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Section 3 – Recherche du dommage effectivement survenu

Depuis 1974, année où la Cour de cassation est revenue à une conception stricte de la
faute intentionnelle ou dolosive, la jurisprudence dans son ensemble exige non seulement
un geste conscient dont son auteur connaissait le caractère fautif, mais aussi que celui-ci
ait recherché le dommage effectivement survenu. Ce critère doit être précisé car il existe
plusieurs degrés possibles quant à la connaissance du dommage susceptible de survenir.
Traditionnellement, la haute juridiction ne se contente pas du fait que l’assuré ait
seulement envisagé le dommage ; celui-ci doit avoir été recherché. En outre, le dommage
recherché doit être le juste reflet du dommage survenu.

§ 1 – Recherche du dommage par l’assuré

L’assuré qui commet une faute sans imaginer les conséquences dommageables qui
pourraient s’en suivre ne peut pas commettre de faute intentionnelle. En effet, seule est
inassurable la faute de l’assuré qui sait que son geste engendrera un dommage. Au
contraire, la faute intentionnelle étant l’exception, l’assurance a naturellement vocation à
couvrir les dommages causés par la négligence de l’assuré, fussent-elles grossières.
A titre d’illustration, la Cour de cassation a jugé, par un arrêt du 24 mars 1987(25), « qu’une
imprudence caractérisée ne constitue pas une faute intentionnelle ou dolosive, laquelle
implique que l’assuré ait voulu non seulement l’action ou l’omission génératrice du
dommage, mais encore le dommage lui-même ; par suite, encourt la cassation l’arrêt qui
exclut la garantie de l’assureur pour un vol commis dans les locaux de l’assuré, à l’aide de
clés qui lui avaient été précédemment dérobées, au motif que l’assuré, en négligeant de
faire remplacer les serrures, n’avait pas exécuté le contrat d’assurance en bon père de
famille ». Cet arrêt illustre parfaitement le fait qu’un assuré n’ayant nullement souhaité la
réalisation du dommage ne peut voir qualifier son geste, en l’espèce une omission, de
faute intentionnelle. Qui plus est, ledit assuré n’avait strictement aucun intérêt à voir le
dommage se réaliser, étant donné le fait que les garanties « vol » accordent aux assurés
des sommes souvent inférieures à la véritable valeur des biens dérobés.

La question de la recherche du dommage devient néanmoins beaucoup plus délicate
lorsque le sinistre a été seulement envisagé par l’assuré. En toute rigueur, il est évident
qu’entrapercevoir les conséquences éventuelles d’une faute n’est pas assimilable à la
recherche du dommage, preuve d’une indéfectible mauvaise foi. Mais d’un autre côté,
comment oublier que le dommage a été causé par un geste que l’assuré savait fautif, et
que les conséquences dommageables éventuelles n’ont pas arrêté son geste ? Voici un
dilemme auquel les juges ont été confrontés, sans réussir à parler d’une seule voix.

Après 1974, la Cour de cassation étant revenue à une conception stricte de la faute
intentionnelle, les premiers arrêts rendus firent preuve d’une extrême rigueur : dès lors
que la survenance du dommage n’a été qu’envisagée, et non recherchée, l’assureur ne
peut pas se retrancher derrière la faute intentionnelle pour dénier sa garantie(26). Afin
d’illustrer plus avant le propos, un arrêt du 17 décembre 1991, commenté par le
Professeur J. Kullmann(27) , a énoncé que « tout en relevant que le notaire avait négligé les
intérêts de ses clients au profit d’une opération immobilière dont il souhaitait la réalisation,
la cour d’appel a estimé que celui-ci n’avait pas agi avec la volonté de créer une situation
qui leur serait fatalement dommageable ; qu’elle en a justement déduit que la faute de cet
officier public n’avait pas été intentionnelle au sens de l’article L. 113-1 du Code des
assurances ». Dans cet arrêt, la Cour de cassation vise une faute « fatalement
dommageable » aux clients dudit notaire, rappelant par là même, qu’une simple
éventualité est insuffisante à constituer une faute intentionnelle.

Ces solutions rigoureuses ne font cependant pas légion, car d’autres arrêts tiennent
compte du fait que l’assuré avait conscience de la potentialité du dommage.
Les premiers arrêts rendus en ce sens remontent à 1969, date à laquelle la Cour de
cassation a assimilé le dol au fait pour le débiteur d’avoir délibérément manqué à ses
obligations contractuelles (arrêt « Société des comédiens français »). Néanmoins, ceux-ci
se sont fait rares après 1974, et il faut attendre les années 1990 pour les voir remonter
jusqu’à la Cour de cassation. Ainsi, la première chambre civile, le 7 juillet 1993(28), a
considéré qu’un agent immobilier ayant ratifié deux promesses d’achat, en mentant au
second acquéreur, ne peut pas bénéficier de la garantie d’assurance sur le fondement de
l’article L. 113-1. En effet, l’agent n’avait sans doute pas l’intention de nuire à ses clients,
mais il a pourtant commis une faute dont il connaissait la portée, et dont il ne pouvait pas
ignorer les conséquences. Il semble qu’en l’espèce, les juges du fond, suivi par les hautjuges,
aient assimilé la connaissance des dommages consécutifs à la recherche du
dommage. Cette solution apparait cohérente puisque dans cette affaire, l’un des
acquéreur serait forcément lésé. Comme le souligne astucieusement le Professeur Bigot,
« dans un souci de moralité, et au delà même des contraintes techniques de l’assurance,
nous considérons que la malhonnêteté doit être punie au plan de l’assurance »(29). En effet,
tout le problème consiste à éviter que la mauvaise foi se manifeste impunément, sans
pourtant pénaliser les tiers victimes, bénéficiaires indirectes de la garantie d’assurance
responsabilité civile.

L’arrêt de 1993 n’est pas isolé, sa solution ayant notamment été reprise en 2006, par un
arrêt du 24 mai(30). En l’espèce, des époux s’étaient portés adjudicataires d’un immeuble et
avaient versé la somme entre les mains de leur avocat, la représentation étant obligatoire
dans cette procédure. Néanmoins, ledit avocat ne versa les fonds que par fractions,
causant ainsi un préjudice à ses clients puisque ceux-ci se sont vus redevables
d’indemnités de retard auprès du Trésor public. Les époux ont alors assigné l’assureur de
responsabilité professionnelle, mais les juges du fond ont fait droit à ce dernier en retenant
la faute intentionnelle de l’avocat. Les époux se sont donc pourvu en cassation mais les
haut-juges ont suivi les juges du fond, au motif que spécialisé dans les adjudications
judiciaires, l’avocat ne pouvait pas ignorer le préjudice qui s’en suivrait fatalement pour les
époux. Cette solution apparaît parfaitement logique, étant données les considérations
vues précédemment : une réponse appropriée doit venir sanctionner la mauvaise foi de
l’assuré. En l’espèce, il s’agira de le laisser assumer seul les conséquences de ses actes.
La garantie ne peut être déniée que si le dommage a été recherché. Néanmoins, la
jurisprudence considère que la charge de la preuve repose sur l’assureur(31). Dans ce cas,
il est évident que celui-ci sera confronté à de nombreuses difficultés probatoires pour
démontrer l’intention de nuire de l’assuré. En effet, l’assureur ne peut décidément pas
pénétrer la psychologie de son assuré : il devra se fonder sur des éléments extérieurs
manifestant sa mauvaise foi.

Une solution pour les assureurs serait d’agir devant les juridictions pénales, afin d’obtenir
une décision ayant autorité de chose jugée, laquelle liera les juges au plan civil, pour faire
reconnaitre le caractère intentionnel de la faute commise par l’assuré. Toutefois, les
choses ne sont pas si simples car le juge civil ne sera tenu par la décision rendue au
pénal que si l’infraction présente une certaine « symétrie » avec la faute intentionnelle,
tout particulièrement au regard de son élément moral. Cela s’explique par le fait que
toutes les infractions ne supposent pas, de la part de l’auteur, la volonté de provoquer le
dommage. C’est notamment le cas des coups et blessures volontaires(32). A contrario,
d’autres infractions impliquent cette volonté ; tel est le cas de la destruction ou
détérioration volontaire d’un bien par l’effet d’un incendie, infraction visée à l’article 322-6
du Code pénal. Par voie de conséquence, si le juge pénal retient cette infraction contre
l’assuré, le juge civil sera tenu de reconnaitre le caractère intentionnel de la faute. Cela a
notamment été jugé par la Cour de cassation, par un arrêt du 23 juin 1998(33).

§ 2 – Dommage recherché et dommage effectivement survenu

L’un des arguments parfois utilisé par la Cour de cassation, pour écarter la faute
intentionnelle, est la discordance entre le dommage recherché et le dommage
effectivement survenu : dans l’hypothèse où le dommage recherché ne correspond pas au
dommage survenu, les haut-juges peuvent considérer que l’assuré n’avait pas l’intention
de causer un tel préjudice, et donc ne pas retenir la faute intentionnelle. Mais encore une
fois, cette solution ne se retrouve pas dans tous les arrêts.

Classiquement, une solution rigoureuse peut être retenue : peu importe que le dommage
survenu excède le dommage anticipé, l’assuré a commis une faute tendant à causer un
préjudice déterminé, et cela suffit pour retenir la sanction de l’article L. 113-1. Ce principe
a notamment été énoncé par un arrêt de la première chambre civile rendu le 7 juin 1974(34).
Néanmoins, une solution opposée à celle-ci peut aussi être justifiée par la nécessité
d’indemniser les victimes. Face à ce genre de dilemme, il est aussi compréhensible que
les juges choisissent d’écarter la faute intentionnelle. Ainsi, certains arrêts considèrent que
la garantie est due dès lors que le dommage survenu n’est pas celui qui avait été anticipé
par l’assuré. Les exemples ne manquent pas(35). En effet, en 1997(36), la Cour de cassation a
jugé que n’a pas commis une faute intentionnelle l’assuré qui avait mis le feu à la porte
d’une patinoire car il n’avait voulu détruire celle-ci intégralement. De même, ne commet
pas une faute intentionnelle l’assuré qui, en voulant ouvrir le feu sur des voleurs, atteint
l’un de ses voisins(37) ; ou encore l’assuré qui en cherchant à poignarder son épouse,
blesse un passant(38). De manière tout aussi tragique, des arrêts sont aussi intervenus en
matière de suicide, en estimant que l’assuré avait entendu mettre fin à ses jours mais en
aucun cas causer un dommage à autrui(39). Si la première catégorie d’arrêts semble se
justifier uniquement par la faveur faite aux victimes, la seconde, c’est-à-dire les cas de
suicide, s’explique aussi par le fait que l’assuré était dépourvu de malice. Il n’entendait pas
nuire à qui que ce soit et le caractère « conscient » de son geste demeure une question
délicate.

25 Cass. 1re civ. 24 mars 1987, Bull. civ. I, n°102.
26 Cass. 1re civ. 7 juill. 1976, n°75-10.424, Bull. civ. I, n°249 ; Cass. 1re civ. 7 déc. 1976, n°75-13.483, RGAT
1977, p. 346 ; Cass. 1re civ. 22 mars 1983, n°42-11.393, RGAT 1984, p. 203 ; Cass. 1re civ. 10 juin 1986, n
°84-17.380, RGAT 1986, p. 442.
27 Cass. 1re civ. 17 déc. 1991, n°89-17.299, RGAT 1992, p. 364, note J. Kullmann.
28 Cass. 1re civ. 7 juill. 1993, n°91-18.075, RGAT 1994, p.230.
29 J. Bigot, Assurances de responsabilité : les limites du risque assurable, RGAT 1978, p. 176.
30 Cass. 2e civ. 24 mai 2006, n°03-21.024, RGDA 2006, p. 635, note J. Kullmann.
31 Cass. 1re civ. 15 janv. 1991, Resp. civ. et assur. 1991, comm. 153.
32 Cass. 1re civ. 22 juillet 1985, Bull. civ. I, n°232 ; D. 1987, Somm. 37, obs. H. Groutel.
33 Cass. crim. 23 juin 1998, n°96-13.448, RGDA 1998, p. 689, note E. Fortis. Voir les arrêts cités par J.
Kullmann au Lamy assurances, 2011, n°1271.
34 Cass. 1re civ. 7 juin 1974, n°73-11.254, RGAT 1975, p. 213, note A. Besson.
35 Voir les arrêts cités par J. Kullmann, Lamy assurance, 2011, n°1287.
36 Cass. 2e civ. 9 juill. 1997, n°95-20.799, RGDA 1998, p. 64, note F. Vincent.
37 Cass. 1re civ. 5 janv. 1970, n°68-10.389.
38 Cass. 1re civ. 10 déc. 1991, n°90-14.218, RGAT 1992, p. 366, note J. Kullmann ; RGAT 1992, p. 506, note
R. Maurice.
39 Cass. 1re civ. 14 oct. 1997, n°95-18.361, RGDA 1997, p. 1083, note L. Fonlladosa, Resp. civ. et assur.
1998, comm. n°37, obs. H. Groutel ; Cass. 1re civ. 28 avril 1993, n°90-16. 363, RGAT 1994, p. 234, note Ph.
Rémy ; Cass. 1re civ. 10 avril 1996, n°93-14.571, RGDA 1996, p. 716, note J. Kullmann.

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