La réponse des agriculteurs et les modalités de leur insertion dans le processus agri-environnemental proposé conditionnent de manière prédominante l’efficacité de ce dernier. L’adaptation des mesures aux enjeux territoriaux dépend directement de l’appropriation par les agriculteurs de règles co-construites avec les gestionnaires autour d’une perception partagée des enjeux.
Les échanges réalisés avec les gestionnaires et conseillers du monde agricole (Chambre d’agriculture 57 et 54, Laboratoire de contrôle agricole) permettent d’appréhender les motifs d’adhésion ou de refus des contrats agri-environnementaux.
1. Facteurs d’échec
La contrainte majeure pour l’exploitant est de pouvoir vivre de son activité. Les marges étant réduites et l’aspect financier au coeur de la problématique, les agriculteurs ne montreront un intérêt qu’envers des mesures déjà éprouvées et peu risquées pour la production. Aussi, sur le bassin versant de la Seille où la plupart des agriculteurs montrent un attachement fort à leur patrimoine, l’adhésion reste toutefois plus aisée pour des mesures qui en plus de présenter un meilleur bilan environnemental, allient un maintien voire une progression de la rentabilité économique et une amélioration des conditions de travail.
La perception des dispositifs agri-environnementaux et des gestionnaires
L’adhésion des exploitants repose sur la confiance qu’ils portent aux contrats proposés par les acteurs territoriaux. La perception des agriculteurs et l’image qu’ils se font des processus qui les entourent est, en ce sens, un aspect primordial de la réussite du programme agri-environnemental.
Vis-à-vis des gestionnaires, la relation de confiance reste hétérogène sur le bassin versant comme sur d’autres territoires. Les professionnels du secteur amont du bassin versant, cibles d’une gestion prioritaire, font relativement confiance aux techniciens locaux de la Chambre d’agriculture à force de contacts. Les techniciens rivière ou les agents des services déconcentrés de l’Etat (DDT, ONEMA, AERM) ne bénéficient pas majoritairement de cette relation de confiance. La multiplicité des acteurs, publics ou privés, à laquelle peut être confronté l’exploitant peut accroire le sentiment de méfiance au détriment du sentiment de confort et entrainer un phénomène de repli corporatiste (non présent sur le bassin versant de la Seille). Plus les agriculteurs sont regroupés en syndicats puissants, plus il est délicat de faire évoluer leur pratiques professionnelles.
L’image dont bénéficient les contrats agri-environnementaux auprès des agriculteurs n’est pas au meilleur niveau en raison de la lourdeur des aspects administratifs d’une part, et de la multiplication des dispositifs d’autre part. En effet, le manque d’ergonomie administrative et la lenteur des démarches sont un critère de non-adhésion majeur et inhérent au système français qui multiplie les interlocuteurs au détriment de la clarté du circuit administratif. Il est ainsi plus facile administrativement parlant de bénéficier des subventions de la PAC que des aides environnementales. Auprès des agriculteurs, la saturation des services administratifs et l’absence de solution contribuent à véhiculer une image de volonté politique peu marquée et en manque de moyens.
D’autre part, la succession et la multiplication des contrats a contribué à discréditer les programmes agri-environnementaux. Les exploitants, pourtant volontaires, hésitent à s’investir dans des mesures qui paraissent ponctuelles, garanties sur un terme trop court ou pour lesquelles la sécurité d’être financés parait aléatoire. La dispersion des conseils provenant des acteurs publics, ou des réseaux privés aux techniques plus commerciales, contribuent à masquer la cohérence des mesures aux exploitants.
La perception des pratiques agricoles et de l’environnement
Les campagnes d’information et de sensibilisation ont fortement réduit la perception erronée de l’environnement par les agriculteurs. Sur le bassin versant de la Seille, le phénomène semble relativement minoritaire. Bien souvent, les agriculteurs réfractaires tendent à minimiser l’impact de leurs pratiques sur la dégradation de la qualité de l’eau. Sur la Seille, certains exploitants persistent à nier la pollution nitratée de l’eau puisqu’elle « ne se voit ni se sent pas ». Le rôle des effluents d’élevage est parfois remis en cause puisque ces derniers sont perçus comme des déchets de production au pouvoir fertilisant moindre qui ne justifie pas d’en faire un apport complémentaire des engrais minéraux, mais supplémentaire. De même, certains agriculteurs de la tranche d’âge supérieure privilégient encore le sens pratique, la routine et la connaissance empirique du milieu pour orienter leurs pratiques professionnelles.
Les difficultés rencontrées par les gestionnaires dans la mise en oeuvre du programme de renaturation de la Seille montrent à quel point cette mauvaise perception peut être délicate à résoudre. La « mauvaise foi » ou le simple manque d’information sur le fonctionnement du milieu naturel favorise le scepticisme quant à l’intérêt de la restauration, notamment sur les affluents plus discrets comme la petite Seille, qualifiée de « fossé » par quelques agriculteurs.
Certains exploitants s’y opposent, d’autres négocient les aspects de la renaturation en leur faveur ou réclament une visibilité immédiate et une garantie d’efficacité dès la fin des travaux. Les droits et devoirs sont parfois mal connus ou rejetés.
2. Facteurs d’adhésion
En dépit de défauts inhérents à leur conception, plusieurs aspects des contrats agri-environnementaux constituent un avantage non négligeable pour les agriculteurs qui les considèrent comme des motifs suffisants pour contractualiser.
Les bénéfices financiers représentent l’argument principal des agriculteurs lors de l’adhésion. Moins la mesure est financée, moins elle rencontre de succès, quel que soit le territoire. Les mesures subventionnées constituent une aubaine pour les agriculteurs volontaires qui y voient l’occasion de faire financer des pratiques qu’ils ont, pour beaucoup d’entre eux, déjà adoptées partiellement. C’est également l’opportunité de capter des capitaux en vue de moderniser leur outil de travail par des investissements infrastructuraux.
L’adhésion à un dispositif peut favoriser l’amélioration des conditions de travail lorsqu’elle est source de réorganisation fonctionnelle. Elle peut également apporter à l’exploitant un ensemble d’outils technico-économiques (analyse des sols, logiciels de fertilisation…) et un encadrement confortable. La recherche de ce type de relation « donnant – donnant » entre agriculteurs et gestionnaires est une des raisons du succès des mesures agri-environnementales dans le secteur amont du bassin versant de la Seille : une mutualisation des efforts a pu donner aux exploitants l’assurance de s’insérer dans une démarche construite et collective autour d’enjeux locaux qui leur sont chers. La tendance de contractualisation s’est alors propagée, l’enjeu pour les exploitants devenant de ne plus rester à l’écart de l’encadrement, des conseils et de la proximité offerte notamment par la chambre d’agriculture.
La contractualisation permet de pallier à la crainte d’un renforcement de la règlementation et des moyens de contrôle des pratiques professionnelles par les pouvoirs publics. Les agriculteurs peuvent avoir tendance à s’engager pour éviter une sanction future et bénéficier des crédits disponibles par la même occasion.
De manière générale, tous les facteurs d’adhésion et les leviers possibles pour les renforcer reposent sur la qualité et la précocité de la communication développée par des acteurs comme la Chambre d’agriculture. Plus tôt les exploitants sont insérés dans le processus d’implantation des mesures agri-environnementales, plus forte sera la relation de confiance établie. Les échanges visant à comprendre l’attachement de l’exploitant à son environnement pour adapter les démarches d’orientation des pratiques sont alors facilitées.
3. Le cas des stratégies d’adaptation
Lorsque qu’un programme agri-environnemental est mis en place selon une démarche intégrée et dans la recherche d’une adaptation territoriale, il permet aux agriculteurs de transformer des contraintes à finalité environnementale en opportunités pour la conduite de leur exploitation. Néanmoins, il arrive que certains exploitants, notamment par corporatisme, déploient un comportement offensif d’adaptation des programmes publics. Une négociation entre les organisations professionnelles les plus influentes et les préconiseurs des pouvoirs publics a lieu. Les prescriptions techniques et environnementales sont alors déviées pour être adaptées aux réalités économiques et sociales des exploitations. Le programme agri-environnemental perd donc en partie sa vocation environnementale. Ce phénomène a pu être observé dans des départements en déclin socio-économique comme les Vosges. De manière générale, lorsque les mesures sont trop standardisées, le jeu d’acteurs tend à les infléchir sur son territoire, et lorsque les mesures sont réellement flexibles, le phénomène d’instrumentalisation peut être majoritaire. L’acceptation sociale de tout programme d’action permet d’éviter la dégradation de sa finalité environnementale.
Rappelons toutefois que la démarche intégrée et l’adhésion forte d’une partie des agriculteurs d’un territoire ne suffisent pas à réduire de manière significative la pollution azotée sur un bassin versant. En effet, ces leviers ne permettent pas de faire évoluer les pratiques peu respectueuses d’une minorité d’agriculteurs ne se sentant pas concernés par les problématiques environnementales. C’est là le défaut des mesures volontaires qui possèdent un succès de contractualisation et pérennisent les bonnes pratiques déjà en place chez les professionnels sensibilisés, mais ne permettent pas à ce jour la réduction très significative de la pollution azotée.
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