Les juridictions du fond se sont refusées au principe de réparation intégrale de droit
commun(33), compte tenu des enjeux et des incertitudes découlant de cette décision.
« Attendu qu’elle (la décision du Conseil constitutionnel) ne saurait en revanche, (…),
s’analyser comme imposant une indemnisation complémentaire des postes de préjudice déjà
couverts, fût-ce de façon imparfaite, par le livre IV du code de la Sécurité sociale ».
Sur le plan législatif, deux propositions de loi(34) visant à instaurer une réparation intégrale
des préjudices n’ont font l’objet d’aucun examen à ce jour.
Lors de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, un amendement
visant à prévoir la réparation intégrale des préjudices des victimes de faute inexcusable
sera écarté par le gouvernement, celui-ci considérant que « le Conseil constitutionnel a
apporté des précisions sur les règles applicables en cas de faute inexcusable. Elles permettent
désormais aux victimes de demander, dans ce derniers cas, un complément d’indemnisation à
l’employeur. Pour ces raisons, il n’y a pas lieu de revenir sur la loi (du 9 avril 1898). Aussi, le
gouvernement demande le retrait de cet amendement ».
Les organismes de sécurité sociale se sont également montrés réservés sur la portée de la
décision.
En effet, en vertu de l’article L 452-3 du CSS, la caisse primaire d’assurance maladie est
tenue de faire l’avance des sommes devant revenir aux victimes au titre des préjudices
limités, pour en obtenir par la suite le remboursement auprès de l’employeur.
En est-il de même désormais pour les postes de préjudice complémentaires hors les
articles du CSS ?
Les caisses ont considéré que l’avance du complément d’indemnisation alloué par les
Tribunaux des affaires de sécurité sociale ne leur revenait pas(35).
La Cour d’appel de Nîmes dans un arrêt du 5 avril 2011 a confirmé, au sujet d’un préjudice
au titre d’un déficit fonctionnel temporaire, l’absence d’avance d’indemnisation par la
caisse(36).
En revanche, dans le même temps, la Cour d’appel de Caen le 1er avril 2011 considérait
« que le texte de la décision du 18 juin 2010 ne permet d’exclure que le bénéfice de l’avance
des indemnités allouées puisse concerner les autres préjudices que ceux énumérés dans
l’alinéa 1er de l’article L 452-3 du code de la Sécurité sociale »(37).
Sur le marché de l’assurance, les assureurs ont, d’une manière générale, accepté de garantir
ces nouveaux préjudices non pris en charge par la sécurité sociale afin adapter leurs
garanties par rapport à cette décision, même s’ils n’y sont pas tenus par la loi.
Toutefois, en l’état de la rédaction d’un certain nombre de contrats d’assurance conclus
antérieurement à la décision du 18 juin 2010, les nouveaux postes d’indemnisation ne sont
pas assurés, surtout si la rédaction des contrats d’assurance fait référence aux articles
L452-1 à L452-4 comme condition d’application de la garantie(38).
Certains assureurs ont pu considérer au regard de ce qui précède que l’indemnisation
complémentaire se situait en dehors des garanties contractuelles.
Le débiteur de l’obligation de réparation est donc l’employeur avec des risques
d’insolvabilité.
C’est dans ce contexte, que la Cour de cassation dans un arrêt récent du 30 juin 2011(39)a
opéré son revirement de jurisprudence attendu :
« Attendu qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur et indépendamment de la majoration
de rente servie à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, celle-ci
peut demander à l’employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation non
seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé (article L 452-3 CSS), mais
aussi de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ».
Dans cette affaire, une salariée devenue tétraplégique à la suite d’un accident du travail,
demandait à son employeur reconnu responsable d’une faute inexcusable l’indemnisation
des frais d’aménagement de son domicile et d’adaptation de son véhicule nécessités par
son état.
L’employeur s’opposait à cette demande en soutenant que bien que sa faute inexcusable ait
été reconnue, celle-ci n’ouvrait droit pour la victime qu’à la réparation des préjudices
énumérés limitativement à l’article L 452-3 du CSS.
Cet argument est rejeté par les juges de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation
qui se fondent bien sur l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale en retenant
l’interprétation faite par le Conseil Constitutionnel.
On notera à cet égard la rédaction du visa : « Vu l’article L 452-3 du code de la sécurité
sociale, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18
juin 2010 ».
La deuxième chambre civile, constatant que les frais d’aménagement du domicile et
d’adaptation du véhicule de la victime n’étaient pas prévus par le livre IV du CSS, conclut
que cette dernière est en droit de saisir les juridictions de sécurité sociale afin d’en obtenir
le remboursement auprès de l’employeur.
La cassation n’est toutefois que partielle.
La victime plaidait en effet la violation du principe de réparation intégrale et les articles 6
(Droit à un procès équitable), 14 (Interdiction de discrimination), 18 (Limitation de l’usage
des restrictions aux droits) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales et article 1er du protocole additionnel.
La Cour de cassation est venue rappeler que « le régime de la réparation des accidents du
travail est un régime fondé sur la réparation forfaitaire du préjudice en contrepartie de règles
probatoires favorables à la victime et de la limitation du partage de responsabilité entre
l’employeur et le salarié victime », excluant ainsi toute idée de violation du droit commun.
Il semblerait toutefois que les juges suprêmes aient pu vouloir laisser une « porte ouverte »
en précisant dans un second temps « qu’il n’est pas établi que le régime de réparation des
accidents du travail est discriminatoire et ne permet pas un procès équitable ».
La question du respect du principe d’égalité sur le plan indemnitaire pour des salariés
victimes de risques professionnels résultants de causes diverses (amiante, accident de
circulation, faute intentionnelle, faute inexcusable) peut donc légitimement se poser.
Les compagnies d’assurances vont ainsi devoir revoir le contenu des polices proposées.
Les nouveaux préjudices (qui devront être prouvés par la victime conformément au droit
commun) étant potentiellement indemnisables sur toutes les affaires en cours, les
compagnies d’assurance RC les plus exposées (BTP, Transport…) vont devoir ainsi
procéder à une révision, massive quelquefois c’est-à-dire conduisant à un doublement, de
leurs provisions techniques.
En revanche, ne pourront être couverts :
– les amendes et autres sanctions pénales,
– la majoration du taux de cotisation «accident du travail» versée à la CARSAT et la
cotisation spéciale au fonds de prévention des accidents du travail,
– les poursuites pénales pour infraction à la législation du travail non consécutives à un
accident du travail,
– la faute intentionnelle de l’employeur ou de ses représentants légaux ou statutaires.
L’évolution du champ de l’indemnisation à la suite de la décision du Conseil constitutionnel
va générer une forte augmentation du coût de la faute inexcusable pour les entreprises.
Selon monsieur Frédéric Gudin du Pavillon, sous-directeur à la direction des assurances de
biens et de responsabilité de la FFSA, « avant que la Cour de Cassation n’élargisse, en 2002,
la reconnaissance des fautes inexcusables, on dénombrait entre 300 et 400 affaires chaque
année. Aujourd’hui, la fréquence a été multipliée par trois pour atteindre plus de 1 000
sinistres par an. Du fait de la décision du conseil, sur cette même période, le coût moyen va
plus que doubler»(40).
Il y a en conséquence un transfert des dépenses de la branche accident du travail, maladie
professionnelle de la sécurité sociale en direction des entreprises.
Deux effets sont à prendre en considération :
L’effet « sinistralité » sur les comptes des assureurs, sachant que les contrats seront
probablement impactés de plus en plus lourdement.
Si une dégradation des sinistres survenait, elle serait accompagnée d’une majoration
globale de la branche « Responsabilité Civile » avec vraisemblablement des nuances selon
le secteur activité de la société assurée.
L’effet « niveau des garanties », un gonflement du niveau de la garantie de la faute
inexcusable entrainant une majoration des primes.
Les premières révisons tarifaires, en général modérées – 3 à 5 % en moyenne – se sont
faites sentir à compter du 01er janvier 2011.
Il est donc plus que jamais important d’être bien assuré pour ce risque qui va constituer un
poste d’assurance majeur.
Ainsi, compte tenu de l’importance des enjeux humains et financiers, il est indispensable
que l’entreprise mette en place une prévention des accidents du travail.
Depuis un décret de 2001, les entreprises doivent impérativement établir un “document
unique” recensant les risques liés à leurs activités et les mesures de prévention engagées
ou à engager.
Cette évaluation oblige l’employeur à prendre pleinement conscience des dangers
inhérents à son activité et à engager les actions préventives adaptées.
Ce document pourrait être, en revanche, vraisemblablement utilisé lors des procédures de
recherche en faute inexcusable…
33 CA Amiens, Ch. soc. 5, cabinet A, 22 mars 2011, n°10/01655, CA Angers, Ch. Soc., 15 mars 2011, n°09/01676
34 Sénat, proposition de loi n°613, enregistrée le 06 juillet 2010, Assemblée nationale, proposition de loi
n°2886, enregistrée le 19 octobre 2010
35 Colloque du 29 novembre 2010, intervention de madame DUPLESSIS, responsable du département Risques
professionnels à la CNAMTS, Gaz. Pal. 19 au 21 décembre 2010, p 29
36 CA Nîmes, Ch. Soc., 5 avril 2011, n°09/05169
37 CA Caen, Ch. 3, sect. Soc. 2, 1er avril 2011, n°08/03624
38 Conventions spéciales GRAS SAVOYE, Assurance RCG, 25 mai 2011 (Annexe 9)
39 Cass. Civ. 2ème, 30 juin 2011 n°10-19.475 (Annexe 10)
40 Lettre Assurer n°165, 8 décembre 2010
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