A. Dynamiser le capital-risque.
J.-M. Chauvet, directeur associé de LC Capital(66), eut l’occasion d’écrire : « Les jeunes sociétés sont le maillon indispensable dans le renouvellement de l’écosystème général des sociétés commerciales. Si l’on tarit la source, par manque d’investissement en capital dans les premières phases de développement des sociétés, non seulement on réduit évidemment les chances de les voir mûrir et grandir, mais on prive les sociétés établies de sources de renouvellement ultérieur de leurs produits, pourtant indispensable à leur stabilité ».
Or la situation actuelle est fortement marquée par la faiblesse des sources d’investissement destinées au capital-risque. Les financements privés s’avèrent très insuffisants pour constituer un véritable facteur de croissance des PME. La crise des subprimes et celle liée aux dettes souveraines accroissent l’incertitude dont est empreinte le capital-risque et contribuent à détourner les acteurs de cette activité. Une activité encore insuffisamment enracinée dans les cultures française et européenne pour trouver, de par elle-même, un second souffle. L’AFIC décrit dans cette optique un capital-risque « menacé d’asphyxie ».
Le salut du capital-risque européen ne trouvera donc pas nécessairement son origine dans la démarche des acteurs privés du marché. L’Etat peut en revanche jouer un rôle crucial en vue d’initier une reprise du secteur. Cet interventionnisme étatique peut être protéiforme. L’Etat peut intervenir en finançant lui-même les sociétés à fort potentiel, en leur conférant des garanties dans le cadre de leur politique de financement, en mettant en place une politique d’accompagnement dans la création et le développement de ces dernières ou encore en créant un cadre juridique et fiscal attrayant et propice à leur développement.
B. Initier un changement de mentalité
Si le capital-risque peine à résister à la crise et fait l’objet d’un rejet des investisseurs dès lors qu’une dégradation de la situation économique intervient, c’est certes lié à la réorientation des ressources vers des investissements plus sécurisés, mais c’est également car le capital-risque n’est pas profondément enraciné dans l’environnement culturel français. Il semble en effet exister aux Etats-Unis une conception différente de l’aventure entrepreneuriale. Risque et incertitude y sont tout autant présents mais sont perçus comme des défis nécessaires à toute perspective de succès. Cette culture du risque et de l’initiative est moins perceptible en France, diminuant corrélativement le dynamisme des activités de capital-risque.
L’interventionnisme public peut dans ce contexte jouer un rôle dans l’évolution des mentalités. Le capital-risque ne s’est pas non plus naturellement imposé aux Etats-Unis, son développement outre Atlantique résulte en effet d’une politique publique précocement menée dès 1958 via le programme Small Business investment Companies (SBIC), puis en 1982 par le biais du programme Small Business Innovation Research (SBIR). L’Etat peut donc s’imposer comme un acteur clé de ce possible changement culturel. Favoriser le développement du capital-risque est un bon moyen pour implanter ce dernier dans le paysage économique et faire progressivement acquérir aux acteurs économiques des réflexes qui leur étaient inconnus jusqu’alors.
C. Générer un effet de levier.
Un financement d’origine publique suffisamment conséquent engendrerait deux avantages indéniables. Tout d’abord il permettrait un apport de capitaux aux PME à fort potentiel, capitaux dont elles manquent cruellement, notamment en période de turbulences économiques. Une telle intervention n’est évidemment pas dépourvue de logique économique.
A une échelle macro-économique, l’intérêt de l’Etat est de favoriser le dynamisme économique en vue de générer de la croissance et ainsi permettre un accroissement de ses revenus. En adoptant un référentiel plus casuistique, la participation de l’Etat au capital de sociétés innovantes peut générer, à terme, des plus-values conséquentes. Ensuite, la participation de l’Etat au sein de fonds d’investissement engendre une certaine confiance des investisseurs et peut ainsi aboutir sur un effet de levier. Les acteurs privés sont en effet conscients du fait que l’Etat est subordonnée à une rationalité économique qui diffère de la leur. Ce dernier adosse l’image d’un investisseur stable ayant une vision économique de moyen et long terme, contrastant ainsi radicalement avec d’autres acteurs pilotés par la volatilité du marché. Les investisseurs diminuent ainsi l’aléa inhérent à leur investissement en sachant que l’Etat est généralement étranger à des logiques économiques de court terme. Les intérêts défendus par l’Etat sont de plus souvent d’une nature différente, axés sur les intérêts du pays et s’inscrivant le plus souvent dans une stratégie publique de financement de certains secteurs. Enfin, en assurant un investissement conséquent dès le début, l’Etat assure à lui seul un poids financier important permettant au fonds d’avoir dès l’origine une taille conséquente.
Cet investissement public n’est donc pas dépourvu d’attrait et est susceptible de générer un effet de levier conséquent. L’effet de levier désigne justement l’attractivité corrélative à un investissement public dans un fonds, un investissement initial permettant d’entraîner différents investisseurs, d’origine privée, subséquents.
Un tel système pourrait donc constituer un modèle de développement viable de capitalrisque. L’Etat français a bien saisi l’enjeu du capital-risque et son rôle économique. Différentes initiatives ont donc vu le jour dans cette optique.
D. Une politique publique pouvant s’émanciper des règles du marché.
Autre avantage de l’interventionnisme étatique : celui-ci peut s’émanciper de logiques économiques parfois incompatibles avec le capital-risque. En effet, les investisseurs privés peuvent, dans un contexte incertain, imposer aux sociétés innovantes des conditions très contraignantes en vue de leur participation au capital. Les modalités d’engagement des capital-risqueurs peuvent donc s’avérer liberticides pour les dirigeants de sociétés. Ce contraste entre recherche de sécurité d’une part et impossibilité pour les sociétés innovantes de consentir certains engagements d’autre part constitue une entrave au développement du
capital-risque.
L’Etat peut adopter une forme de logique différente. Le raisonnement économique étatique prend en considération des facteurs différents de ceux adoptés par les acteurs privés. L’une des motivations économiques sous-jacentes de l’interventionnisme étatique réside en effet en la volonté de favoriser le développement économique du pays, et non uniquement en une recherche de profits à court et moyen terme. La nature de cette motivation influe sur le comportement de l’Etat. Dans l’optique de favoriser le développement de jeunes PME à fort potentiel l’Etat peut donc accepter une prise de risque plus élevée que des acteurs classiques, assumant ainsi pleinement son rôle de soutien.
L’existence d’une stratégie étatique peut donc permettre l’émergence future d’un capitalrisque autonome. Nécessaire à l’implantation culturelle du capital-risque dans le paysage économique français, cet appui étatique peut présenter un caractère temporaire, à l’image de celui mené aux Etats-Unis, notamment dans le cadre du programme Small Business Investment Companies (SBIC). Ce programme avait pour but de financer les petites entreprises et reposait sur l’idée d’un effet de levier. Progressivement, le capital-risque américain s’est affranchi de cette initiative publique. Le poids des SBIC représentait quelques 75% de l’ensemble des sociétés de campital-risque américaines (calculé à partir des montants de capitaux alloués), et ne représentait plus en 2000 que 20% de cet ensemble(67). Cette crise du capital-risque, conséquence d’une situation économique morose, assèche les sources de financement des PME, l’intervention de l’Etat peut dès lors jouer un rôle crucial.
66 Société de gestion de fonds d’investissement
67 “Le capital-risque” Dubocage et Rivaud-Danset