Sur la période étudiée, sept (7) articles publiés dans Sidwaya nous paraissent attentatoires à la présomption d’innocence. Le caractère préjudiciable de ces quatre (4) articles résulte de la terminologie employée par le journaliste pour désigner les personnes contre qui la procédure judiciaire a été mise en mouvement. En clair, il s’agit d’articles dans lesquels le journal traite les personnes poursuivies comme étant des coupables alors qu’un jugement de condamnation n’a pas encore été prononcé à leur égard par un tribunal compétent.
Dans les trois autres articles, c’est le traitement des images illustrant les articles de presse qui est de nature à violer l’innocence présumée des personnes poursuivies.
Nous traiterons successivement des deux catégories d’articles.
A. Les atteintes à la présomption d’innocence par la terminologie dans Sidwaya
Dans sa parution numéro 7 250 du lundi 10 septembre 2012, à la page 9, Sidwaya intitule ainsi son article : «Arrestation de malfrats à Ouagadougou : 1, 4 milliard en faux dollars saisi ». Cet article rapporte la présentation de deux groupes de personnes arrêtées, l’un pour escroquerie présumée ; l’autre pour vol présumé par usage de pointes sous les roues des véhicules automobiles. A propos de ce dernier chef de poursuite, le journal insère l’intertitre suivant : « Des pointes, comme « armes » de vol ». Cet intertitre et le titre de l’article sont fortement tendancieux. En traitant les personnes poursuivies de malfrats et en parlant de l’arme de vol, le journal semble déjà insinuer la culpabilité des personnes arrêtées.
Il est vrai que dans le même article, le journal a également utilisé à plusieurs reprises le mot « présumé », plus respectueux de l’innocence. Mais, le titre de cette information, tel que formulé, subodore la culpabilité des suspects. Le titre est la vitrine de l’information. C’est lui qui donne envie de lire l’article. Ainsi, les journaux cherchent toujours des titres attrayants pour accrocher le lectorat. Mais cet objectif de séduction du lectorat peut porter atteinte à certains droits fondamentaux comme c’est le cas en l’espèce.
Dans un autre article publié dans la rubrique « Au coin du palais » du numéro 7 257 du mercredi 19 septembre 2012, Sidwaya intitule encore son information dans des termes qui portent préjudice à la personne poursuivie. Le titre est le suivant : « Il escroque 4 millions de F CFA à son ami ». Le journal raconte : « Petit commerçant, Hamidou a fait la connaissance de Adama, un élève. En une année seulement d’amitié, Hamidou réussira à lui escroquer la somme de 4 197 977 F CFA.». Cet écrit est un compte rendu d’audience au cours de laquelle le procès a été renvoyé pour complément d’enquête. Les faits racontés n’ont pas suffi à fonder la conviction du juge. Mais Sidwaya, lui, avait déjà rendu son jugement puisque le journal affirme que la personne poursuivie a escroqué une somme d’argent. Autrement dit, elle est auteur d’escroquerie.
L’atteinte à la présomption d’innocence tient au fait que le journal a présenté le suspect comme coupable en l’absence d’une décision de Justice le condamnant. Une action en diffamation introduite par l’intéressé contre le journal aurait prospéré. En tout cas, le journal allègue ou impute un fait pouvant porter atteinte à l’honneur et à la considération de la personne poursuivie. Telle est en substance la définition du délit de diffamation. Dans le cas d’espèce, les propos, que nous estimons diffamants, tenus par le journal à l’endroit du suspect, emportent du même coup violation de son innocence présumée.
Dans son numéro 7 305 du mercredi 28 novembre 2012, Sidwaya relate le procès des « Cinq ex-soldats condamnés pour vol à main armée » devant le tribunal militaire. Il s’agit de militaires radiés accusés d’« association de malfaiteurs, détention illégale d’armes et de munitions de guerre, recels aggravés, complicités de vols qualifiés ». Dans sa relation des faits, le journal qualifie le groupe des personnes poursuivies de « gang » dont le cerveau, l’ex-caporal Saydou Zerbo, serait en fuite.
Le mot « gang » renforce au sein de l’opinion le caractère criminel du groupe poursuivi. S’il n’est pas diffamant, il peut être considéré comme injurieux. Le journal, en utilisant ce terme qu’il ne prête ni aux parties ni aux juges, n’a pas tenu compte du caractère provisoire de la décision condamnant les cinq ex-soldats. Cette décision n’était pas définitive, puisque la défense a dit vouloir l’attaquer sur le fondement d’une exception d’incompétence. Elle a soutenu que le tribunal militaire ne pouvait pas juger des militaires déjà radiés.
Dans la mesure où la décision n’était pas définitive, le journal aurait pu être poursuivi pour avoir présenté le groupe de suspects dans des termes préjudiciables à son innocence.
A travers donc ces articles, on note au sein de Sidwaya des violations de la présomption d’innocence des personnes poursuivies. Ces violations tiennent aux termes utilisés pour désigner les suspects. Il y a aussi dans le quotidien d’Etat des cas d’atteintes à l’innocence présumée, tenant au traitement des illustrations de certains articles.
B. Les atteintes à la présomption d’innocence par le traitement des illustrations dans Sidwaya
Trois articles publiés dans la période d’étude contiennent des illustrations pouvant porter atteinte à la présomption d’innocence.
Le premier est paru dans le numéro 7 196 du jeudi 14 juin 2012 à la page 13. L’article est ainsi intitulé : « Commissariat de police de Boulmiougou : 10 malfrats dont un enfant de 12 ans dans les filets ». La photo des dix personnes alpaguées par la police les présente à visage découvert. Le journal n’a pas fait recours à la bande noire parfois utilisée pour flouter les images en pareille circonstance. De ce fait, l’article peut être considéré comme préjudiciable à l’innocence présumée des personnes poursuivies.
Bien plus, dans la légende accompagnant l’image des suspects, le journal les qualifie de « bandits aux arrêts ». A l’étape policière de la procédure judiciaire, la formulation d’une telle légende ne tient pas compte de l’innocence. Le jugement n’étant pas encore prononcé, il aurait été convenable de traiter les personnes mises en cause comme étant des suspects ou encore des présumés bandits.
En procédant comme il l’a fait, le journal a risqué une plainte pour diffamation ou pour injure. L’emploi du terme « bandit » dans la légende pourrait échapper à la qualification de diffamation, si l’allégation ou l’imputation d’un fait précis n’est pas retenue. Mais il y a une forte probabilité qu’il tombe dans la qualification juridique de l’injure, définie comme une expression outrageante ou méprisante qui ne renferme pas l’imputation d’aucun fait précis.
Dans tous les cas, l’atteinte à la présomption d’innocence dans cet article est indéniable.
Le numéro 7 228 du mardi 7 août 2012 de Sidwaya comporte à sa page 31 un article où le journal n’est pas allé au bout de sa logique tendant au respect de la présomption d’innocence. Dans cet article portant le titre « Démantèlement d’un réseau de délinquants à Ouagadougou : « Satan» et ses compagnons entre les mailles de la gendarmerie », le journal a flouté à sa manière les visages des personnes arrêtées.
Mais les bandes cachant les visages sont très minces au point que leur effet se trouve réduit. De plus, à lire la légende des photos, on croirait que les suspects ont déjà été jugés coupables des faits à eux reprochés. En effet, le quotidien d’Etat formule successivement à propos des deux images : « Les faussaires ont été arrêtés et leurs produits confisqués » et « Ali Zida alias Satan à gauche, et les deux récidivistes en face de leur butin ».
Par ces légendes, les atteintes deviennent nombreuses dans cet article. Elles se manifestent à la fois par les images et les termes employés. Au-delà de l’atteinte de la présomption d’innocence par les illustrations, il y a également des signes de diffamation. Dire des personnes poursuivies qu’elles sont des faussaires, donc des auteurs de faux avant tout jugement peut tomber dans la qualification de la diffamation. Le fait d’ajouter que deux des personnes arrêtées sont des récidivistes peut également comporter un risque de diffamation. Car, lorsque les faits commis remontent à plus de 10 ans, ils bénéficient de l’oubli et le journaliste est interdit d’en parler. Dans ce cas, même si les faits sont avérés, la preuve de la vérité des faits ou l’exceptio veritatis, censée disculper le journaliste est inopérante.
L’article de la page 31 du numéro 7 228 du mardi 7 août 2012 précité, comme déjà mentionné, recèle plusieurs manifestations d’atteinte à la présomption d’innocence. Comme nous l’avons répertorié parmi les articles violant la présomption d’innocence, sa prise en compte dans une autre catégorie, nous aurait conduit à le comptabiliser doublement.
Dans sa livraison numéro 7 291 du jeudi 8 novembre 2012, Sidwaya rapporte à sa page 32 l’arrestation d’«une présumée voleuse d’enfant ». Le visage de la dame est traversé d’une bande noire. Mais le journal présente la dame en gros plan, si bien que l’effet de la bande est insignifiant. L’identification de la dame est bien possible, même au-delà du cercle familial. Ici l’usage du « zoom » entraîne une atteinte à l’innocence présumée, réduisant presqu’à néant la technique tenant à cacher le visage du suspect par la bande noire. La photo en question n’est pas légendée.
Tous ces exemples confirment qu’il subsiste des cas d’atteinte à la présomption d’innocence dans Sidwaya. Dans L’Observateur Paalga également, en dépit des efforts fournis pour respecter la présomption d’innocence, des atteintes audit principe demeurent.
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