La mise en oeuvre de la clause bénéficiaire démembrée se fait en deux temps. L’utilisation qui nous intéresse principalement est celle ou le conjoint survivant ou partenaire de PACS est désigné usufruitier et le ou les enfants sont désignés nus-propriétaires. Il s’agit de la pratique la plus courant parce que la plus efficiente la clause bénéficiaire démembrée. Le souscripteur est pleinement libre d’aménager cette clause comme il l’entend (§1) ; toutefois, selon les objectifs civils visés par le souscripteur la rédaction de la clause diffère (§2).
§1 – Illustration la pratique la plus courant de la clause bénéficiaire démembrée en assurance-vie : conjoints ou partenaires pacsés usufruitier et les enfants nus-propriétaires
La clause bénéficiaire permet au souscripteur d’organiser de son vivant une protection de son conjoint en lui octroyant à son décès un capital (I) ; mais elle permet aussi d’anticiper sur la transmission à ses enfants (II).
I) La protection du conjoint survivant
La principale préoccupation d’un assuré souscripteur lorsqu’il met en place une clause bénéficiaire démembrée est de procurer un revenu à son conjoint à son décès. De cette principale préoccupation découle une autre celle d’anticiper la succession de ses enfants et de les protéger ou non contre la dilapidation des capitaux décès. En effet, la clause bénéficiaire démembrée peut être aménagée c’est-à-dire qu’elle peut encadrer les pouvoirs de l’usufruitier dans la jouissance de ses capitaux (A) ; mais la clause bénéficiaire démembrée peut ne pas être aménagée et dans ce cas laisser le conjoint quasi-usufruitier pleinement libre dans sa jouissance mais cela présente un risque certain pour les nus-propriétaires (B).
A) Avec charge : aménagements conventionnels
Dans la pratique l’absence de contrainte en termes d’emploi ou de caution imposée dans l’acte constitutif par le souscripteur s’explique par la volonté de préserver le train de vie du conjoint survivant. Cette volonté moralement compréhensible et légitime peut néanmoins posée des difficultés compte tenu de l’allongement de la durée de la vie humaine, des rapports qu’entretiennent usufruitier et nu-propriétaire.
Les aménagements conventionnels insérés dans l’acte constitutif vont permettre d’anticiper des situations conflictuelles et empêcher leurs apparitions.
L’obligation d’emploi ou de caution posée aux articles 601 et 602 et 1094-3 du Code civil ne vise pas à limiter l’usufruitier dans l’usage de ses droits mais plutôt à organiser une protection du nu-propriétaire.
B) Sans charge
En l’absence de tout aménagement conventionnel visant à organiser une protection du nupropriétaire l’usufruitier est entièrement de libre d’agir comme il le souhaite avec les capitaux décès.
Un premier risque se présente alors pour le nu-propriétaire c’est l’allongement de la durée de la vie humaine qui repousse son entrée en possession des capitaux décès toujours plus loin dans le temps présentant ainsi le risque de ne pouvoir en jouir parce que ces derniers auront été naturellement consommés et que le patrimoine du défunt ne permettra plus d’imputer sa créance.
Tableau présentant l’allongement de la durée de la vie humaine (7)
Autre risque qui peut intervenir dès le début de la jouissance des capitaux décès par l’usufruitier c’est l’apparition du syndrome de la « veuve joyeuse ».
Le syndrome de « la veuve joyeuse » consiste à voir l’usufruitier(ière) se consoler de la disparition de son défunt époux en dilapidant la totalité du capital. Bien qu’a priori anecdotique cette situation n’en reste pas moins une réalité qui peut être source de vives tensions familiales.
Toutefois, la plupart du temps l’acte constitutif ne comporte de pas de charge à l’égard du l’usufruitier ce qui peut conduire à la suite du décès du souscripteur à des tensions, voir à la disparition totale du capital et mettre les nus-propriétaires dans une situation contraire à celle voulue par le souscripteur assuré.
C’est pourquoi un conseil patrimonial avisé serait de mettre en garde le souscripteur sur ce point et de l’inviter à protéger le nu-propriétaire au moyen d’une obligation de remploi d’une partie seulement du capital.
II) L’anticipation de la succession des enfants
La rédaction d’une clause bénéficiaire démembrée offre au nu-propriétaire une créance de restitution à faire valoir sur la succession du quasi-usufruitier en exonération de droits. Toutefois, cette créance détenue par le nu-propriétaire est détenue sans sûreté ce qui fait du nu-propriétaire un créancier chirographaire. Sa créance ne sera éteinte qu’une fois les créancier des rangs supérieurs payés.
Compte tenu de cette situation qui peut s’avérer délicate notamment si l’usufruitier a de nombreux créanciers, il est fortement préconisé que le nu-propriétaire déclare auprès de l’administration fiscale sa créance lors du versement du capital décès entre les mains du quasi-usufruitier.
L’utilisation de la clause bénéficiaire démembrée permet d’anticiper la succession des enfants pour cela il est vivement conseillé d’indexer la créance de restitution afin que l’objectif du souscripteur soit respecté (A) ; toutefois l’utilisation de la clause bénéficiaire démembrée ne présente pas que des intérêts patrimoniaux pour les enfants mais aussi dans le cadre des transmissions intergénérationnelle et des familles recomposées (B).
A) Indexation de la créance de restitution
L’indexation de la créance vise à limiter les effets de l’allongement de la durée de la vie humaine qui constitue in fine une perte d’avantages pour les nus-propriétaires. C’est pourquoi il est de plus en plus recommandé d’indexer la créance de restitution selon les conditions de principes posées par les articles L112-1 et L112-2 du Code monétaire et financier (1) ; dans la pratique il est souvent choisit l’indexation sur l’Obligation assimilable du Trésor à dix mais pas seulement (2).
1. Une indexation choisie dans le respect des articles L112-1 et L112-2 du Code monétaire et financier
Lorsque le souscripteur assuré souscrit son contrat d’assurance-vie avec une clause bénéficiaire démembrée son objectif est double : protéger son conjoint en lui assurant un revenu et également protéger sa descendance en lui octroyant une donation indirecte. Toutefois, compte tenu de l’allongement de la durée de la vie humaine le nu-propriétaire risque de bénéficier que très tardivement et pas obligatoirement dans son intégralité des capitaux décès. C’est pourquoi le recours à l’indexation de la créance c’est-à-dire sa valorisation économique en fonction du temps est vivement conseillé.
L’article L112-1 du Code monétaire et financier dispose que : « l’indexation automatique des prix de biens ou de services est interdite.
Est réputée non écrite toute clause d’un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision.
Est interdite toute clause d’une convention portant sur un local d’habitation prévoyant une indexation fondée sur l’indice ” loyers et charges ” servant à la détermination des indices généraux des prix de détail. Il en est de même de toute clause prévoyant une indexation fondée sur le taux des majorations légales fixées en application de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, à moins que le montant initial n’ait lui-même été fixé conformément aux dispositions de ladite loi et des textes pris pour son application. »
L’article L112-2 du Code monétaire et financier énonce que :
« Dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du statut ou de la convention ou avec l’activité de l’une des parties. Est réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l’indice national du coût de la construction publié par l’Institut national des statistiques et des études économiques ou, pour des activités commerciales ou artisanales définies par décret, sur la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux publié dans des conditions fixées par ce même décret par l’Institut national de la statistique et des études économiques.
Est également réputée en relation directe avec l’objet d’une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret.
Les dispositions des précédents alinéas ne s’appliquent pas aux dispositions statutaires ou conventionnelles concernant des dettes d’aliments.
Doivent être regardées comme dettes d’aliments les rentes viagères constituées entre particuliers, notamment en exécution des dispositions de l’article 759 du code civil. ».
En conclusion lorsque les parties décident d’indexer la créance de restitution, la clause prévoyant cette indexation devra satisfaire aux conditions posées par les articles L112-1 et L112-2 du Code monétaire et financier et donc être en relation avec l’objet du contrat ou l’activité de l’une des parties. Cette dernière condition prohibe toute indexation pure et simple sur l’indice des prix.
2. La pratique de l’indexation sur l’Obligation assimilable du Trésor à dix ans
Dans la pratique les parties retiennent généralement l’Obligation assimilable du Trésor à dix ans. Ce choix paraît étrange compte tenu du fait que cette obligation assimilable est un taux et non un indice.
Toutefois la pratique ne se limite pas à l’utilisation de l’obligation assimilable du Trésor à dix puisqu’il est admis que « lorsque le quasi-usufruitier affiche clairement son intention d’investir les espèces dans un bien déterminé, il est alors possible de choisir un indice en corrélation avec ce type d’investissement »(8).
Attention l’indexation ne pourra jamais porter sur l’indice INSEE de la consommation des ménages.
B) Possibilité d’organiser une transmission intergénérationnelle
La clause bénéficiaire démembrée présente l’avantage de pouvoir réaliser des transmissions intergénérationnelles en permettant à des grands-parents de transmettre à leurs petits-enfants un capital en cas de décès dans un cadre fiscal avantageux.
De même, la clause bénéficiaire démembrée permet de réaliser une transmission dans un cadre fiscal avantageux à des enfants issus d’une première ou d’une seconde noce dans le cadre de familles recomposées.
§ 2 Rédaction de clauses bénéficiaires et aperçu avec la clause bénéficiaire démembrée belge
Afin de rédiger la clause bénéficiaire démembrée parfaitement adaptée aux volontés de l’assuré souscripteur il convient de déterminer avec précisions ses attentes. Selon qu’il souhaite protéger (I) ; qu’il souhaite offrir un capital décès à une personne hors de son cadre familiale (II) ; ou bien qu’il cherche à protéger son conjoint mais tout en protégeant au mieux le nu-propriétaire (III). La clause bénéficiaire démembrée existe également dans le droit belge nous verrons si elle permet de répondre aux même attentes juridiques que la clause bénéficiaire démembrée française (IV).
I) Rédaction d’une clause bénéficiaire dans un cadre familial
Dans le cadre d’une transmission familiale il convient de rédiger la clause bénéficiaire démembrée de la manière suivante :
« Les capitaux décès seront versés à mon conjoint pour l’usufruit et, pour la nue-propriété, à mon/mes enfants nés ou à naître, par parts égales entre eux, (…)
(…) en cas de prédécès de mon enfant, mon conjoint recevra les capitaux décès en pleine propriété
Ou : (…) en cas de prédécès de mon enfant, ses descendants pour la nue-propriété, à défaut mes héritiers.
(…), à défaut de l’un décédé, pour sa part ses descendants, à défaut les survivants, à défaut mes héritiers.
En cas de prédécès de mon conjoint usufruitier, mes enfants nés ou à naître recevront les capitaux décès en pleine propriété, par parts égales entre eux, à défaut de l’un décédé, pour sa part ses descendants, à défaut les survivants, à défaut mes héritiers ».
II) Rédaction d’une clause bénéficiaire hors cadre familiale
Quand la clause désigne un ou des bénéficiaires hors du cadre familiale alors il convient de rédiger la clause de la manière suivante :
« Les capitaux décès seront versés à X pour l’usufruit et à Y ( et Z par parts égales) pour la nue-propriété, (…)
(…), en cas de prédécès de Y, X recevra les capitaux décès en pleine propriété.
Ou : (…), en cas de prédécès de Y, ses descendants pour la nue-propriété, à défaut mes héritiers.
(…), à défaut de l’un décédé, pour sa part ses descendants, à défaut les survivants, à défaut mes héritiers.
En cas de prédécès de X, Y recevra les capitaux décès en pleine propriété, à défaut ses descendants, à défaut mes héritiers. ».
III) Rédaction d’une clause bénéficiaire en vue de la protection du nu-propriétaire
Lorsque le souscripteur souhaite avantager le conjoint tout en assurant une certaine protection au nu-propriétaire alors il convient de rédiger la clause de la manière suivante :
« Les capitaux décès seront versés à mon conjoint pour l’usufruit, et pour la nue-propriété, à mon/mes enfants.
Mon conjoint bénéficiera d’un quasi-usufruit sur les sommes ainsi versées, en application de l’article 587 du Code civil.
En cas de prédécès ou de renonciation de mon conjoint usufruitier, mon fils recevra les capitaux en pleine propriété, à défaut pour sa part ses descendants nés ou à naître par parts égales entre eux, à défaut mes héritiers.
En cas de prédécès de mon fils nu-propriétaire, mon conjoint recevra les capitaux décès en pleine propriété, à défaut mes héritiers.
Conformément à l’article 601 du Code civil, l’usufruitier sera tenu de donner caution. Si l’usufruitier ne trouve pas de caution, conformément à l’article 602 du Code civil, il sera tenu de placer les sommes.
Au décès de l’assuré, la totalité du capital sera payée au seul usufruitier au titre du quasi-usufruit et ce paiement sera libératoire pour l’assureur.
Si en raison des dispositions de l’article 990 I du Code général des impôts en vigueur au jour du dénouement du contrat, une taxe est due par les nus-propriétaires, celle-ci sera réduite au capital décès versé à l’usufruitier au titre du quasi-usufruit. En conséquence, la créance de restitution du nu-propriétaire sera diminuée du montant de cette taxe. »
IV) Aperçu juridique de la clause bénéficiaire démembrée en Belgique
En Belgique l’hypothèse du quasi-usufruit est prévue à l’article 587 du Code civil belge mais il est peu pratiqué. De plus, le débat sur la différence entre la notion d’usufruit et de quasi-usufruit n’est pas aussi développé qu’en France.
Du point de vu fiscal le législateur belge a prévu un mécanisme de stipulation pour autrui taxable. En d’autres termes, un contrat entre deux parties entraînant un avantage au profit d’une tierce personne doit être considéré comme un legs au profit de ce dernier et à ce titre est taxable aux droits de succession.
Dès lors, le démembrement de la clause bénéficiaire en Belgique ne présente qu’un intérêt civil de protection du conjoint survivant.
Une analyse comparative montre que d’un point de vue civil le démembrement de propriété est présent dans nos deux codes respectivement codifiés aux articles 578 pour le Code civil français et belge.
Toutefois, le traitement fiscal belge n’étant pas aussi favorable que le traitement fiscal français principalement grâce à l’article 1133 du Code civil. La clause bénéficiaire démembrée belge ne permettant pas de transmettre à ses enfants ou petits enfants dans un cadre fiscal avantageux.
En conséquence, c’est la raison pour laquelle l’utilisation de la clause bénéficiaire démembrée en assurance-vie en Belgique n’a pas eu le même succès qu’en France.
7 Tableau « risque de longévité » extrait de l’article « La problématique fiscale de l’assurance-vie en démembrement », Droit et Patrimoine n° 216, juillet – août 2012.
8 M.Iwanesko et V ;Cordier, L’optimisation de la rédaction des clauses bénéficiaires, JCP N 2012, n° 5, 1059.
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