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2. Conclusion et Perspectives

L’ensemble du travail a permis d’identifier l’extrême richesse des problématiques de recherches autour de l’évènement catastrophique de 1248. Le glissement du mont Granier du XIIIe s. a généré un paysage extrêmement complexe. Ce dernier peut s’aborder par les études de cartographies historiques mais nécessite une connexion avec l’ensemble des disciplines de sciences humaines et de l’environnement. Par ailleurs, une nuance aura été apportée sur le caractère totalement destructeur de la catastrophe. Au contraire la conservation de vestiges dans des conditions exceptionnelles est à envisager par les archéologues sur des portions de territoire bien précises qu’il reste à déterminer.

L’étude des cartes historiques et en particulier de la mappe sarde apporte des premiers résultats. Ils permettent de dresser un portrait du paysage au XVIIIe siècle sur l’éboulement du Granier, en associant forme du parcellaire et natures des cultures. Les premières approches sur les formes du parcellaire mettent en évidence une « morphométrie » qui pourrait être caractéristiques du paysage issu de l’éboulement. Un travail plus poussé pourrait permettre de comprendre par quel mécanisme ce parcellaire “en cellules” se met en place (comprendre les pratiques humaines) mais aussi déterminer jusqu’à quelle limite il s’étend.

L’analyse pourrait être poussée jusqu’à tenter d’identifier la jonction entre le parcellaire intra-éboulement et le parcellaire extra-éboulement. En effet, ce dernier serait lui hérité de formes plus anciennes et classiques telles que les analyses d’archéogéographie le montrent. Cette méthodologie nécessitera de mettre en évidence le parcellaire extra-éboulement que l’on image fonctionner avec les grands axes routiers mis en place dans la province de l’Allobrogie.

Une première étape serait donc de travailler sur le tracé des voies gallo romaines qui parcourent cet espace et reconnaitre le type de parcellaire qui se trouve dans la vallée de l’Isère. Par ailleurs, il est envisageable de considérer les formes du relief générées par l’éboulement (rochers, mollards, topographie, talus…) comme des « morphogènes » (terme employé en archéogéographie pour désigner les éléments géographiques influant dans la longue durée). Dès lors leur étude poussée, sous le prisme de l’archéogéographie, pourra mettre en évidence des formes inédites témoignages des pratiques des sociétés médiévales. Les autres documents cartographiques restent à exploiter, tout comme la possible existence de cadastres antérieurs à la mappe sarde est à vérifier aux archives (Viallet, 1996).

L’histoire du paysage des Abîmes semble étroitement lié, peut-être plus qu’ailleurs, à ses habitants. Leur organisation en communautés est à étudier afin de déterminer l’impact sur la formation du paysage actuel des Abîmes. Il faudrait aussi s’interroger sur d’éventuelles pratiques territoriales et politiques différentes entre la Savoie et le Dauphiné. On ignore encore comment la propriété se met en place dans les Abîmes de Myans. S’agit-il de volontés individuelles, de politique publique des autorités, ou bien le résultat d’organisation en communautés ? Un ouvrage récent recense les sources documentaires qui montrent qu’au Moyen-Age les Alpes sont mises en valeur par des « processus communautaires extrêmement élaborés » (Poirier & Mouthon, Paysans des Alpes.

Les communautés montagnardes au Moyen-Age, 2010). Cette problématique doit être explorée parallèlement à celles des formes du paysage évoquée ci-dessus, et en collaboration avec les Archives de Savoie qui possèdent des documents exceptionnels, témoignages de ces communautés (notamment une série de procès entre les communautés des Marches et les Seigneurs pour le droit de pêche sur les lacs)

La mise en place de l’éboulement du Mont Granier est plus complexe qu’il n’y parait et nécessite encore un énorme travail. En effet, l’extension de la coulée de boue et sa composition sont remis en cause par les récentes découvertes archéologiques qui sont indéniables. Celles-ci bouleversent les acquis installés depuis les résultats publiées en 1998 (Nicoud & al, 1998). Ce questionnement appelle une réinterprétation des forages SNCF et un réexamen des articles d’auteurs moins connus mais ayant employés une méthodologie différente pour cartographier les limites de l’éboulement. Des prospections de terrains pédestres et géophysiques sont à envisager en complément de ce travail afin d’acquérir une image du sous-sol avec certitude. Elles pourraient alors être comparer aux études parcellaires afin d’affiner au maximum d’une part la cartographie des limites du glissement, et d’autre part la méthodologie « archéogéographique » proposée ci-dessus.

Ce travail a également montré le formidable potentiel archéologique et environnemental du site du Granier. La présence du site gallo-romain fouillé en 2010 rappelle que de nombreuses découvertes fortuites d’objet antérieur au XIIIe siècle ont été faites sur des communes recouvertes par l’éboulement. Ainsi celui-ci n’aurait pas été si destructeur. Au contraire, il a pu être conservateur en emprisonnant des éléments du XIIIe siècle dans une couche de protection qui les a préservés. C’est d’autant plus le cas pour les restes végétaux qui, de plus, ont pu profiter d’un contexte humide important (peut-être plus du tiers de la zone en contexte humide d’après l’étude de la mappe sarde). Des études archéobotaniques entreprises pour reconstituer le paysage d’avant écroulement (pollens, restes xylologiques,…) pourraient alors être comparées avec les documents historiques médiévaux étudiés par Fabrice Mouton, ou encore les données sur la nature du sol issues de l’étude de la mappe sarde.

Les Abîmes de Myans se révelent donc être un territoire qui ne peut s’appréhender que par l’interdisciplinarité. La reconstitution de l’histoire des hommes et du paysage passera par un nécessaire échange entre l’ensemble des disciplines d’archéologie et d’environnement.

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