A la différence de Sidwaya, L’Observateur Paalga ne traite pas dans une rubrique précise les affaires pénales. Toutefois, le doyen des quotidiens burkinabè offre à ses lecteurs aussi bien des comptes rendus d’audience que des articles portant sur des présentations de présumés délinquants. Le fait de rendre compte des affaires pénales alors que le jugement de condamnation n’a pas encore été prononcé n’est pas synonyme d’atteinte à la présomption d’innocence.
Bruno Ravaz et Stéphane Retterer, dans Droit de l’information et de la communication, énumèrent les conditions dans lesquelles une telle publication est admise. Selon ces auteurs, « quelle que soit l’approche, la publication d’informations complètes , incluant l’identité des personnes, est assurée dans l’ensemble des situations sur lesquelles le public devrait être informé : lorsque l’accusé est investi d’une fonction publique et qu’il est poursuivi pour des actes contradictoires avec sa charge, lorsqu’il jouit d’une renommée indiscutable et qu’il existe une relation entre les actes qui lui sont reprochés et les activités auxquelles il doit d’être connu, lorsque l’identité de l’accusé a été révélée publiquement par une instance officielle, que lui-même l’a dévoilée ou qu’il a accepté qu’elle le soit et enfin lorsqu’un intérêt public important le justifie (24)».
Le traitement de l’information judiciaire par L’Observateur Paalga répond à certaines de ces conditionnalités. En effet, la plupart du temps les affaires judiciaires sont ébruitées ou mises à la connaissance des médias par les autorités judicaires elles-mêmes. Très souvent, les journalistes ne font que relayer ce que la police, la gendarmerie, le ministère public ou les juges du siège ont rendu public au cours d’une conférence de presse ou d’une audience. Ce sont donc des instances officielles dont parlent Bruno Ravaz et Stéphane Retterer qui « vendent la mèche » aux journalistes.
Même informé de la commission d’une infraction par des structures officielles, L’Observateur Paalga prend un certain nombre de précautions afin de respecter la présomption d’innocence de la personne suspectée.16 articles recensés confirment notre propos. Dans ces articles, le respect de la présomption d’innocence est constaté à travers la terminologie employée par le journaliste pour désigner les personnes poursuivies ainsi que par les illustrations des articles.
Parmi ces articles, 14 respectent la présomption d’innocence par la terminologie et 02 le font par les illustrations.
A. Le respect de la présomption d’innocence par la terminologie employée par L’Observateur Paalga
Dans sa livraison n° 8147 du mardi 12 juin 2012 à la page 2, L’Observateur Paalga rend compte d’une manifestation des taximen, solidaires à 11 de leurs collègues déférés à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Le journal rapporte que les 11 taximen avaient été arrêtés à la suite d’une manifestation de protestation contre l’incarcération de l’un d’entre eux. Celui-ci a eu une altercation avec un autre usager de la route après un accident et est accusé d’avoir proféré des propos outrageants aux agents de police. A son sujet, le journal s’est écarté de tout propos qui donnerait à croire que la personne mise en cause est coupable de ce dont elle est reprochée. Il a plutôt précisé : « C’est dans le strict souci d’apaiser la situation que le procureur aurait accédé à l’exigence des taximen, mais l’action juridique n’est pas éteinte ; l’enquête se poursuivrait, a –t-on entendu du côté de la Justice ». En mentionnant que l’enquête se poursuivrait, le journal donne à lire à ces lecteurs que même détenu, l’intéressé n’est pas encore coupable et que la Justice elle-même n’est pas encore convaincue des chefs d’accusation qui pèsent sur lui. C’est la raison pour laquelle elle entend poursuivre l’enquête pour mieux fonder sa religion.
Dans sa parution n° 8 151 du lundi 18 juin 2012, à la page 10, L’Observateur Paalga traite d’une affaire pénale avec la tiraille suivante : « Prison de Ouahigouya : La foule libère un détenu ». Le journal raconte qu’un marabout provisoirement détenu à la Maison d’arrêt et de correction de Ouahigouya et soupçonné d’avoir commis un outrage à magistrat, lors d’un prêche sur les ondes de la radio Wend-Panga émettant de la même ville, a été libéré par une foule.
En aucun moment, le journal ne présente le marabout libéré comme coupable. Il a seulement relevé que pour les faits à lui reprochés, il était jusqu’au moment de sa libération en détention provisoire, suite à un mandat de dépôt délivré à son encontre.
Mieux, dans cette affaire, le respect de la présomption d’innocence se manifeste à travers un traitement équilibré de l’information. Si les journaux ouvrent rarement leurs colonnes aux personnes poursuivies, L’Observateur Paalga, lui, a, dans cette affaire, donné la parole au plaignant et à la personne poursuivie.
Dans sa version des faits, le procureur du tribunal de grande instance de Ouahigouya explique que le marabout avait d’abord été convoqué en Justice avec d’autres personnes à propos d’une question d’autorité parentale. Lors de son prêche sur la radio Wend-Panga, le marabout a évoqué l’affaire. « Il a donné une version tout à fait personnelle. C’est là qu’il a commis ce qu’on appelle outrage à un magistrat. Il a qualifié le substitut Ouédraogo d’homme complètement bête, de quelqu’un qui se croit au-dessus d’eux (…) ». Par ailleurs, le procureur a estimé que la radio Wend-Panga a fourni au marabout les moyens de l’outrage et de l’injure en ouvrant ces ondes. Par conséquent, il a dit la poursuivre pour complicité. Cette lecture de faits vient remettre en cause une vieille logique qui voudrait que les médias et leurs responsables soient tenus pour auteurs principaux des délits commis par voie de presse et les auteurs des propos pour complices.
Dans sa livraison n° 8 159 du jeudi 28 juin 2012 à la page 8, L’Observateur Paalga est revenu sur le dénouement de la même affaire. L’article portait le titre suivant : « Un an avec sursis pour le marabout de You ». On apprend que le prévenu a reconnu les faits et a écopé d’une peine d’emprisonnement avec sursis d’un an et d’une amende de 100 000 F CFA. Mais le journal ne dit pas si la complicité de la radio, comme le prétendait le procureur, a été établie ou non.
On retiendra qu’il n’y a pas eu, dans cette affaire, de la part du journal un choix terminologique ni des commentaires qui faisaient penser que le prévenu était coupable. Ce n’est qu’après le jugement que le journal a fait état de la culpabilité du marabout, rendant compte d’une décision de Justice que la personne condamnée n’a pas contestée.
Dans sa publication n° 8 175 du vendredi 20 au dimanche 22 juillet 2012, à la page 6, et dans la rubrique « Une Lettre pour Laye », L’Observateur Paalga annonce la mise en liberté provisoire de l’ex-Directeur général des Douanes, Ousmane Guiro, arrêté et placé en détention provisoire en janvier 2012 pour enrichissement illicite et bien d’autres griefs. C’est par la terminologie que le journal fondé par Edouard Ouédraogo se montre respectueux de la présomption d’innocence de l’intéressé. « On se souvient qu’un mandat de dépôt fut décerné contre lui par le procureur du Faso. Et depuis janvier 2012, plus rien dans le volet judiciaire sauf que le suspect déféré à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO), toutes les icônes de l’administration douanière seront déboulonnées sous le règne de K. Sylvestre Sam. Mais quid du prévenu Guiro ? », a écrit L’Observateur Paalga. Les termes « prévenu » et « suspect » employés par le journal signifient que l’innocence de l’intéressé est toujours intacte et seul le juge répressif pourrait la remettre en cause.
Dans sa livraison n° 8 256 du lundi 19 novembre 2012, à la page 3, L’Observateur Paalga rend compte du « Procès de la crise intercommunautaire de Passakongo ». Dans ce compte rendu d’audience, le journal préfère au nom des parties, leurs initiales dans le but de ne pas révéler leur identité, malgré le fait que la publication des identités semble tolérée par certains auteurs. Le journal donne à lire ceci : « C.J. et soixante-sept autres, prévenus poursuivis pour dégradations volontaires de biens et immobiliers, abattage d’animaux domestiques sans nécessité, coups et blessures volontaires au préjudice de D.M. et cinquante-cinq autres ont comparu à la barre les 15 et 16 novembre 2012. ».
Outre l’emploi des initiales, le mot « prévenu » est utilisé à plusieurs reprises dans l’article. C’est le cas dans le passage suivant : « En répression, vingt-deux prévenus ont été, par contre, condamnés à une peine d’emprisonnement de six (06) mois assortie du sursis à exécution chacun. Onze(11) ont écopé d’une peine d’emprisonnement de trois (03) mois fermes chacun, six (06) autres ont pris six (06) mois fermes chacun ».
Le compte rendu de procès, comme c’est le cas de l’article ci-dessus cité, à l’opposé des textes rapportant les présentations de présumés délinquants par les officiers de police judiciaire, a l’avantage de rendre publique une décision du juge, lui qui a le monopole de la condamnation ou de la relaxe. Ainsi, lorsque l’article de presse indique que le suspect a été relaxé, il divulgue l’idée de son innocence au sein du lectorat, restaurant à grande échelle son honneur et sa considération quelque peu entamés par l’interpellation ou l’inculpation.
De même, lorsque le journal diffuse une information sur la condamnation du prévenu ou de l’accusé, il ne viole pas non plus la présomption d’innocence puisqu’en réalité celle-ci n’existe plus. Et le journal tient cette vérité du juge à qui la loi a donné le pouvoir de dire si tel prévenu ou accusé est innocent ou coupable.
Dans son numéro 8 275 du lundi 17 décembre 2012, à la page 23, L’Observateur Paalga annonce : « Commune rurale de Pobé Mengao : Un conseiller municipal UPR froidement abattu ». Dans la relation des faits, L’Observateur Paalga n’a pas jugé nécessaire de taire les identités ni de l’auteur présumé de l’assassinat ni de celle de la victime.
Mais comme nous l’avons mentionné plus haut, cette révélation des identités n’est pas forcément attentatoire à la présomption d’innocence. Bien plus, le journal n’a pas fait fi de ce droit fondamental dans le traitement de cette affaire. Alors que peu de gens auraient douté de la culpabilité du sieur Issouf Konfé au regard des faits, L’Observateur Paalga s’efforce de le désigner comme un présumé assassin et non pas déjà comme un assassin. Le journal écrit : « Alertés par les coups de feu, les gens ont accouru vers le lieu du drame pendant que le présumé assassin démarrait son véhicule en trombe (…). Le véhicule du fuyard a été retrouvé en panne vers Bourzanga. Selon notre source, le présumé assassin qui serait présentement entre les mains des forces de l’ordre n’est pas un enfant de chœur ».
Le fait d’ajouter que le présumé auteur n’est pas un enfant de chœur n’est pas moins tendancieux. Mais, ce bout de phrase ne devrait pas altérer la volonté du journal de protéger l’innocence de la personne mise en cause. En considérant cette dernière comme un présumé assassin, le journal voudrait-il nous rappeler que la vérité judiciaire n’est pas toujours la vérité tout court ?
En effet, il existe en droit une panoplie d’arguments (que l’on peut tirer des faits justificatifs, des causes de non-imputabilité) qui peuvent éviter à une personne dont le sort paraît scellé, la prison ou d’autres peines plus sévères (la peine capitale par exemple). En justice, il se produit parfois des retournements de situation spectaculaires où le plaignant devient le coupable et vice-versa. Il est donc toujours bon de faire montre de précaution dans l’expression des opinions et le choix des termes pour désigner les personnes poursuivies. C’est peut-être la leçon que L’Observateur Paalga a voulu donner dans le traitement de l’article précité.
En sus du respect de la présomption d’innocence par la terminologie utilisée pour rendre compte des affaires pénales, il existe dans L’Observateur Paalga un traitement des illustrations des articles que l’on peut considérer comme protecteur de l’innocence présumée.
B. La protection de l’innocence par l’image dans L’Observateur Paalga
La protection de la présomption d’innocence se décline de diverses façons. La protection du droit à l’image des personnes poursuivies constitue un aspect de la protection de leur innocence. Le principe est de ne pas fixer et diffuser la photo d’un suspect sans son consentement. C’est généralement lors des présentations de présumés délinquants que ces images sont prises. Puisque, s’agissant des comptes rendus d’audience, la possibilité pour un journaliste d’effectuer des prises de vue lors d’un procès est minime, la loi l’interdisant.
Même concernant les photos prises à l’occasion de présentation de suspects par les officiers de police judiciaire, il est difficile d’accuser le journaliste d’atteinte à la présomption d’innocence. Celui-ci pouvant se prévaloir d’une exception au principe : lorsque la personne photographiée se trouvait dans un lieu public, son autorisation n’est pas requise si la photo prise est relative à l’actualité.
Qu’à cela ne tienne, une certaine opinion continue de considérer que la publication des photos à visage découvert de personnes poursuivies constitue une atteinte à leur innocence.
A travers les articles étudiés, on voit que L’Observateur Paalga procède à un traitement des photos qui tient compte de ce droit fondamental de l’Homme. Deux articles comportent des photos qui corroborent nos propos.
La technique utilisée par L’Observateur Paalga consiste à cacher les visages des personnes interpellées par une bande noire. Dans le numéro 8 280 du lundi 10 septembre 2012, à la page 4, le journal fait état de l’arrestation de deux réseaux de présumés délinquants. Les photos des deux groupes de suspects sont placées côte à côte, le visage de chacun d’eux étant traversé par une bande noire. Il est vrai que malgré une telle disposition, les personnes photographiées peuvent être identifiées par leur entourage. Toutefois, cette identification demeure presque impossible à toute personne étrangère aux intéressés.
Dans son numéro 8 820 du lundi 24 décembre 2012, L’Observateur Paalga rapporte que des cybercriminels ont escroqué la somme de 18 millions. La photo du groupe d’individus arrêtés par la gendarmerie présente huit personnes difficiles à identifier. Cela est dû à la bande noire placée sur chaque visage.
C’est seulement dans les deux articles cités que nous avons pu constater un traitement de l’image respectueux de l’innocence dans L’Observateur Paalga.
Ce nombre s’explique par le fait que certains articles, notamment les faits divers et les brèves contenus dans la rubrique « Une lettre pour Laye» et même les comptes rendus des audiences ne sont pas illustrés. La plupart des articles illustrés portent sur des présentations de présumés délinquants par les services de police et de gendarmerie. Même pour ce type d’articles, bon nombre d’illustrations ne montrent pas les personnes poursuivies. La plupart des photos sont soit celles des premiers responsables de forces de sécurité dont les agents ont réussi à mettre aux arrêts les suspects, soit celles montrant le matériel et biens saisis entre les mains des personnes mises en cause.
L’article publié à la page 12 du n° 8 242 du lundi 29 novembre 2012 et titré : « SONAPOST Sidéradougou : Le receveur et le gardien tués » est un fait divers, sans aucune illustration. C’est également le cas de l’information portant sur « Commune rurale de Pobé Mengao : Un conseiller municipal UPR froidement abattu » et publiée dans le numéro 8 275 du lundi 17 décembre 2012. Ce fait divers n’est pas illustré. La brève contenue dans « Une lettre pour Laye », à la page 6 du numéro 8 175 du vendredi 20 au dimanche 22 juillet 2012 et rapportant la liberté provisoire accordée à l’ex-directeur général des Douanes, Ousmane Guiro, n’est pas assortie d’illustration.
L’article portant le titre « Enrôlement de mineurs à Ouahigouya : une enquête est ouverte » et publié à la page 7 du numéro 8 187 du mercredi 8 août 2012 comporte de nombreuses illustrations. Mais aucune d’entre elles ne montre les personnes suspectées de fraude électorale. Au contraire, on reconnaît sur les différentes photos, le substitut du procureur près le Tribunal de grande instance de Ouahigouya, le commissaire régional de la CENI au Nord et deux opérateurs de kits, considérés comme des témoins.
Il y a une absence remarquable de photos de personnes poursuivies si bien que l’on se demande si le journal les aurait présentées à visage découvert ou non. Mais on pourrait interpréter le nombre insignifiant des photos des suspects dans les colonnes du journal comme une autre forme de respect de la présomption d’innocence. Tous ces articles ne montrant pas les photos des personnes soupçonnées de la commission d’infractions, ont déjà été répertoriés comme respectant la présomption d’innocence par l’usage de la terminologie. Si l’on devrait créer une catégorie les concernant, ils seront comptabilisés doublement.
A travers l’étude de plusieurs numéros de L’Observateur Paalga, on constate un mode de traitement de l’actualité judiciaire respectant la présomption d’innocence des personnes poursuivies. Le choix des terminologies désignant les suspects, certaines illustrations d’articles ou même l’absence des photos de personnes poursuivies dans certains articles procèdent de la protection de l’innocence présumée.
Quid du quotidien Le Pays ?
24 Ravaz Bruno et Retterer Stéphane, Droit de l’information et de la communication, Ellipse Edition Marketing SA, Paris, 2006, P 65
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