceptible d’être sanctionnée.

Par ailleurs, la condamnation de la faute de maladresse par la jurisprudence témoigne de cette rigueur. La Cour de cassation a ainsi refusé de l’assimiler à un aléa qui ne serait pas pris en charge par le professionnel de santé.(91)

Les tribunaux sanctionnent également le fait pour un médecin, dans le doute sur un diagnostic, de ne pas consulter un confrère plus avisé.

Quant à l’obligation d’information, elle n’a pas davantage connu d’évolution depuis la loi Kouchner. Récemment encore, un médecin a été reconnu fautif de ne pas avoir suffisamment informé sa patiente quant aux effets secondaires d’un traitement antirides.(92)

Dans le même esprit, le Conseil d’État a rappelé que cette obligation ne cessait pas avec la sortie du patient de l’établissement de soins.(93)

Même en matière de responsabilité objective, les juges sont exigeants avec les professionnels de santé. Notamment pour l’obligation de résultat relative aux infections nosocomiales. La solidarité nationale ne joue que pour les infections contractées après le 1er janvier 2003. En outre, cette indemnisation est conditionnée puisque la victime doit faire état d’un taux d’IPP de 25% ou d’une incapacité de travail d’une durée totale de six mois. Au final, seule une petite part de ces dommages relève de la solidarité nationale, la plupart restent de l’entière responsabilité des établissements de soins ou des médecins.

§2. Maintien d’un dualisme juridictionnel source de divergences et d’inégalités

La loi du 4 mars 2002 n’a pas mis un terme au dualisme juridictionnel existant en matière de responsabilité civile médicale et plus particulièrement en matière de responsabilité du fait des produits de santé. En effet, le contentieux qui nait à la suite d’un dommage causé par un produit de santé peut être traité soit par les juridictions judiciaires soit par les juridictions administratives en fonction des acteurs intervenant dans l’affaire.

En toutes matières, et pas seulement en responsabilité médicale, le dualisme juridictionnel est inévitablement source de divergences. Cette affirmation se vérifie dans le contexte de la responsabilité civile médicale.

Tout d’abord, s’agissant de l’obligation d’information mise à la charge du professionnel de santé, le contenu de cette obligation fait l’objet d’une divergence entre le juge judiciaire et le juge administratif. En effet, la Cour de cassation, en conformité avec l’article L.1111-2 du Code de la santé publique, écarte les risques exceptionnels94. Le Conseil d’État, au contraire, déclare que « (…) la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation ».(95)

Par ailleurs, suite à l’arrêt du 21 décembre 2011(96) par lequel la CJUE valide la jurisprudence antérieure prônant une responsabilité civile sans faute du médecin, de l’établissement ou de l’hôpital en cas de défaillance d’un produit utilisé, nous avons assisté à un revirement par la Cour de cassation de sa jurisprudence établie depuis plus de 20 ans en la matière. En effet, les juges judiciaires ont redéfinit le régime de la responsabilité du prestataires de soins en exigeant une responsabilité pour faute si le médecin ou l’établissement de santé n’est que l’utilisateur ou le fournisseur du produit.

A contrario, le Conseil d’État, dans la lignée de ce que préconise la CJUE, a maintenu sa jurisprudence basée sur une responsabilité objective. A titre d’illustrations, les juridictions administratives ont retenu la responsabilité civile sans faute de l’établissement public de santé en cas de brûlures d’un patient par un matelas chauffant(97).

Il résulte donc une divergence sérieuse entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives. Ces différences de traitement sont préjudiciables aux victimes qui doivent faire face à des inégalités. En effet, il paraît aberrant qu’une personne soit plus ou moins bien indemnisée du dommage qu’elle a subi en raison du lieu de survenance de ce dommage (établissement privé ou public). Ainsi, en suivant la jurisprudence actuelle, il serait préférable pour une victime de subir un dommage lié à un produit de santé au sein d’un hôpital public où la responsabilité de l’établissement pourra être retenue sans faute de la part du personnel et donc plus facilement que dans un établissement privé qui exige une faute du prestataire de soins pour engager sa responsabilité.

Il découle également de cette jurisprudence changeante une insécurité juridique tant pour les professionnels ou établissements de santé que pour les victimes qui ne peuvent avoir aucune certitude sur l’aboutissement du contentieux.

90 Rapport à l’Assemblée Nationale de C. Evin, B. Charles, JJ. Denis, doc n°32631 p.22
91 Cass. civ 1ère, 18 sept. 2008, n°07-12.170, Bull. Civ. I n°205
92 Cass. civ 1ère, 22 nov. 2007, Bull. Civ. I, n°368, n°06-14.174
93 CE 2 sept. 2009, n°292783
94 Cass. civ. 1ère, 26 sept. 2012, n° 11-22384, RCA déc. 2012, comm. 358
95 CE, 5e et 4e ss-sect., 24 sept. 2012, n°339285: JurisData n° 2012-021521, RCA nov. 2012 comm. 315.
96 Voir supra n°85
97 CE, 12 mars 2012, n°327449

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