Mon engagement dans la profession d’éducateur couvait donc déjà tôt dans mon histoire personnelle par le biais d’activités bénévoles et volontaires.
De fil en aiguille, j’ai fini par « débarquer » dans le milieu de l’Aide à la Jeunesse. Là, je me suis mis – successivement au sein de cinq services d’hébergement, de la France à la Belgique – au service d’enfants et adolescents placés par les autorités publiques compétentes.
Dans ce contexte, j’ai souvent été amené à mettre le focus sur le rapport particulier que beaucoup de jeunes bénéficiaires développaient avec les dispositifs et autres gadgets de la technologie numérique. J’observais une espèce d’obnubilation des sujets qui, à l’occasion de ces interactions, présentaient comme une fusion identitaire avec le non-humain. Ce phagocytage de l’homme par la machine inférait une prolongation inquiétante du temps qu’ils consacraient à ce domaine.
Simples espaces transitionnels, au sens de Winnicott ? Toujours est-il que « mes protégés » encouraient le risque réel, que ce doux flirt passager devienne un véritable poison pour eux dans la mesure où ils étaient susceptibles d’explorer ces lieux parallèles en guise d’échappatoire à leurs souffrances existentielles (voir Tisseron, page 22).
Il me fallait donc jouer la carte de la prévention pour que les U.P.T.I.C. n’émergent pas dans leur vie future tantôt plus ou moins proche, tantôt plus ou moins lointaine. Bientôt, inspiré par des auteurs ayant traité de la façon de considérer les adolescents et jeunes adultes fréquentant ces univers, équipé en plus d’outils empruntés aux champs théoriques et méthodologiques de ma formation, je me suis fixé comme objectif d’améliorer l’accompagnement pédagogique des
bénéficiaires dans leur consommation des contenus proposés par les T.I.C., afin de leur éviter des T.O.C.
Le choix des vignettes cliniques, figurant dans ce mémoire, m’a semblé pertinent pour faire état de la façon dont j’ai procédé pour modérer ou stabiliser la dose de pixels que s’« injectaient » quotidiennement les concernés. Les pistes d’intervention, que j’ai mises à l’épreuve par rapport à ces situations, ont chacune comme but commun de permettre aux bénéficiaires d’être plus pondérés dans leur consécration au loisir virtuel.
Dans la première situation, celle avec François et Damien, j’ai choisi de rencontrer un besoin relationnel insatisfait, similaire chez ces protagonistes. Pour ce faire, j’ai appliqué une piste proposée par Serge Tisseron (2008), qui consiste à s’investir – en tant qu’imago parental – aux côtés des jeunes. A cette occasion, les intéressés m’ont expliqué et fait expérimenter leur univers « magiques ». J’ai obtenu comme résultat de gagner davantage de proximité relationnelle avec eux. Ceci m’a permis, en tant qu’autorité ajustée, d’identifier davantage leurs besoins affectifs non nécessairement assouvis dans les jeux vidéo interactifs.
Dans le deuxième cas relaté, mon objectif était de mettre en place une réglementation formelle, claire et univoque pour une utilisation plus saine et équilibrée des PC. En terme d’hypothèses d’intervention, que j’ai exploitées suite à une première rencontre collective avec les jeunes, l’action que j’ai mise en place a eu un impact satisfaisant en ce qui regarde l’aspect organisationnel. Par contre, du point de vue relationnel, je n’ai pas été à la hauteur de mes espérances. Quelques ratés de ma part, au niveau du principe de relation d’aide et d’écoute, ont inféré une démotivation plus ou moins généralisée des jeunes dans leur contribution à la réalisation d’une charte informatique. Malgré cela, la réunion suivante s’est déroulée dans un climat assez détendu et plutôt « bon enfant ».
Enfin, dans une troisième et dernière situation, j’ai souhaité permettre à François de devenir le « client » d’une activité qui le fasse ponctuellement prendre de la distance d’avec ses centres d’intérêts pixélisés. Une fois sa demande d’activité extérieure formulée, j’ai pu organiser une sortie à vélo avec lui. Le garçon a reconnu s’y épanouir autant – pour ne pas dire plus – que s’il avait passé le même temps devant les écrans domestiques. La « mission » que je m’étais fixée a donc été couronnée de succès.
Par ailleurs, j’aurais souhaité faire part, au cours du développement de ce TFE, d’autres situations de mon stage dans lesquelles j’ai mis en place des activités alternatives à l’informatique. Or, le volume du porte-folio étant déjà bien fourni, je n’ai pas voulu en surajouté. Je vais donc m’arrêté à quelques descriptions succinctes ici.
Je prenais plaisir à lire des histoires aux plus petits pour favoriser leur endormissement paisible du coucher, quand j’étais de service. Ils se montraient silencieux pendant que je racontais. Probablement étaient-ils absorbés par mon intonation narrative, que je m’efforçais de rendre mélodieuse pour fixer leur attention. En dehors de nourrir la pensée magique de l’enfant, ne stimulais-je pas sa représentation symbolique (voir Pascale Gustin, page 23) favorable, en même temps, à une structuration linguistique ?
Le jeune François, onze ans, présenté antérieurement dans les trois situations éducatives, insistait souvent pour que je lui lise à son chevet des passages de ses livres de récits d’aventure, dont il parcourait lui-même parfois individuellement les chapitres. Il était, en ces circonstances, constamment pendu à mes lèvres et découvrait des mots dont je lui expliquais le sens.
Parfois, les mercredis après-midi ou le week-end, il m’arrivait de me retrouver avec quelques-uns autour d’un jeu de société de type coopératif ou stratégique. Je me faisais même le partenaire des plus jeunes en me laissant entraîner dans leurs jeux de rôles, du style « Papa, Maman et les enfants » ou « commerçant/client » ou encore en créant des interactions avec eux par le média des Playmobil.
Il est aussi certains autres loisirs que j’aurais aimé réaliser plus souvent avec les enfants. Ainsi, en tant qu’amateur de VTT, je n’ai pu réaliser que deux cyclo-randonnées pour partager mon plaisir avec eux. Les contraintes organisationnelles et météorologiques du printemps 2013 n’ont pas été propices à la multiplication de ce type de sortie.
Finalement, les changements induits par l’humain dans l’ici et maintenant de ma pratique, ainsi que la mutation permanente du contexte socio-économique, me conduisent à demeurer un professionnel jamais achevé, qui dois s’adapter en permanence. Il est de bon ton de parodier ici Simone de Beauvoir, en parlant de la condition de l’éducateur : on ne naît pas éducateur, on le devient !
J’ai également le souci constant de ne pas oublier Socrate disant : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Loin de me situer ainsi dans un esprit d’ignorance béate, je veux plutôt signifier qu’il est opportun – pour le professionnel que je veux être – de ne pas se lasser de découvrir ou parfois redécouvrir autrement l’humanité de l’Autre, dans un lien authentique et quotidien, pas à pas.
Je pense que le travail éducatif est jalonné de phases de construction, de déconstruction et de reconstruction. Ce travail, qu’il se fasse en individuel, en équipe ou en pluridisciplinarité, est fait de prises de risques et d’impasses, mais aussi de trouvailles et pari pour le bénéficiaire regorgeant de ressources parfois inexploitées…
Je reste toujours soucieux d’optimaliser l’intégration socio-professionnelle des jeunes dans une société multiculturelle régie par les lois de l’image et du multimédia. Fort de mes quinze ans d’expérience dans le secteur socio-éducatif, je tiens à continuer de mettre ma part de créativité et d’humanité au service de la santé et de l’épanouissement des personnes bénéficiant de mon accompagnement.