Il est ressorti de nos entretiens avec les responsables des journaux étudiés que les hommes de médias n’entendent jamais taire une affaire pénale dans le but de protéger la présomption d’innocence. Les journalistes préfèrent en parler en prenant un certain nombre de précautions pour protéger l’innocence présumée.
Au-delà de ces professionnels de médias, certains penseurs du domaine de la presse ainsi que des associations professionnelles de la presse proposent aux journalistes des règles de conduite générale qui, elles aussi, peuvent contribuer à résoudre le conflit entre la présomption d’innocence et le droit à l’information.
Certaines de ces solutions relèvent de l’éthique et de la déontologie journalistiques (A). D’autres sont liées aux techniques journalistiques(B).
A. Les solutions tenant à l’éthique et à la déontologie journalistiques
Dans Droit de l’information et de la communication, Bruno Ravaz et Stéphane Retterer estiment qu’il est nécessaire de retenir le respect de la présomption d’innocence dans la déontologie journalistique (34).
Du reste, certaines règles éthiques et déontologiques du journalisme permettent de réduire les atteintes à la présomption d’innocence. Il s’agit entre autres de l’objectivité(1) et de l’exactitude (2).
1. L’objectivité
Henry H. Schulte et Marcel P. Dufresne considèrent l’objectivité comme le onzième commandement du vrai journaliste. Selon eux, « il ne s’agit pas de l’attitude subjective et partisane mais d’un journalisme qui allie l’exactitude et l’équité fondée sur une recherche exhaustive qui éclaire les évènements et les problèmes (35)».
L’objectivité exige du journaliste une prise en compte des points de vue de toutes les parties impliquées dans une affaire. Le journaliste doit faire preuve d’objectivité dans le traitement de l’information. Et le non-respect de ce devoir pourrait nuire aux personnes dont il parle.
A ce propos, Kristin Helmore conseille aux journalistes de déployer tous leurs efforts pour permettre à l’accusé de répondre des accusations dont le journaliste fait état dans son article. Cet auteur ajoute que lorsque le journaliste se trouve dans l’impossibilité de satisfaire à cette exigence, il doit le mentionner dans son écrit.
Bien plus, Kristin Helmore écrit : « Le journaliste ne doit jamais oublier qu’il détient un certain pouvoir et qu’il peut, sans le vouloir, causer du tort à des innocents. Cela est particulièrement vrai lorsque les questions abordées mettent en cause le comportement de certaines personnes. Même s’il se confirme après coup qu’elle n’est pas coupable, toute personne accusée par la presse voit sa réputation ternie (36)».
L’objectivité dans le traitement de l’information pourrait donc contribuer à la protection de la présomption d’innocence. Le devoir d’exactitude, s’il est observé, aboutit au même résultat.
2. L’exactitude
L’exactitude impose aux journalistes d’utiliser les termes qu’il faut pour désigner les réalités et les choses décrites dans l’article. En effet, le journaliste doit faire preuve de rigueur et de précision dans le choix des termes. Toute approximation peut induire le lecteur en erreur. Il en résulterait un tort causé aux personnes impliquées dans l’article.
Nous avons vu qu’en matière pénale, le choix inapproprié des termes peut porter atteinte à la protection de l’innocence présumée. Pour éviter ces atteintes, le journaliste du quotidien Le Pays, Séni Dabo, précédemment secrétaire général des rédactions dudit journal, a confié qu’il est toujours bon « de faire attention au choix des mots et d’utiliser l’adjectif qualificatif présumé pour désigner les individus mis en cause ».
A L’Observateur Paalga, le rédacteur en chef, Boureima Diallo dit prendre des précautions dans le traitement de l’information judiciaire. Il affirme compter sur le niveau de connaissance des questions judiciaires par les journalistes qui en traitent (37).
Dans le traitement de l’information judiciaire, le devoir d’exactitude devrait conduire les journalistes à désigner la personne poursuivie comme un inculpé, un prévenu, un accusé, selon les cas, et non comme un fraudeur, un voleur ou un assassin.
En plus des règles éthiques et déontologiques certains principes relevant des techniques journalistiques sont de nature à éviter aux journalistes les violations de la présomption d’innocence.
B. Les solutions tenant aux techniques journalistiques
Il s’agit de la vérification des faits et de la distanciation du journaliste vis-à-vis de ceux-ci d’une part (1) et de la suite à donner aux affaires pénales d’autre part (2).
1. La vérification des faits et la distanciation
Dans sa tâche quotidienne de collecte de l’information, le journaliste a recours à des sources diverses. Malgré, la confiance qu’il peut accorder à ses sources, le journaliste doit toujours douter de la véracité des informations reçues. Il ne doit donc jamais publier une information sans procéder à sa vérification.
Le devoir de distanciation du journaliste vis-à-vis des faits signifie que celui-ci ne doit pas se faire prisonnier des faits bruts relatés par une source. En prenant les faits collectés auprès des sources pour parole d’évangile, le journaliste court le risque de se voir trompé et d’induire son public en erreur.
Ce devoir de vérification et de distanciation implique que le journaliste doit lui-même pousser l’investigation afin de fonder sa foi ou de déceler des contrevérités racontées par les sources.
Ainsi, en matière de protection de la présomption d’innocence, cette vérification des faits évite aux journalistes d’entériner les accusations non encore fondées portées à l’encontre des personnes poursuivies.
La protection de l’innocence présumée nécessite qu’une suite soit donnée aux affaires pénales.
2. La suite à donner aux affaires pénales
En traitant des critères de la qualité journalistique dans son ouvrage intitulé ABC de la presse écrite, Kristin Helmore suggère aux journalistes de toujours donner une suite à leurs articles. « Gardez toujours en mémoire le travail effectué sur vos articles. Vous pourrez en avoir besoin pour les travaux ultérieurs sur le même sujet », conseille l’auteur aux professionnels des médias.
La suite à donner aux affaires pénales est importante dans la mesure où elle permet de savoir ce qu’il est advenu d’une accusation formulée à l’encontre d’un individu. En effet, il s’agit pour le journaliste de suivre les traces d’une arrestation ou d’une inculpation et d’indiquer dans un autre article que la procédure a abouti à la condamnation ou à la relaxe de la personne mise en cause.
A ce sujet, le rédacteur en chef de Sidwaya, Alassane Karama, estime qu’ « il faut suivre les affaires pénales jusqu’au procès. Du moment où l’on a annoncé qu’une personne est arrêtée, il faut qu’on puisse informer plus tard de son innocence ou de sa culpabilité. C’est une insuffisance de notre part, si l’on n’arrive pas à suivre jusqu’au jugement ».
Outre ces solutions tenant à l’éthique et à la pratique journalistiques, le respect de la règlementation pourrait contribuer à concilier la présomption d’innocence et le droit à l’information. La charte du journaliste burkinabè mentionne en son article 12 : « Le respect du droit des personnes à la vie privée et à la dignité humaine, en conformité avec les dispositions nationales et internationales en matière de droit concernant la protection des individus et interdisant la diffamation, la calomnie, l’injure, l’insinuation malveillante, fait partie intégrante des normes professionnelles du journaliste burkinabè (38) ».
Au vrai, la loi elle-même propose des solutions au conflit entre la présomption d’innocence et le droit à l’information.
34 Ravaz Bruno et Retterer Stéphane, Droit de l’information et de la communication, Ellipse Edition Marketing SA, Paris, 2006, P. 64
35 Schulte H. Henry et Dufresne P. Marcel, Pratique du journalisme, Nouveaux Horizons, Paris, 1999, P. 11
36 Helmore Kristin, A.B.C de la presse écrite, Nouveaux Horizons, Paris, 1995, P. 79
37 Le chef de desk est juriste de formation
38 La charte des journalistes burkinabè a été adoptée en avril 1990 sous la houlette de l’Association des journalistes du Burkina(AJB)
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