C’est ici la charge de la preuve dont il s’agit et des moyens de preuve recevables.
L’article 1315 du code civil dispose : « celui qui réclame l’exécution d’une obligation
doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou
le fait qui a produit l’extinction de son obligation. » Le droit commun de la preuve fait
donc peser la charge de celle-ci sur le demandeur. C’est l’adage actori incubit probatio :
celui qui se prétend titulaire d’un droit doit le prouver. Ce qui nous intéresse dans le
cas présent est de savoir sur qui pèse la charge de la preuve du suicide et du fait que le
décès ne soit pas un suicide. Il résulte d’un arrêt rendu le 22 octobre 1996 par la Cour
de cassation que : « la preuve du caractère volontaire et conscient du suicide intervenant
dans les deux premières années du contrat d’assurance incombe à l’assureur. » (41)
Cet arrêt est antérieur aux réformes de l’article L132-7 du code des assurances
réduisant à un an l’absence de garantie de principe du suicide par le contrat d’assurance
et exigeant que le suicide soit conscient en plus d’être volontaire, mais le principe de
la charge de la preuve du caractère volontaire du décès reposant sur l’assureur n’a
pas changé. Celui-ci étant en position de force vis-à-vis du suicidé et des bénéficiaires
au contrat d’assurance, c’est faire preuve de protection de la partie faible au contrat.
Cette position de la Cour de cassation est l’application d’un revirement de jurisprudence
intervenu les 15 et 22 octobre 1980 en matière de charge de la preuve quand de façon
générale l’assureur invoque une exclusion de garantie. (42) Il résulte de cette décision
que « s’il appartient à l’assuré qui réclame l’exécution du contrat d’assurance d’établir
l’existence du sinistre, objet du contrat, il incombe à l’assureur qui invoque une exclusion
de garantie de démontrer la réunion des conditions de fait de cette exclusion. » L’article
L113-1 du code des assurances dispose : « les pertes et les dommages occasionnés par
des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf
exclusion formelle et limitée contenue dans la police. »
Car le suicide fait bien l’objet d’une exclusion de garantie. Avant 1980, il était
demandé au demandeur au contrat de faire la preuve de conditions de l’assurance donc de
la survenance de l’événement défini au contrat et de l’absence de causes d’exclusion. (43)
Comme le relève la doctrine, il y a un conflit de régimes de preuve, la charge du caractère
accidentel du décès pesant sur le demandeur au contrat d’assurance et celle du caractère
volontaire du décès pesant sur le défendeur au contrat d’assurance, l’assureur. Et ce
quand au titre du contrat le suicide constitue une clause d’exclusion contre le risque assuré,
l’accident corporel. La position des juges de 1980 a été confirmée par la suite, ainsi
par une décision en date du 15 avril 1982. En l’espèce un artisan plâtrier avait souscrit
chez un assureur deux polices d’assurances le garantissant contre les conséquences de la
maladie et des accidents. L’un des contrats souscrits contenait une exclusion de garantie
contre des hernies, efforts, tours de reins, lumbagos, ruptures ou déchirures musculaires,
lorsqu’ils n’étaient pas la conséquence d’un accident ou résultaient d’une prédisposition
pathologique. L’assuré ayant été victime d’une déchirure musculaire à l’occasion de
son travail, il s’est adressé à son assureur en exécution du contrat d’assurance mais ce
dernier a refusé sa garantie. L’assuré l’a alors assigné en exécution du contrat. S’est
donc posé la question de la charge de la preuve, la Cour d’appel mettant à la charge de la
compagnie d’assurance la preuve de la réunion des conditions de l’exclusion de garantie.
S’est donc posée la question de la charge de la preuve de la réunion des conditions
d’une exclusion de garantie. La Cour de cassation rejette les prétentions des parties et
confirme la décision des juges du fond. Elle estime que : « la victime avait établi que
le sinistre était survenu dans des circonstances de fait conformes aux prévisions de la
police et que c’est sans inverser la charge de la preuve que les juges du fond ont énoncé
qu’il aurait appartenu à l’assureur de démontrer la réunion des conditions matérielles
de l’exclusion de garantie résultant d’une prédisposition pathologique de l’assuré. » La
Cour de cassation est claire et fait donc peser sur l’assureur la preuve de la réunion
des conditions de l’exclusion de garantie. Celle-ci doit être, rappelons-le, en application
de l’article L113-1 du code des assurances être formelle et limitée. Et l’exclusion se
distingue des conditions de garantie en ce qu’elle vise des circonstances particulières.
Mais ceci est un autre débat.
D’où le fait que dans les arrêts Da Silva de la première chambre civile de la Cour
de cassation, des décisions rendues par les juges du fond déboutant la veuve d’un assuré
ayant souscrit deux contrats d’assurance contre les accidents corporels de sa demande
d’exécution du contrat, aient été cassées, la Cour décidant pour cela que « la police
excluait de la garantie les sinistres résultant d’un suicide et que c’était à l’assureur de
démontrer la réunion des conditions d’exclusion par lui invoquée ». (44) En revanche c’est
à l’assuré et aux bénéficiaires qu’il incombe de prouver que les conditions du sinistre
sont réalisées. C’est ce qu’il ressort d’une jurisprudence constante, ainsi une décision du
27 octobre 1981 (45) dans laquelle les juges du fond décident qu’« il incombe à la victime,
qui réclame à l’assureur l’exécution de son obligation de garantie en raison d’un sinistre,
d’établir que celui-ci est survenu dans des circonstances de fait conformes aux prévisions
de la police ».
Il convient de rappeler en outre qu’antérieurement à la loi n° 81-5 du 7 janvier 1981
modifiant l’article L132-7 du code des assurances, la charge de la preuve était partagée
entre d’une part l’assureur à qui était laissé la preuve du suicide pour s’exonérer de sa
garantie et le bénéficiaire à qui était laissé la preuve du caractère inconscient du suicide,
la conscience de l’assuré étant présumée. (46) Toutefois, comme le souligne justement le
professeur Beignier, le système se retournait contre le bénéficiaire, étant très difficile
pour lui de contester le caractère conscient du suicide. (47) Ce qui amena le législateur
à décider que par la suite, c’était à l’assureur de démontrer le suicide et la conscience
de l’assuré. (48) En revanche pour que ce point soit clair, précisons qu’en cas de suicide
faisant l’objet d’une garantie et non d’une exclusion de garantie au contrat d’assurance,
c’est au bénéficiaire du contrat, demandeur à la garantie que pèse la preuve du caractère
suicidaire du contrat. par ailleurs le professeur Luc Mayaux rappelle qu’il incombe
aux juges du fond, souverains en matière d’appréciation des preuves « d’apprécier si
l’assureur apporte des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes permettant
de conclure au suicide, le doute devant toujours profiter au bénéficiaire. » (49)
Auteur pour lequel l’appréciation du suicide doit faire l’objet d’un contrôle et relève de
l’interprétation de la loi.
Le suicide est un fait, par conséquent tous les moyens de preuve sont recevables.
Sont admis les lettres, témoignages, certificats médicaux, expertise afin de démontrer le
suicide et ainsi le différencier du crime ou de l’accident au cas où une autopsie n’aurait
pas été effectuée par un institut médico-légal. Ce qui pose certaines difficultés en cas
d’accident de circulation à caractère parfois ambigu et quasiment jamais qualifiés de
suicide par les juges du fond. D’autant que ceux-ci, touchés par le caractère sensible
du suicide, vis-à-vis des proches de la victime sont enclins en cas de doute à retenir
l’accident. Ainsi la Cour d’appel de Paris qui qualifie d’accident le décès d’une assurée
dans un arrêt rendu le 10 décembre 1982 et cité par le professeur Kullmann. En l’espèce
la victime était décédée suite à une ingestion massive de médicaments. Elle était traitée
pour dépression et avait fait l’objet de plusieurs tentatives de suicide. Les juges du
fond ont pourtant estimé que « l’intoxication avait pu être progressive et involontaire
et qu’une personne, surtout malade, pouvait ingérer une quantité massive et mortelle de
médicaments sans avoir la volonté de mourir. » (50) La question peut aussi se poser en cas
de décès par arme à feu. Il convient maintenant de s’interroger à propos de la garantie
du suicide qu’accorde exceptionnellement le droit des assurances.
41. Cass. civ. 1ère., 22 oct 1996, Dame Dereac c/ Banque Sofinco et autre ; Juris-Data n° 003690
42. Cass.civ. 1ère, 15 et 22 oct 1980 ; RGAT 1981, 51, note A. Besson
43. H. Groutel, RCA, sept 1991 n° 21
44. H. Groutel, RCA 1991, n° 21
45. Cass. civ. 1ère, 27 oct. 1981 : RCA 1999. Comm. 160
46. J. KULLMANN (dir.), op. cit., n° 3903
47. B. BEIGNIER, op. cit., n° 214
48. CA Paris, 7e ch. Sect B. 17 fév.1989, RGAT 1989, p. 405, note Aubert J.-L.
49. Cass. civ. 1ère, 20 mars 1984, n° 83-11079 (cité par Traité des Assurances, Tome IV « les Assurances
de personnes » n° 117-7)
50. CA Paris, 7 extsuperscripte ch., sect. B, 10 déc. 1982, Société Boulet-Fournier c/ Le Continent-Vie,
Gaz. Pal. 1983, I, sommaire, p13