§ 1 – Faculté de renonciation et arbitrage
Afin de permettre au souscripteur d’infirmer son consentement au contrat d’assurance vie, la
loi prévoit à son bénéfice un court délai de renonciation (trente jours calendaires), le contrat
étant valablement conclu dès sa souscription mais étant, dans ce délai, sujet à une pure et
simple renonciation qui n’a pas à être motivée. Ces dispositions, valables autant pour les
contrats d’assurance vie individuels que collectifs135, sont issues de la directive 92/96/CEE du
10 novembre 1992. Le Code prolonge le point de départ du délai de renonciation comme
sanction au manquement aux obligations précontractuelles d’information, jusqu’à la complète
réception de cette documentation. Le respect de ces obligations conditionne le point de départ
du délai de renonciation. La grande efficacité de cette sanction consiste notamment dans
l’inutile preuve d’un préjudice136 (que la jurisprudence n’estime pas contraire au principe de
proportionnalité de la sanction imposé par l’article 10 du Traité CE). Le seul défaut
d’information suffit à entraîner cette sanction, qui ne se place donc pas sur le terrain de la
responsabilité civile mais d’un droit spécial.
Une jurisprudence nourrie a élaboré une analyse détaillée de ces mécanismes. De nombreux
souscripteurs de plus ou moins bonne foi, déçus des performances de leur contrat, parfois mal
arbitrés, ont recouru à ces arguments pour exiger de l’assureur la restitution pure et simple de
leur prime en arguant de l’anéantissement rétroactif du contrat pour défaut d’information.
L’objet des débats se résume en quelques questions, soulevées par les assureurs afin de rejeter
les demandes de renonciation qu’ils considèrent comme excessives :
– le délai de prorogation du point de départ de la faculté de renonciation est-il conforme
au droit européen ? Dans sa rédaction ancienne, l’exercice de cette faculté devait-elle
être limitée dans le temps ? Etait-ce conforme aux nécessités de “concilier protection
de l’épargnant137 contre les conséquences d’un consentement éventuellement donné de
manière précipitée avec l’impératif de sécurité des transactions ?”138 La Cour d’appel
de Versailles a notamment justifié très clairement la solution contraire, également
confirmée par la Cour de cassation139, en jugeant que “la finalité de la directive
2002/83/CE telle qu’elle résulte de son préambule, est de veiller à garantir au preneur
d’assurance le plus large accès aux produits d’assurance en lui assurant, pour profiter
d’une concurrence accrue dans le cadre du marché unique de l’assurance, les
informations nécessaires pour choisir le contrat convenant le mieux à ses besoins, et ce
d’autant plus que la durée de ses engagements peut être longue”. Les requérants, même
sous l’empire de la loi ancienne, ne pourront pas obtenir gain de cause sur ce
fondement, et le texte de l’article L. 132-5-2 énonce désormais un délai de huit ans
pour l’exercice de cette faculté une fois le souscripteur informé de la conclusion du
contrat.
– quelle incidence la mauvaise foi du souscripteur peut-elle avoir sur la sanction ? La
jurisprudence confirmée de la Cour de cassation rejette (au grand dam des assureurs)
l’idée d’un abus du droit de renoncer tardivement au contrat : elle analyse cette faculté
discrétionnaire comme une pure sanction de l’assureur, qu’importe le degré de
connaissance financière du souscripteur140 et « la bonne foi n’[étant] pas requise »141.
– le souscripteur peut-il avoir renoncé à user de cette faculté ? Peut-elle être déniée au
souscripteur qui aura fait vivre son contrat ? Certains actes sur le contrat sont
effectivement admis comme susceptibles d’interdire la renonciation ultérieure du
souscripteur à son contrat. La jurisprudence constante142 retient que « les opérations
antérieures de l’assuré, notamment les opérations d’arbitrage et de rachats partiels,
ne constituent pas un obstacle à l’exercice du droit de renonciation de l’assuré » selon
N. LECOQ-VALLON et H. FERON-POLONI, avocats143. Un arrêt récent de la Cour
de cassation l’a encore confirmé (Civ 2°, 3 septembre 2009, n° 09-10475), dès lors
que faute de délivrance de l’information précontractuelle requise, le droit de renoncer
n’est pas né si bien qu’il n’est pas possible d’y renoncer, même par des actes
d’arbitrage.
– le souscripteur, une fois qu’il a fait connaître son intention de renoncer au contrat,
peut-il être admis à y avoir tacitement renoncé pour l’avoir exécuté et ainsi rendu
définitif ? A ce titre, la Cour de cassation énonce le principe suivant :
« la demande de rachat total d’un contrat d’assurance sur la vie met fin à ce contrat
et prive de tout effet la faculté de renonciation exercée antérieurement » : le
souscripteur ayant racheté le contrat renonce donc à y avoir renoncé144. A défaut
d’anéantir le contrat, les autres actes d’exécution du contrat peuvent-ils être tenus pour
des « actes d’exécution incompatibles avec cette faculté » ? C’est la solution retenue
pour la prolongation d’une délégation de créance sur le contrat au profit d’une banque
(Civ 2, 25 février 2010, pourvoi 09-11352, précité).
Quelle solution la pratique peut-elle apporter à cette interprétation, quand le
souscripteur, après avoir renoncé au contrat, et se heurtant à la résistance de l’assureur,
a besoin des fonds qu’il revendique (pour couvrir une dette, par exemple) ? Le même
problème se pose au souscripteur qui aura renoncé au contrat mais souhaite effectuer
des arbitrages à titre conservatoire pour éviter de voir les unités de compte trop
dévaluées en fonction des circonstances boursières. La solution peut être
contractuelle : l’acte d’exécution ne devra pas être qualifié d’acte univoque de
renonciation par le souscripteur à sa renonciation au contrat. Un arrêt de la deuxième
chambre civile de la Cour de cassation du 9 juillet 2009145 admet comme équivoque un
acte (en l’occurrence une demande de rachat) exécuté après renonciation dès lors que
le souscripteur exprimait concomitamment par écrit sa volonté de conserver le
bénéfice de la renonciation et qu’une instance était en cours à ce sujet, auquel il
n’entendait pas renoncer. Par analogie, le souscripteur arbitrera tout en exprimant la
réserve selon laquelle il entend néanmoins conserver le bénéfice de sa renonciation. Il
conviendra que cette réserve expresse soit mentionnée comme un élément essentiel de
son consentement à l’arbitrage, dans l’avenant ou l’ordre d’arbitrage qu’il aura émis.
– Enfin, quel est le délai de prescription de l’action en restitution des primes au titre de
la renonciation ? La jurisprudence considère que l’action en restitution dérive du
contrat d’assurance146 et retarde le point de départ de la prescription biennale147, non à
la souscription du contrat (ce qui aurait pour effet de priver d’effet la renonciation
ultérieure !) mais au refus de l’assureur de procéder au remboursement148. La date de
l’exercice de la renonciation pourrait également être retenue comme point de départ.
En définitive, il ne sera pas interdit au souscripteur de renoncer au contrat après y avoir
arbitré.
Par ailleurs, un souscripteur qui aura exercé sa faculté de renonciation devrait éviter de
procéder à des arbitrages ultérieurs, mais si c’est le cas, son ordre d’arbitrage devra couvrir
des actes purement conservatoires (afin qu’on ne l’analyse pas comme un acte d’exécution du
contrat invalidant la renonciation) et s’exprimer moyennant une réserve expresse du bénéfice
de la renonciation (dont il conservera la preuve par le formalisme de la lettre recommandée
avec accusé de réception, ou contre signature de l’assureur, pour plus de sécurité juridique). Si
toutefois l’assureur ne faisait pas droit à sa demande de remboursement, il devra respecter le
délai de prescription biennal pour réclamer le versement du montant des primes.
§ 2 – L’annulation du contrat sur les fondements de la théorie générale des obligations
A défaut de pouvoir renoncer au contrat selon les formes énoncées par le Code des assurances
(par exemple dans le cas d’un rachat total, ou encore si les huit ans impartis pour exercer cette
faculté sont écoulés), certains justiciables sont tentés d’engager une action en annulation du
contrat sur les fondements de la théorie générale des obligations. Par recours à la théorie de
l’erreur sur la substance (art. 1108 du Code civil), ils soutiennent que leur consentement a été
vicié au moment de la souscription ; la jurisprudence ne fait toutefois pas droit à ces
demandes149. En présence d’«une erreur de choix de placement, cette erreur ne peut en aucun
cas s’analyser en une erreur sur la substance de ce placement lui-même, laquelle était claire,
tout comme ne constitue pas une erreur sur la substance du contrat le fait qu’elle n’ait pas
perçu l’économie de celui-ci».
L’on a pu voir certains preneurs d’assurance crier à l’escroquerie et à l’abus de confiance : sans
donner foi à ces accusations pénales150, on peut avoir recours à la théorie du dol : c’est ce
qu’indique le même arrêt pour censurer la décision qui lui était soumise, faute pour la
juridiction de premier degré d’avoir examiné cette question. La jurisprudence devra toutefois
caractériser les manoeuvres dolosives. A ce titre, la Cour d’appel de Paris dans l’arrêté précité
du 20 décembre 2007151 donne un exemple de son raisonnement dans le considérant suivant :
« le dol, dont se plaint M. X…, n’est pas caractérisé du fait du non respect des dispositions
sus-visées de l’article L132-5-1 du Code des assurances dont la sanction est la restitution des
sommes versées et non l’annulation des contrats ni à l’encontre de l’assurance ni à l’encontre
de la banque, M. X… ayant disposé grâce aux conditions générales valant note d’information
et aux notices sur les unités de comptes envisagées intitulées “descriptif des supports à capital
variable disponibles” de toute l’information utile à un consentement éclairé avant de signer le
contrat d’assurance vie ». Le manquement aux obligations d’information formelles ne suffit
donc pas à caractériser l’existence d’un dol, qui devra être démontré par des éléments
complémentaires, ce qui est fort légitime eu égard à la lourdeur de sa sanction (l’annulation
pour vice de consentement).
§ 3 – La mise en cause de la responsabilité civile contractuelle de l’assureur pour défaut de respect des obligations formelles d’information
Faute de pouvoir renoncer au contrat, certains preneurs d’assurance ont tenté de mettre en jeu
la responsabilité de l’assureur pour défaut d’information. Selon l’expression de
A. ASTEGIANO-LA RIZZA, “la porte d’entrée étant fermée (exit la prorogation de la
faculté de renonciation pour défaut de remise de la notice), l’assuré essayait de passer par la
fenêtre (bienvenue aux informations essentielles non communiquées lors de la souscription du
contrat).”
Un pourvoi soutenait que l’existence de la faculté de renonciation excluait le possible jeu de
la responsabilité civile. A ce sujet, la Cour de cassation censure un arrêt de cour d’appel faute
d’avoir examiné si les manquements à l’obligation d’information n’étaient pas de nature à
engager la responsabilité civile de l’assureur152. Notons à ce titre le visa de l’article 1382 du
Code civil, dans la mesure l’on reproche au professionnel une faute délictuelle antérieure à la
conclusion du contrat.
L’appréciation, par la Cour de cassation, de l’existence d’une faute au sens de l’article 1382
du Code civil s’attache à la nature de l’information qui n’aura pas été délivrée : à ce titre,
N. EYMARD-GAUCLIN énonce : « Dans sa grande sagesse, la Cour considère que dès lors
que l’assureur a communiqué les caractéristiques essentielles du contrat et des supports
financiers, ainsi que les risques associés, il a satisfait à ses obligations, peu importe que
certaines mentions exigées par le Code des assurances aient été omises. »153 C’est également
la position de nombre de commentateurs selon lesquels “le fond doit être privilégié à la
forme”154, que la Cour de cassation semble avoir entendue155.
Les mêmes actions sont susceptibles d’être intentées sur le fondement de l’article 1147 du
Code civil, en ce sens que l’obligation contractuelle d’information n’aurait pas été respectée.
Il est à gager que le même type de solution serait apporté sur ce même fondement, encadré
dans le délai de prescription biennal propre au contrat d’assurance. Encore faudrait-il apporter
la preuve d’un préjudice distinct de “celui de tous les investisseurs en bourse de voir leurs
placements financiers réduits avec la chute des marchés”, comme argue un pourvoi devant la
Cour d’appel d’Agen(156).
131 Pour un exemple de transformation de contrat d’assurance vie en contrat “DSK”, Cour d’appel de Versailles
20 octobre 2006, RG 471.
132 A 132-22
133 A 132-7
134 L132-4, L132- 5 1 et suivants, A 132-5.1
135 Cour d’Appel de Versailles 22 novembre 2007, RG 06/8739
136 ibid.
137 qui aura pu être qualifiée de « pathologique » : Philippe PIERRE, Traité du contrat d’assurance terrestre,
sous la direction de J. BIGOT, Litec, 2008, n° 2146
138 ibid.
139 Civ 2°, 9 juillet 2009, pourvoi 08-18.730
140 pour l’exemple d’un salarié d’une entreprise d’assurance souscripteur, voir CA Rennes 15 février 2006 RG
04/07506 précitée
141 voir notamment Civ 2, 25 février 2010, pourvoi 09-11352, actuassurances.com
142 voir par exemple Cour d’appel de Rennes 15 février 2006 RG 04/07506 : « C’est […] à tort que le Premier
Juge a estimé que le seul fait d’avoir procédé à des arbitrages concernant les sommes ou valeurs choisies valait
renonciation de la part de M. Xavier X… à revendiquer le bénéfice de la protection légale. »
143 Arbitrage et nantissement ne font pas perdre le droit à renonciation, V. CLEMENT, L’Agefi Actifs,
2 octobre 2009
144 Civ 2°, 22 octobre 2009, JCP E 1er avril 2010 N° 1322, confirmé également par Cass. civ 2, 14 janvier 2010, n°
08-13566
145 pourvoi 08-182.241 – inédit au bulletin
146Civ 2°, 24 juin 2010, pourvoi n° 09-10.920, commenté dans : Assurance vie : la fonction de la prescription
biennale en matière de renonciation, J. SPERONI, L’Argus de l’assurance, 16 juillet 2010
147 L114-1 al 1
148 TGI Paris 27 mai 2004, RGDA 2004 p. 995 et suivants
149 Voir par exemple Civ 2, 8 octobre 2009, pourvoi 08-18.928, les conditions générales valant note
d’information définissant clairement le contrat collectif d’assurance sur la vie, l’adhérente étant dès lors
informée de l’économie du contrat.
150 Cas. Civ 2°, 12 mars 2009, pourvoi 08-15322, cas où la plainte avait abouti à un non-lieu
151 RG : 06/11908
152 Civ 2°, 24 juin 2010, pourvoi n° 09-10.920
153 l’Argus de l’assurance, 2 octobre 2009, p 62
154 A. ASTEGIANO-LA RIZZA, précitée
155 Cas. 2è Civ, 9 juillet 2009, pourvoi 08-18730, observations in Actuassurance.com
156 CA Agen, Civ 1°, 7 novembre 2005
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