« L’interface IHM est un objet en soi, dès 2000 j’ai considéré l’objet numérique au même titre qu’un objet matériel »(1)
Qu’est-ce que l’interface, que représente-t-elle par rapport à la machine ?
L’interface homme/machine se définit par l’ensemble des dispositifs matériels et logiciels permettant à un utilisateur d’interagir avec un système interactif. Ces dispositifs d’interaction deviennent ainsi le point d’articulation entre les deux entités communicantes du système, ce qui se traduit par le point de jonction et d’échange entre l’objet utilisé et l’utilisateur.
A travers l’objet de l’interface nous pouvons discerner deux types de dispositifs d’interaction dissociés par leur moment d’intervention dans le système de communication. D’une part nous trouvons donc ceux que l’on appelle les dispositifs d’entrée qui permettent à l’homme de saisir les données destinées à la machine (clavier, souris, trackball, joystick, tablettes, son), de l’autre nous retrouvons les dispositifs de sorties permettant à la machine de délivrer sa réponse (écran, imprimante, son).
L’objet de l’interface, déjà riche de ses dispositifs de communication, se développe à travers l’essor et les progrès toujours plus rapides des technologies. Sur ce schéma nous faisons face aujourd’hui à des objets capables d’intégrer les notions de dimensions dans l’espace ou encore de sensibilité tactile digitale. Le monde d’aujourd’hui emprunte alors à ceux décrits par les plus grands auteurs de science-fiction de George Orwell à Isaac Asimov, en se peuplant d’interfaces faisant de notre monde un univers de communication numérique.
Face à ce constat, l’interface apparaît rapidement comme l’objet de design du 21ème. Les dispositifs dont elle est dotée et que nous avons précédemment énuméré sont toutefois les témoins d’une particularité du langage Homme/machine développé par nos interfaces : ce langage nous apparaît non pas communiqué oralement mais bien souvent et initialement définit par un visuel ou encore une gestuelle. Le principal rapport à l’Homme développé par la machine comprend donc une grande part de perception.
La perception au cœur du système
Nous avons vu que ce qui constitue l’interface l’amène à être interprétée et manipulée, intégrant une notion d’image, de perception par l’utilisateur. Cette notion s’impose au fur et à mesure de l’évolution du système communicatif développé par la machine qui s’est alors ouverte à l’utilisateur néophyte.
En réponse aux demandes et aux besoins que ce changement engendre, le domaine des interfaces Homme/machine a déjà connu plusieurs phases de maturation et ne cesse donc d’évoluer.
La première étape de l’évolution d’interaction avec la machine est présentée par l’ère de l’Interface en Ligne de Commande (CLI’ –’ Command’ Line’ Interface). Principalement utilisée de 1969 à 1983, elle s’apparente aujourd’hui à l’interface réservée aux spécialistes du numérique. En effet, alors que le système de l’ordinateur est en plein développement, son utilisation relève principalement d’un travail analytique privilégiant la recherche ou quelque fois d’une application technique auprès de spécialistes hautement qualifiés relevant d’une clientèle élitiste (l’ordinateur) étant à l’époque d’une taille imposante, contraignant bien souvent son propriétaire à détenir une véritable « salle des machines », et d’un prix conséquent . Nous sommes dans l’époque de la découverte et la maîtrise de la technique, une époque dont les considérations sont encore loin du confort et même de l’accessibilité au plus grand nombre. L’interaction via la machine s’avère ainsi minimale (clavier) tandis que l’ordinateur affiche les résultats via l’écran ou l’imprimante. Les données échangées se réduisent à une forme textuelle mathématique et complexe, définit comme le code du programme de l’ordinateur. Ce type de communication avec la machine est aujourd’hui encore utilisé par les utilisateurs les plus avertis, souvent qualifiés de par leur milieu professionnel.
La seconde étape intègre l’arrivée des Interfaces Graphiques (GUI’ –’ Graphical’ User’ Interfaces et se déroule de 1984 à aujourd’hui encore. Celles-ci marquent l’étendue de l’utilisation de l’ordinateur au grand public par l’apparition de la notion d’ordinateur personnel via les premiers « mini-ordinateurs ». Le domaine numérique est alors en plein boom de puissance grâce à des innovations significatives permettant de réduire l’encombrement des machines mais aussi par le nombre de constructeurs d’ordinateurs se développant. L’ordinateur devient alors accessible pour l’homme, du constructeur à l’utilisateur. Face à ces mouvements, l’interface doit parler au plus grand nombre et le code textuel devient objets graphiques. Les périphériques s’accommodent et la machine intègre la « souris », dispositif permettant de pointer pour sélectionner, modifier, déplacer ces nouveaux éléments graphiques.
Se voulant facilité et plus ludique, tout ce contenu est ainsi présenté sous la forme « WYSIWYG » (« What’you’see’is’what’you’get ») c’est à dire « ce que vous voyez est ce que vous obtenez », rien de plus simple donc se basant sur le système WIMP (« Windows,’Icons,’ Menus’ and’ Pointing’ device » pour « fenêtres, icônes, menus et dispositif de pointage »).
Cette période est donc une petite révolution pour les interfaces Homme/machine permettant de favoriser la découverte du système par l’utilisateur. De cette manière, la communication est tout bonnement engagée.
Enfin, nous sommes nous même au cœur d’une période évolutive qui nous dirige de plus en plus vers une troisième ère, celle de l’Interface Utilisateur Naturelle (NUI’–’Natural’User’ Interface). Cette nouvelle ère serait annonciatrice, selon certains, des XUI’ (Experience’ User’ Interfaces). Comme nous l’avons précédemment indiqué, le développement des technologies modernes se trouvant dans une période profondément productive impacte aujourd’hui plus encore l’évolution de la machine se concentrant sur l’enjeu de l’utilisateur. L’interaction ne se fait plus par un objet médiateur (souris, etc.) mais par le biais de manipulations directes plus intuitives (écrans tactiles).
Avec l’arrivée de l’interface graphique la « matière calculée » que l’on a décrite précédemment évolue à l’état d’une matière mathématique publiée.
Or en vu de ses propriétés, si l’utilisateur venait à rencontrer cette matière, l’usage de l’ordinateur pourrait devenir une expérience désagréable ce qui risquerait d’occasionner un rejet de la société face à ces techniques innovantes. Tout l’intérêt est alors là : comment intégrer un objet inconnu ? Un objet donc les composants même le constituant sont étrangers à l’homme ?
Afin de faire adopter et fonctionner ces objets évolutifs sociaux, il apparaît ici que ces composants tendent à être masqués. L’enjeu est alors d’amener l’homme à utiliser sans savoir, sans avoir connaissance et donc sans être en lien avec cette matière complexe peu domestiquée. Ce socle de matière calculée, même s’il est réel (immatériel si l’on considère sa base intellectuelle, mais réel car existant malgré tout), doit ainsi être dissimulé à l’utilisateur car il n’en aura, au fond, aucune utilité. De cette manière on comprend que la matière calculée de l’ordinateur ne disparaît pas en elle-même mais disparaît de nos perceptions, cette même perception qui nous amène à évaluer notre environnement.
L’interface projetée au cœur du système de l’ordinateur comme objet d’intervention met ainsi le doigt sur l’importance du rapport à l’homme qui apporte toute sa légitimité au rôle de la machine dans notre société.
Autour de cette notion de rapport à l’homme et à travers l’objet de l’une interface devenue symbole de perception de l’ordinateur pour son utilisateur, Jean Louis Fréchin a ainsi dégagé deux points d’intervention qu’il est devenu aujourd’hui important de considérer dans la conception de l’IHM :
✓ La situation
– Interagir, pourquoi faire ?
– Que voit-on et dans quel contexte ?
✓ La représentation
– Comment va-t-on créer relation, interaction ?
– Qu’est-ce que l’on va voir ou ne pas voir’?
Face à cet enjeu d’interaction, l’interface évolue donc au grès des besoins de la société et mute vers un état d’objet multi-faces intégré définissant ainsi l’outil d’intervention du designer. Pour pouvoir appréhender cet objet, il paraît alors important d’en saisir les propriétés.
1 Yves Rinato lors de sa conférence La notion d’affordance dans les interfaces dans le cadre du Webdesign International Festival 2012
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