La loi BAKAJIKA présente autant de ressemblances que des dissemblances avec le principe de la souveraineté permanente. Il suffit de lire son exposé de motif et d’en comprendre la ratio legis, pour s’en convaincre. Examinons tout d’abord les ressemblances (3.1.) par la suite la dissemblance (3.2.).
I. Ressemblance
La loi BAKAJIKA constitue un mécanisme(49) de contrôle du principe de la souveraineté permanente. On serait même amené à affirmer qu’elle est une application du principe de la souveraineté permanente.
Chronologiquement, il n’est pas douteux de dire que les idées tiers-mondistes de ce temps là, qui ont conduit l’ONU à proclamer ce principe aient eu une incidence(50) positive sur le législateur de la loi BAKAJIKA.
Voici leurs traits communs:
– Non seulement la ratio legis est la même, mais aussi on y retrouve beaucoup des termes et d’idées de la résolution 1803.
– Pris pour des raisons d’indépendance économique contre la main mise étrangère dans l’économie de du pays, leur contexte d’élaboration paraît être le même : partout c’est la lutte contre l’ingérence étrangère dans l’économie du pays qui est au centre de la philosophie de ces deux textes.
– Mais aussi le contexte est le même partout. En effet, sous la loi BAKAJIKA, on venait de sortir d’un contexte de guerre, où les richesses du pays sont gelées par les étrangers, et la population n’y trouvait pas son compte. Il fallait donc faire en sorte qu’elle puisse jouir de ses richesses. Sous l’art.9 de la constitution, on venait d’un contexte de la guerre d’agression causée par la convoitise des richesses du pays, par les pays puissants en complicité avec les pays voisins, qui ont pillés les richesses et ressources naturelles du pays. Les richesses du pays profitent plus aux étrangers qu’à la population qui croupit dans la misère. Pour ce faire, il faut protéger, en temps de paix comme en temps de guerre, les richesses et ressources du pays contre les agresseurs étrangers, par un mécanisme juridique international et national, qu’est la souveraineté permanente.
– Les deux poursuivent le but d’améliorer les conditions de vie de la population et l’intérêt du développement du pays titulaire de l’exercice de la souveraineté, la R.D.C. en l’occurrence ici.
– La loi BAKAJIKA a procédée à l’annulation des cessions et concessions de ceux qui abusaient de leur propriété au détriment de l’Etat. Elle a donc consistée en une radicalisation, qui est une technique apparentée à la nationalisation(51) ; or la nationalisation elle-même est un mécanisme de contrôle institué par le principe de la souveraineté permanente. C’est même une application directe de ce principe, bref, un mécanisme de contrôle institué par ce principe.
Toutes fois, cette ressemblance n’est pas à exagérer, car il subsistent quelques différences entre ces deux notions que nous allons voir dans les lignes qui suivent.
II. Dissemblance
– L’expression “ souveraineté ” employée par la loi BAKAJIKA n’est pas collée à l’épithète permanente qu’on retrouve dans la résolution 1803.
– La loi BAKAJIKA n’était pas consacrée par la constitution comme c’est le cas de l’art.9, mais plutôt par une loi ordinaire(52). C’est l’Ordonnance-loi du 7 juin 1966.
– Elle ne traite que de la propriété foncière et donc à ce titre elle fait référence à l’espace terrestre, sans faire allusion à l’espace maritime, aérien ou au plateau continental comme c’est le cas avec l’art.9. Il s’agit-là d’une innovation importante apportée par l’art.9 de ladite constitution.
– Par rapport à la précision sur la propriété foncière, le législateur à l’art. 9 est resté silencieux, il ne s’est pas prononcé et son silence est à la base de plusieurs controverses ; tandis que la loi BAKAJIKA est claire et assure à la R.D.C. la plénitude de ses droits de propriété sur son domaine et la pleine souveraineté dans la concession des droits fonciers, forestiers et miniers sur toute l’étendue de son territoire.
Le seul problème que n’a pas résolu la loi BAKAJIKA consiste à ne pas préciser que cette propriété de l’Etat(53) sur son sol était inaliénable, exclusive et imprescriptible(54). C’est ce qu’a fait la loi de 1971 que nous allons examiner dans le point suivant.
La mauvaise application de cette loi par un personnel non outillé, poussera à son abrogation.
III. La rupture avec le régime colonial sous la loi BAKAJIKA renforcée
La constitution ci haut évoquée connut plusieurs révisions dont celle du 31 mars 1971, au cours de laquelle l’assemblée nationale adopta une nouvelle disposition à insérer à la constitution et dont l’article 14 bis était libellé comme suit : “ le sol et le sous-sol zaïrois ainsi que leur produits naturels appartiennent à l’Etat. Et sur la base de ce nouveau texte constitutionnel, l’Assemblée Nationale vota une loi abrogeant la loi dite BAKAJIKA.
Un comité de rédaction fut institué dont la mission fut de traduire les options nouvelles en texte de droit positif et la proposition des lois de 399 articles fut adoptée le 9 juin 1973, en séance plénière(55) du conseil législatif national et fut promulguée le 20 juillet 1973 dont l’article 53 consacra l’appropriation du sol et du sous-sol zaïrois à l’Etat en stipulant : “ le sol est la propriété exclusive, inaliénable.
L’expression “ pleine souveraineté ” utilisée par la loi BAKAJIKA prouve à suffisance que la R.D.C. entendait déjà exercer sa souveraineté permanente, du moins théoriquement à cette époque ; car la R.D.C. était déjà devenue indépendante. La ratio legis du législateur de cette loi est caractérisée par le souci d’indépendance économique. Comme c’est le cas pour l’art.9 avec le principe de la souveraineté permanente qui y est consacré.
49 Guy FEUER et Hervé CASSAN, op. cit., p.238.
50 Résolution 1803 et résolution 3281.
51 Patrick DAILLIER et Alain PELLET, op. cit., p. 965.
52 C’est le député BAKAJIKA qui l’avait proposée, mais elle fut mal appliquée par un fonctionnaire peu outillé, d’où elle fut abrogée par la loi de 1971. Nous sommes ici à une période vers la rupture du régime colonial.
53 Cfr. Article 53 de la loi du 20/07/73.
54 R. Carré de MALBERG, op. cit., p. 32.
55 Gaston KALAMBAY L, op. cit., p.65.