En apparence, l’ISR semble résulter d’une même volonté. En effet, la plupart des définitions indiquent qu’il consiste à intégrer des enjeux « ESG » dans les stratégies d’investissement. Mais derrière cet objectif convenu, se cache des réalités très différentes. D’ailleurs, cet objectif est ambigu. Deux questions implicites fragilisent les fondations de cette vision si consensuelle. Pourquoi intégrer des enjeux de RSE dans le choix de l’investissement ? Quels sont les moyens mis en place pour réaliser ce premier objectif ?
Les acteurs ne s’accordent guère sur ces questions, même au sein de la communauté ISR. Les définitions, les textes et les entretiens mènent tous à cette même conclusion. En fait, il existe des systèmes de représentation pour chacune des visions existantes, bien que des rapprochements puissent être faits pour certains de ces systèmes de représentation qui résultent eux-mêmes de valeurs parfois divergentes.
Au niveau de la finalité, l’ISR comme la RSE prennent forme à travers des choix opérés entre les trois sphères du développement durable : l’économie, le social et l’environnement. Ces choix sont différents en fonction des acteurs, l’ISR utilitariste privilégie par exemple l’économie lorsque l’ISR combiné peut privilégier le social ou l’environnement.
Ces systèmes de représentation modifient considérablement les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés. Un investisseur qui s’inscrit dans le cadre de la durabilité forte estime que la préservation de l’environnement et les besoins de développement remettent en cause la croissance économique et donc le profit futur de ses fonds. L’investisseur qui défend la durabilité faible pense que la préservation de l’environnement est compatible avec la croissance et par ricochet la performance financière. Les entretiens montrent d’ailleurs des contradictions dans les schémas de pensée de certains acteurs qui semblent se conformer à la logique dominante (durabilité faible et modèle actionnarial) mais la remettent tacitement en question.
Le but de ce mémoire était donc de déconstruire l’ISR, concept hétéroclite, afin de comprendre les systèmes de représentations sous-tendus. L’ISR responsabilité, dominant, semble résulter d’un compromis à l’instar du développement durable. Effectivement, son objectif final ne dit pas quelles sphères doivent être privilégiées. Pis, les moyens mis en place ne permettent pas de satisfaire la finalité de cet ISR. Nous avons montré, à ce sujet, que l’évaluation de la responsabilité constituait une gageure.
Le statu quo n’est donc pas souhaitable. L’orientation qui se dessine, celle de la performance qui permettrait d’élargir l’ISR à toute l’activité d’investissement ne l’est pas non plus. Pourtant, l’élargissement de l’ISR est souhaitable dans l’absolu, car il renforcerait la prise en compte des questions de responsabilité sociétale en entreprise.
Mais, l’élargissement actuel de l’ISR refuse d’autres cadres de pensées que ceux qui existent déjà. Dans la conception de l’ISR de performance, il n’y a pas d’autres schémas possibles que ceux de la durabilité faible, de la « croissance verte », de la régulation par le marché ou encore du modèle actionnarial.
Ces rouages conceptuels sont ceux qui prédominent depuis maintenant près de 20 ans. Ces rouages sont attaqués par la rouille et menacent le moteur économique et surtout social. La durabilité faible n’a pas empêché la destruction de l’environnement, au contraire. L’autorégulation ne fonctionne pas : les phases de dérèglementation financières sont synonymes de secousses de plus en plus fortes.
Pour la finance, l’enjeu est considérable. Elle est aujourd’hui une industrie de plus en plus décriée. Les scandales des années 2000 (Enron…), le rôle des banques dans les paradis fiscaux, la crise des subprimes en 2008 et la spéculation sur la dette des états poussent de plus en plus de personnes à s’indigner devant les places financières. En témoignent les campements de Wall Street, de la City ou de la Défense.
L’objectif final de responsabilisation n’est pas une révolution, certes. Cependant, il n’aliène pas l’ISR à l’idéologie dominante. Il permet à l’investisseur de prendre en considération les impacts positifs mais aussi les externalités négatives des entreprises. Cependant, des difficultés viennent amoindrir sa réalisation. Une réglementation pourrait permettre à l’ISR dynamique (ou responsabilisation) de se démocratiser, de mettre les investisseurs sur un même pied d’égalité et d’éviter les risques de « greenwashing ». Une nouvelle dénomination : l’Investissement pour le Progrès Sociétal des Entreprises (IPSE) conclurait cette « transformation ».
Enfin, l’ISR comme l’IPSE ne sont pas suffisants pour changer les pratiques des entreprises s’ils sont contraints par la vision actionnariale de la gouvernance. Le modèle actionnarial ignore les autres parties prenantes qui pourtant constituent l’entreprise. Un changement de paradigme dans la gouvernance signifierait, par ailleurs, peut-être la fin du capitalisme financier.