Comme l’indiquent très nettement les résultats du sondage réalisé au cours de ce mémoire (cf. annexe 1), les musulmans souffrent du regard que les médias français portent sur leur religion. En effet, à la question « Comment ressentez-vous, comment vivez-vous le regard des médias français envers l’islam et les musulmans? », 41 % ont répondu « il m’énerve », 23 % « il me blesse » et 19 % « il m’attriste ».
En majorité, les musulmans français croyants, âgés de 18 à 50 ans, sont donc plutôt énervés du regard que portent les médias sur leur religion.
Par ailleurs, 49 % des répondants déclarent ne pas se sentir à l’aise aujourd’hui, en France, en tant que musulmans. Nous avons donc, aujourd’hui en France, près de la moitié des jeunes musulmans qui sont gênés et incommodés uniquement en raison de leur appartenance religieuse.
Et quand plus de la moitié de ces 49 % affirment que c’est en partie à cause de l’image que les médias peuvent donner d’eux qu’ils ne se sentent pas à l’aise en tant que musulmans, l’on mesure les conséquences de l’influence médiatique.
Au final, d’après ce sondage, ce sont donc environ un quart des musulmans français qui déclarent tout bonnement ne pas se sentir à l’aise dans leur pays, à cause de l’image que donnent les médias de leur religion. Cela peut paraître mineur comme phénomène, puisque cela concerne « seulement » un quart des musulmans mais, premièrement nous allons le voir, bien d’autres phénomènes viennent se greffer à celui-ci et, deuxièmement, est-ce bien acceptable pour autant ?
D’après Deltombe en effet, l’on assisterait donc en France à la création médiatique d’un « racisme respectable ». Éternellement vu comme des immigrés, et devant assister à un questionnement permanent sur leur religion, les musulmans français ont à faire face à un comportement médiatique inédit, qui serait d’ailleurs certainement vivement condamné s’il s’appliquait aux autres religions. Cette « phobie », comme la qualifie l’auteur, « pose problème » car il est difficile de déterminer « ce qui tient de la critique parfaitement légitime de la religion musulmane, et ce qui relève de la haine ou du mépris des musulmans. »
Dépossédés de leur rapport à l’islam, en plus d’être stigmatisés comme nous allons le voir, les musulmans doivent en définitive faire face à une critique chronique de leur religion.
Particulièrement focalisés sur l’islamisme (cf. glossaire), c’est-à-dire un islam minoritaire, radical et politique, nos médias semblent être à la recherche d’un « ennemi invisible » duquel ils n’arrivent finalement qu’à donner une image floue, agrémentée d’assez peu de preuves concrètes quant à sa prétendue « propagation ». A leur décharge, il est utile de rappeler que l’islamisme est bien évidemment un phénomène réel, tout à fait visible et palpable, mais qu’il n’a qu’une portée très marginale en France, d’après les études de terrain.
Le journaliste Thomas Deltombe est loin d’être le seul à aborder cet état de fait. Actuellement, de plus en plus d’observateurs et acteurs du monde médiatique dénoncent une certaine stigmatisation de l’islam par les médias. Aussi, la théorie (assez répandue) voulant qu’il s’agisse là d’un faux débat, lancé à l’initiative des musulmans eux-mêmes, est infondée. En effet, la dénonciation d’un « mauvais » traitement médiatique de l’islam en France n’est pas l’apanage des musulmans eux-mêmes, loin de là.
C’est ce que nous prouvent des personnalités comme Robert Badinter, célèbre avocat, universitaire et homme politique, qui poussait un cri du coeur à ce sujet en mars 2001 au micro de France Inter. S’insurgeant du fait que l’on arrive en France « à isoler, à stigmatiser, ou à ce qu’ils se ressentent comme tel, des millions de Français » et, se remémorant le principe d’égalité mis en avant par la République, il s’« interroge sur la raison de tous ces colloques sur l’identité », leur raison, leur but et se demande « à quoi [ils sont censés nous préparer] sinon à donner chaque fois le sentiment à ces femmes et ces hommes qu’ils sont mis à part. » Pour lui, clairement l’on assiste aujourd’hui en France à une « espèce de ghettoïsation morale » insupportable avec laquelle « il est temps d’en finir ».
De son côté la rédaction de Midi Libre, dans son édition du 8 janvier 2011, propose en la matière un témoignage intéressant. L’article, intitulé Pourquoi suis-je vu comme une menace ? retranscrit le témoignage d’un musulman montpelliérain, âgé d’une quarantaine d’années et conseiller régional. Réagissant à un sondage qui révèle que 42 % des Français considèrent la « communauté musulmane » comme une menace, il s’avoue « stressé » et « dans tous [s]es états ». Comme il l’exprime, « [lui], Français, citoyen musulman qui aimerait bien être enterré ici, [il] constituerai[t] une menace pour la France ? »
Ainsi, comme de nombreux autres, cet homme déplore de devoir constater que « dès qu’il y a un problème », les musulmans ont tendance à être désignés en « boucs émissaires ».
Pensant que les musulmans ne sont en réalité qu’un « leurre », un « ennemi imaginaire », ce citoyen regrette que l’islam soit instrumentalisé de la sorte, dans un cercle vicieux de la « surenchère ».
Ces quelques exemples non exhaustifs résument globalement les principaux reproches adressés aux médias français dans leur traitement des actualités liées à l’islam. Scientifiques, sociologues, chercheurs, journalistes, hommes politiques, etc., ils sont très nombreux aujourd’hui à ne plus hésiter à pointer du doigt ce qu’ils estiment être un réel problème, une réelle injustice.
Si l’on en arrive aujourd’hui à une telle « levée de boucliers », c’est certainement parce que le malaise se fait de plus en plus sentir. Alors que ce soient les effets de la crise économique qui accentue les tensions, ou tout simplement une évolution naturelle du phénomène, il n’empêche que 74 % des musulmans français (de la tranche 18/50 ans) pensent que le regard des médias français sur les musulmans constitue un « problème », que 83 % sont énervés, blessés ou attristés par ce regard, et que 15 % pensent que ce regard est en partie responsable du fait qu’ils ne soient pas à l’aise aujourd’hui en France en tant que musulmans.
En l’occurrence, les plus grands responsables de ce « mal-être musulman », sont certainement, plus que toute autre chose, les stéréotypes attribués à l’islam et à ses fidèles. Relayés quotidiennement et plutôt abondamment dans nos médias hexagonaux, ces derniers ne peuvent que participer à la stigmatisation d’une partie de la population pourtant déjà bien assez fragilisée par son implantation récente et sa mise à l’écart géographique découlant de politiques appliquées il y a plus cinquante ans déjà mais dont les traces persistent.