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Sur les arguments tirés de la mauvaise foi et l’abus de droit

Enfin, selon les assureurs, la condition à l’exercice de ce droit de renonciation est bien évidemment la bonne foi du souscripteur, la limite à cette faculté étant l’abus de droit de la part de celui-ci.

La difficulté réside dans la spécificité du droit de la consommation qui crée un régime protecteur dérogatoire au droit commun ; cette question de l’abus de droit ou de l’exigence de la bonne foi n’ont été tranchées ni par la jurisprudence française ni par celle européenne.

On peut tout au plus citer l’arrêt « Travel-Vac » rendu par la Cour de Justice des Communautés Européennes du 22 avril 1999 (C.423/97). Dans cette décision, la Cour ne semble en aucun cas interdire de retenir la mauvaise foi ou l’abus du contractant dans l’exercice de son droit au cours de la période prorogée.

En l’espèce, il s’agissait d’une question posée par le gouvernement espagnol : suffit-il, pour que le consommateur exerce son droit de renonciation visé à l’article 5 de la directive 85/577/CEE du 20 décembre 1985 « concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux » que le contrat ait été conclu dans des circonstances telles que celles décrites à l’article 1er de cette directive ou s’il y avait lieu, en outre, de démontrer que le consommateur avait été influencé ou manipulé par le commerçant.

La Cour rappelle: « la directive énonce que lorsqu’un contrat est conclu en dehors des établissements commerciaux du commerçant, le consommateur ne s’est en aucune façon préparé aux négociations et se trouve pris au dépourvu et que souvent, il n’est pas à même de comparer la qualité et le prix de l’offre avec d’autres offres. C’est la raison pour laquelle il y a lieu d’accorder au consommateur, selon le cinquième considérant de cette directive, un droit de résiliation pendant une durée de sept jours au moins, afin de lui donner la possibilité d’apprécier les obligations qui découlent du contrat ».
Elle répond à la question posée : « il suffit, pour que le consommateur bénéficie du droit de renonciation prévu à la directive 85/577, qu’il se trouve dans l’une des situations objectives décrites à l’article 1er de ladite directive. En revanche, un comportement déterminé ou une intention de manipulation de la part du commerçant ne sont pas exigés et n’ont donc pas à être prouvés ».

Pour être exercée, la faculté de renonciation ne nécessite donc pas la preuve d’une quelconque faute de la part du commerçant.
Cela semble pouvoir aussi être le cas en matière de faculté de renonciation au contrat d’assurance sur la vie. Pendant le délai de 30 jours cette faculté est discrétionnaire, c’est-à-dire que le souscripteur pourra choisir arbitrairement de ne plus continuer le contrat. Cependant au-delà de ce délai, il devra effectivement prouver que l’assureur n’a pas rempli son obligation d’information.
Cette arrêt « Travel-Vac » ne trouve donc pas application en matière d’assurance vie cependant l’enseignement à retenir est le fait que l’assureur pourrait tout autant prouver la faute du souscripteur dans l’exercice de cette faculté après prorogation, l’objet de son mécontentement étant non pas le manque d’information mais la forme de sa délivrance.

En ce qui concerne le droit interne, les juges n’ont pas donné de réponse claire à une telle possibilité mais n’y semblent pas totalement hostiles.

D’autres droits d’ordre public ont pu être refusés d’exercice pour mauvaise foi ou abus.
Ce fut par exemple le cas pour une demande d’annulation formulée à l’encontre d’une sentence arbitrale ; la partie demanderesse fut même condamnée à des dommages et intérêts pour avoir agi de mauvaise foi, dans l’unique but de retarder la solution du litige (Civ.2ème 10 mai 1989, n°87-20115)

Dans le même sens, la jurisprudence a pu considérer que le caractère discrétionnaire d’un droit doit trouver sa limite dans l’éventuel abus qui est fait de ce droit. A une Cour d’appel qui jugeait que « le droit, pour le maître de l’ouvrage, de refuser ou d’accepter un sous-traitant, est un droit discrétionnaire, dont l’exercice est insusceptible de contrôle juridictionnel, hormis le cas, non invoqué en l’espèce, de collusion frauduleuse, entre le maitre de l’ouvrage et l’entrepreneur principal », la Cour de cassation a pu répondre: « en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les motifs de ce refus, dont le caractère discrétionnaire est limité par un éventuel abus de droit, et qui sont contenus dans une lettre du 17 juillet 1996, n’étaient pas fallacieux et « fabriqués » avec des moyens frauduleux, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef » (Civ.3ème, 2 février 2005, n°03-15409).

Il en ressort donc que la Cour de cassation aurait pu dans ses arrêts du 7 mars 2006, sanctionner un éventuel abus du droit à renonciation ou même par un renvoi, confier au juge du fond le soin d’apprécier la bonne ou mauvaise foi du souscripteur.

Il en est cependant tout autrement car bien qu’ayant constaté que le préjudice avancé par les plaignants n’était pas le défaut d’information mais bien un mécontentement sur l’évolution de leur capital, la Cour sanctionne les assureurs : « Qu’il résulte de l’article L132-5-1 du Code des assurances, d’ordre public, et conforme à la directive 2002/83/CEE du 5 novembre 2002, que l’exercice de la faculté de renonciation prorogée ouverte de plein droit pour sanctionner le défaut de remise à l’assuré des documents et informations énumérés par ce texte est discrétionnaire pour l’assuré dont la bonne foi n’est pas requise ;
Et attendu que l’arrêt retient exactement que, par les dispositions de l’article précité, le législateur a entendu contraindre l’assureur à délivrer au souscripteur une information suffisante et a assorti cette obligation d’une sanction automatique dont l’application ne peut être subordonnée aux circonstances de l’espèce ».

Cette solution est immensément regrettable car elle contrevient de manière importante à l’ordre moral et à la lettre de l’article 1134 du Code civil, alinéa 3 qui pose le principe d’exécution de bonne foi des contrats.

La question de la dualité ou de l’unicité des documents s’est alors trouvée à nouveau posée.
C’est pourquoi le législateur a décidé d’intervenir par la loi DDAC.
A l’origine, le projet de loi reprenait la solution antérieure selon laquelle la proposition ou le projet de contrat pouvaient valoir note d’information dès l’instant où ils répondaient aux conditions de cette dernière c’est-à-dire à partir du moment où les informations qui devraient y figurer sont reprises.
Selon l’Assemblée Nationale, la dualité devait être maintenue au motif que la note d’information « est un document pédagogique qui permet au contractant de connaître les éléments principaux du contrat ».
Le Professeur Luc Mayaux a pu répondre à cet argument que «la pédagogie ne s’accommode pas d’un document devenu si indigeste que la note d’information et que la sécurité juridique inciterait plutôt à un document unique ».
C’est ainsi que la version finale du texte met en place un système d’encadré qui devra être inséré en début de la proposition d’assurance ou du projet de contrat. Cet encadré devra entre autres préciser les garanties offertes, la disponibilité des sommes en cas de rachat, la participation aux bénéfices ainsi que les modalités de désignation des bénéficiaires et enfin regrouper les frais dans une même rubrique.
Un arrêté du 8 mars 2006 interviendra pour fixer « le format de cet encadré ainsi que, de façon limitative, son contenu » (article A.132-8 du Code des assurances).

L’encadré ne devra donc pas dépasser une page pour que l’on puisse toujours parler d’encadré alors que le nombre d’information que celui-ci doit contenir est considérable. La conséquence de cela est inévitablement l’augmentation du format des pages du document ou figure cet encadré.
Ces informations sont pour celles qui auraient été fournies par la note qui aurait dû être délivrée.
On retrouve donc les modalités de désignation des bénéficiaires ainsi que la mention du fait que les fonds investis sur un contrat en unités de compte ne sont pas garantis mais sont sujets à des variations positives ou négatives et ceci en caractères très apparents.
La mention suivante est aussi requise : «la durée du contrat recommandée dépend notamment de la situation patrimoniale du souscripteur (ou de l’adhérent), de son attitude vis-à-vis du risque, du régime fiscal en vigueur et des caractéristiques du contrat choisi. Le souscripteur (ou l’adhérent) est invité à demander conseil auprès de son assureur ».
Le souscripteur est donc invité à solliciter l’aide de son assureur, ce qui implique pour ce dernier une obligation de conseil.
On informe en outre ici le souscripteur/adhérent qu’il est plus diligent pour lui de lire son contrat (élémentaire mais c’est rarement le cas !) puisque l’encadré renverra systématiquement aux clauses du contrat dont il contient le résumé. De plus, doit figurer à la suite de l’encadré la formule suivante : «cet encadré a pour objet d’attirer l’attention du souscripteur (ou de l’adhérent) sur certaines dispositions essentielles de la proposition d’assurance (ou de projet de contrat ou de la notice). Il est important que le souscripteur (ou l’adhérent) lise intégralement la proposition d’assurance (ou le projet de contrat ou la notice), et pose toutes les questions qu’il estime nécessaires avant de signer le contrat (ou le bulletin d’adhésion).

On encourage le candidat à l’assurance à s’intéresser réellement à la portée de sa signature et au réel contenu du contrat.
Le but n’est pas d’alléger la responsabilité des assureurs qui pourraient rejeter la faute sur le candidat mais plutôt de favoriser la sécurité judiciaire: il est constant qu’en cas de contradiction entre différents documents contractuels, le juge fera prévaloir celui qui est le plus favorable au souscripteur ; or, ici, le juge ne pourra considérer l’encadré comme un document contractuel dissociable du reste justement en raison de ce renvoi constant aux dispositions du contrat.
N’étant tout de même qu’un résumé, la concordance avec les conditions générales peut ne pas être totalement parfaite et il faut espérer que le juge ne sera pas amené à considérer que cette possible infime discordance serait à même d’être une source de confusion dans l’esprit du candidat à l’assurance. Si cela s’avérait le cas, brièveté ne rimerait alors plus avec clarté.

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