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Section 2 – Un élargissement source d’interrogations

ADIAL

42. Plan

L’élargissement des contours de la faute lourde suscite deux types d’interrogations. La première tient au rôle de la volonté des parties quant à la qualification d’obligation essentielle ou accessoire dans le contrat (§1). La seconde s’attache à la sanction qui est de tenir en échec la clause limitative ou exonératoire de responsabilité tout en maintenant le contrat (§2).

§1 – L’instrumentalisation possible de la notion d’obligation essentielle par la volonté des parties

43. Les sources de la qualification d’obligations essentielle ou annexe

On différencie traditionnellement l’obligation qui est fondamentale par nature de celle qui l’est par la volonté des parties(1). La première serait celle qui « découle de la nature des choses »(2) car « il y a dans chaque contrat, de par son économie, une obligation qui en constitue la pièce essentielle »(3).
Tel est le cas de l’obligation de délivrance pour le vendeur ou le paiement du prix pour l’acheteur.
Cependant, les parties, en raison du principe de liberté contractuelle, peuvent également décider de conférer à une obligation accessoire la qualification d’obligation essentielle(4). Une telle obligation deviendrait alors fondamentale en raison de la volonté des parties. Ainsi M. JESTAZ écrit que « la volonté des parties, paradoxalement plus forte que celle du législateur, pourrait bien hisser une obligation annexe au premier rang ex-aequo du contrat en en faisant l’accessoire indispensable de l’obligation fondamentale : car peu importe que par nature une obligation ait un caractère secondaire si en l’espèce le créancier lui attribue un rôle déterminant. En pareil cas, cette obligation doit recevoir exécution et le contrat serait encore entaché de potestativité si quelque clause insidieuse ou peu visible permettait d’en dispenser le débiteur. L’obligation devient alors fondamentale par la volonté des parties »(5).
C’est cette possibilité de qualifier une obligation accessoire en obligation essentielle, et inversement, qui soulève des interrogations.

44. Le risque d’instrumentalisation de la notion d’obligation essentielle

Retenir une conception large de la faute lourde participe à une volonté d’assurer une plus grande justice contractuelle. L’objectif est donc louable. Cependant l’utilisation de la notion d’obligation essentielle pourrait également conduire au résultat opposé en permettant au débiteur défaillant de s’exonérer de quasi toute sa responsabilité. En effet, nous venons de préciser que la seule volonté des parties suffit à transformer une obligation accessoire en une obligation essentielle. Envisagée dans ce sens, cette possibilité offerte aux parties ne pose pas de difficultés car elle n’a pas pour conséquence de décharger le débiteur de sa responsabilité. Ainsi, si ce dernier manque à l’obligation que lui-même et son cocontractant auront considérée comme fondamentale, alors toute clause limitative de responsabilité portant sur une telle obligation serait jugée inefficace.
Il en est autrement de l’hypothèse où le débiteur défaillant tenterait de se libérer de sa responsabilité en prétextant que l’obligation inexécutée n’était pas essentielle mais accessoire.

Il instrumentaliserait ainsi la notion d’obligation essentielle dans l’unique objectif de s’assurer que la clause limitative de responsabilité portant sur une telle obligation ne puisse pas encourir la censure des juges. Le procédé, bien que malhonnête, serait astucieux.
Cependant il convient de relativiser une telle hypothèse car le risque d’instrumentalisation est nécessairement limité par le pouvoir de requalification dont disposent les juges. À cet égard Mesdames AMRANI MEKKI et FAUVARQUE-COSSON écrivent que « Le caractère essentiel d’une obligation résulte en principe de l’importance de l’obligation. Toutefois, il peut aussi découler de la volonté des parties et de ce qu’elles diront. Dès lors, assistera-t-on à une nouvelle pratique consistant à qualifier l’obligation essentielle d’accessoire ? La ruse manquerait de finesse. Puisque le caractère essentiel se dégage de la nature même du contrat et de la commune intention des parties […], la requalification par le juge s’imposerait. Une autre pratique, plus sournoise, consisterait à insérer d’autres clauses, dont le véritable objectif serait en réalité de limiter la responsabilité de l’une des parties, telle des clauses relatives à la preuve qui rendraient plus ardue la mise en oeuvre de la responsabilité. Sans être d’emblée réputées non écrites, ces clauses devraient être soumises à un contrôle judiciaire attentif (elles sont d’ailleurs susceptibles d’être qualifiées d’abusives dans les contrats de consommation) »(6).

§2 – Le maintien du contrat discutable

45. Solution jurisprudentielle quant à l’étendue de la nullité

Normalement lorsqu’une action en nullité aboutit elle a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat dans son entier. Il arrive, néanmoins, que la nullité puisse n’être que partielle lorsque la cause d’une telle sanction n’affecte qu’une clause de la convention. Deux situations doivent alors être distinguées. Si la clause n’est qu’accessoire au contrat dans ce cas la nullité ne pourra être que partielle. Le contrat restera valide et continuera à s’appliquer tout en étant amputé de la clause. À l’inverse, si la clause annulable est déterminante du consentement des parties, c’est-à-dire qu’elle constitue « la cause impulsive et déterminante de leur engagement »(7), alors c’est l’acte juridique dans son entier qui doit être annulé. Telle est la position actuelle de la jurisprudence(8).

Pourtant, ce n’est pas cette solution que le juge applique dans le cadre de la conception objective de la faute lourde. Le contrat continue à produire ses effets alors même qu’une clause limitative ou exonératoire de responsabilité portant sur une obligation essentielle, donc déterminante du consentement des parties, est réputée non écrite. Il y a là, semble-t-il, une contradiction avec la jurisprudence actuelle.

46. Une solution jurisprudentielle non appliquée en cas de clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle

En réputant non écrite la seule clause limitative de responsabilité « cela veut dire que seule la clause est nulle, le reste du contrat conservant sa valeur. La jurisprudence nous a habitué à un autre langage, pour ne pas dire une autre méthode : la clause nulle d’un contrat l’infecte tout entier si elle un revêt le caractère de cause impulsive et déterminante ; sinon elle seule est sans valeur »(9).

Cependant doit-on admettre qu’une clause limitative de responsabilité en ce qu’elle porterait sur une obligation essentielle constitue nécessairement la « cause impulsive et déterminante » de la conclusion du contrat ? Nous le pensons effectivement. Prenons un exemple concret pour le démontrer. Dans les contrats de transport rapide liant un expéditeur et une société de transport (UPS, DHL, Chronopost, FedEx…) il convient d’admettre que la cause impulsive et déterminante qui pousse le client à faire appel à une telle société tient à l’engagement de célérité de cette dernière. C’est d’ailleurs en raison de cette promesse de rapidité que l’expéditeur paie ce service plus cher par rapport à un acheminement classique du courrier. Certes la présence d’une clause limitative de responsabilité portant sur une telle obligation n’a que pour résultat de plafonner la réparation due par la société de transport en cas de manquement à cette obligation essentielle non de rendre son engagement dénué de cause. En effet, il y a bien, lors de la formation du contrat, un engagement valable de la part de chaque partie. Avec cette clause, le débiteur reste tenu d’honorer sa prestation. Il n’en est pas déchargé. La clause joue une fois que la responsabilité du débiteur défaillant est retenue. On pourrait ainsi admettre que seule la clause limitative de réparation soit réputée nulle car n’étant pas la « cause impulsive et déterminante » de l’engagement pris. Cependant, un tel raisonnement paraît quelque peu artificiel. En effet, si la cause impulsive et déterminante repose sur cette obligation essentielle de célérité, l’insertion d’un plafond dérisoire d’indemnisation aura forcément pour résultat de vider le contrat de sa substance, donc de rendre cette obligation essentielle « fictive » c’est-à-dire dépourvue de contenu substantiel. C’est alors tout l’équilibre du contrat qui se trouverait perturbé ce qui devrait entraîner non pas la nullité de la seule clause mais celle de toute la convention conformément à la jurisprudence existant en la matière.

1 Voir en ce sens : Ph. JESTAZ, « L’obligation et la sanction : à la recherche de l’obligation fondamentale », in Mélanges P. Raynaud, 1985, p. 273 et s.
2 Ph. JESTAZ, art. préc., p. 273 et s., spéc. p 279.
3 Ibidem.
4 Voir en ce sens : D. MAZEAUD, « Les clauses limitatives de réparation » in Les obligations en droit français et en droit belge, Bruylant, Dalloz, 1994, p. 155 et s., spéc. p. 176, n° 31.
5 Ph. JESTAZ, « L’obligation et la sanction : à la recherche de l’obligation fondamentale », in Mélanges P. Raynaud, 1985, p. 273 et s., spéc. p. 279. Voir également : R. ROBLOT, « De la faute lourde en droit privé français », RTD Civ. 1943, p. 1 et s., spéc. p. 22, n° 23.
6 Note S. AMRANI MEKKI et B. FAUVARQUE-COSSON, sous Cass. com., 5 juin 2007 : D. 2007, p. 2966.
7 S. PORCHY-SIMON, Droit civil, 2ème année, Les obligations, Dalloz, 6ème éd., 2010, p. 150, n° 297.
8 Voir notamment en ce sens : Cass. req., 3 juin 1863 : GAJC, vol. 1, n° 121. – Cass. 3ème civ., 13 fév. 1969 : JCP 1969, II, 15942, 2ème espèce, note J.-Ph. LÉVY. – Cass. 3ème civ., 24 juin 1971 : JCP 1972, II, 17191. – Cass. 3ème civ., 6 juin 1972 : D. 1973, p. 151, note Ph. MALAURIE ; JCP 1972, II, 17255 ; Defrénois 1973, art. 30293, p. 448, obs. J.-L. AUBERT. – Cass. 3ème civ., 24 juin 1971 : JCP 1972, II, 17191, note J. GHESTIN. – Cass. com., 7 janv. 1975 : D. 1975, p. 516, note Ph. MALAURIE.
9 Note Fr. CHABAS, sous Cass. com., 9 juill. 2002 : dr. et patr., n° 109, nov. 2002, p. 103 et s., spéc. p. 104.

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