Il est vrai que tout mémoire se veut original. Toutefois, cette quête d’originalité n’empêche pas de s’inspirer d’auteurs qui ont déjà exploré la même matière. Ainsi, nous avons pris appui sur des auteurs tels Emmanuel Derieux, Charles Debbasch, Emmanuel Dreyer et Bruno Ravaz ainsi que Stéphane Reterer.
Dans son œuvre intitulée Droit des médias, parue à Dalloz, Emmanuel Derieux aborde la présomption d’innocence sous l’angle du droit de la responsabilité des médias. On apprend avec cet auteur que c’est par la loi du 4 janvier 1993 qu’a été mis en place un mécanisme judiciaire de garantie de la présomption d’innocence. Il écrit : « Basé sur le même principe que celui de la protection de la vie privée, l’article 9-1 du Code civil pose que « chacun a droit au respect de la présomption d’innocence (8) ». ».
L’auteur ajoute que l’alinéa 2 du même article a été modifié par la loi du 15 juin 2000, laquelle précise qu’il y a atteinte à la présomption d’innocence « lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire ». Pour Emmanuel Derieux, il n’est pas interdit aux médias de publier certaines informations, mais seulement de présenter, alors, une personne comme « coupable ».
M. Derieux considère qu’en cas de violation, l’action civile plus que celle pénale est mieux indiquée pour la réparation du préjudice subi par l’individu dont la présomption d’innocence a été bafouée. Au titre de la réparation, Derieux indique que les dispositions légales prévoient la réouverture du droit de réponse, du délai de prescription, l’insertion de décisions de Justice, ou de communiqué dans le journal fautif et ce, même par voie de référé.
Emmanuel Derieux traite également dans Droit des médias de l’obligation pour les médias de respecter la vie privée et les autres droits de la personnalité.
Pour lui, « les médias sont parmi les principaux moyens par lesquels de telles atteintes à l’intimité de la vie privée sont portées. Il n’y a donc aucune raison de les faire échapper à de telles mesures, pas plus d’ailleurs qu’à celles de même nature que permet, de façon générale, le Code de procédure civile ».
Dans Droit des médias paru également à Dalloz, sous la direction de Charles Debbasch, les auteurs affirment que le principe de la présomption d’innocence existait bien avant la loi de 1993.
Pour eux, « la consécration d’un nouveau droit (à travers la loi du 15 juin 2000 ayant modifié le Code de procédure pénale français) peut sembler à priori de nature à lui conférer un deuxième souffle. Si ce n’est que la lecture des nouvelles dispositions appelle une interprétation restrictive et que le champ d’application de ce droit au respect se trouve être aujourd’hui particulièrement réduit (9) ».
Les auteurs de Droit des médias ont énuméré les conditions de la protection de la présomption d’innocence. Ainsi, d’après eux, la victime d’une atteinte à la présomption d’innocence n’est pas tenue de justifier de l’existence d’un acte spécifique de procédure. Il suffit qu’elle ait été présentée publiquement, avant toute condamnation, comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire. En plus, la personne doit avoir été présentée publiquement comme étant coupable des faits faisant l’objet de l’enquête ou de l’instruction judiciaire.
A l’instar de Emmanuel Derieux, Charles Debbasch et ses co-auteurs admettent que la réparation pour violation de la présomption d’innocence peut s’obtenir soit par le biais d’une action en diffamation ou du droit de réponse, soit par la mise en œuvre, sous certaines conditions tenant à la notion de faute civile et à la prescription, des règles de la responsabilité civile.
Le groupe d’auteurs dirigé par Charles Debbasch a aussi indiqué les limites juridiques à la mise en œuvre de la protection de la présomption d’innocence. La première limite, selon ces auteurs, tient à l’édiction d’une condamnation définitive. En effet, écrivent-ils, une personne qui se plaint d’une atteinte à sa présomption d’innocence, perd le droit à la protection une fois qu’une décision de Justice devenue définitive confirme sa culpabilité. Charles Debbasch et autres estiment qu’ « il n’est pas interdit de diffuser par voie de presse l’arrestation d’un individu présenté comme suspect, voire la commission d’un crime, la limite doit tenir de la part du journaliste, à l’absence de toutes conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité de l’intéressé (10) ».
Sur ce point, Charles Debbasch et ses co-auteurs ont pris appui sur un jugement du Tribunal de grande instance(TGI) de Paris, rendu le 7 juillet 1993 (11) à propos d’une émission télévisée sur une affaire de mœurs dans un collège. Cette limite à la protection tenant à l’absence de toutes conclusions définitives, de l’avis de M. Debbasch, empêche que face à la liberté d’informer les lecteurs, la protection de la présomption d’innocence ne devienne un « verrou automatique ». En se référant à une autre jurisprudence du TGI de Paris, les co-auteurs mentionnent : « De manière plus générale, concernant le compte rendu d’affaires judiciaires en cours, dès l’instant où le journaliste n’abuse pas du droit qui est le sien d’informer les lecteurs en n’assortissant pas ses propos d’un commentaire anticipant ses certitudes quant à l’issue de la procédure ou en ne cherchant pas à persuader le lecteur de la culpabilité de la personne mise en cause, il n’y a pas atteinte portée à la présomption d’innocence (12) ».
Toutefois, les auteurs reconnaissent que le but légitime d’information du public ne dispense pas le journaliste du respect de la présomption d’innocence ainsi que de devoirs de prudence et de d’objectivité dans l’expression de la pensée. Du moins, M. Debbasch et autres reprennent à leur compte un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation française en date du 22 octobre 1996 (13).
Au titre des modes de protection de la présomption d’innocence, Charles Debbasch et autres énumèrent la rectification ou la diffusion d’un communiqué pour faire cesser toute atteinte. Ils invitent à ne pas confondre cette rectification qui peut être ordonnée en référé, avec le droit de réponse. Cette insertion, précisent les auteurs, est ordonnée aux frais de la personne physique ou morale responsable de l’atteinte à la présomption d’innocence. Enfin, ajoutent-ils, cette insertion n’exclut pas l’action en réparation des dommages subis.
Dans Droit de l’information, Emmanuel Dreyer insiste sur la responsabilité pénale des médias. Il souligne que la volonté du législateur de protéger la présomption d’innocence s’est manifestée par l’interdiction de publication d’un certain nombre d’informations.
Certaines sont liées au procès. Les autres sont étrangères à tout procès.
L’interdiction de publication des informations liées au procès, selon Emmanuel Dreyer, doit permettre de protéger, entre autres, la présomption d’innocence, la discrétion des débats et l’autorité de la Justice.
S’agissant de la protection de la présomption d’innocence, l’auteur attire l’attention sur l’interdiction de reproduction des actes de procédure d’une part, et d’autre part sur l’interdiction de diffusion de certaines atteintes à l’honneur de la personne par l’image ou par sondage.
On retient que l’article 38 al.1 de la loi du 29 juillet 1881 interdit « de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique ». M. Dreyer ajoute que d’une certaine façon, cette disposition vient corroborer le principe du secret de l’instruction, posé par l’article 11 du Code de procédure civile. Pour lui, ces dispositions ont pour but de faire respecter la présomption d’innocence.
A propos des images susceptibles de menacer l’innocence, Emmanuel Dreyer rappelle que la loi interdit l’image d’une personne « faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu’elle est placée en détention provisoire (14) ».
Par ailleurs, Dreyer relève la possibilité pour les sondages de porter atteinte à la présomption d’innocence. D’où l’incrimination de tout « fait, soit de réaliser, de publier ou de commenter un sondage d’opinions ou tout autre consultation, portant sur la culpabilité d’une personne mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale ou sur la peine susceptible d’être prononcée à son encontre, soit de publier des indications permettant d’avoir accès à des sondages ou consultations… ». L’auteur pense qu’il s’agit là d’éviter tout « lynchage médiatique ».
Emmanuel Dreyer note également les interdictions de comptes rendus de procès en matière de diffamation et en matière familiale. Les comptes rendus de débats et la publication des pièces de procédure concernant les questions de filiation, les actions à fins de subside, les procès en divorce, les séparations de corps et nullités de mariage et les procès en matière d’avortement sont interdits, conformément à la loi. Seulement, le dispositif des décisions peut être publié et les publications techniques doivent respecter l’anonymat des parties.
Bruno Ravaz et Stéphane Retterer sont les auteurs de Droit de l’information et de la communication. Pour eux, la présomption d’innocence s’applique en principe à l’Etat lui-même et à ses organes et non aux médias et aux journalistes. Toutefois, ces auteurs proposent d’en admettre le principe dans la déontologie journalistique. En effet, expliquent-ils, la presse, à défaut de convaincre les juges professionnels, peut influencer l’opinion publique par sa façon de résumer tels faits ou présenter telle personne comme coupable.
Bruno Ravaz et Stéphane Retterer pensent que, parce que le journaliste ne peut se montrer totalement discret et que le public a le droit d’être informé, la prise en considération de la présomption d’innocence passe par un usage contrôlé de la publication de l’identité des personnes accusées.
En somme, les deux co-auteurs en appellent au sens de la responsabilité aussi bien du journaliste dans le traitement de l’information et dans son comportement sur le terrain que du lecteur dans le choix de ce qu’il lit.
8 Derieux Emmanuel, Droit des médias, 2e édition, Dalloz, Paris, 2001, P.102
9 Debbasch Charles et autres, Droit des médias, Dalloz, Paris, 2000, P. 1026
10 Debbasch Charles, Droit des médias, Dalloz, Paris, 2000, P. 1031
11 TGI de Paris, 7 juillet 1993, Jurisdata n° 050002 ; cité par Debbasch Charles et autres
12 Debbasch Charles et autres, Droit des médias, Dalloz, Paris, 2000, P. 1032
13 Crim., 22 octobre 1996, JCP, 1997-VI, n° 66, ad. Légipresse, janvier-février 1997, n° 138-III, p.1, cité par Debbasch Charles
14 Dreyer Emmanuel, Droit de l’information, Litec, Paris, 2002, P.106
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