A cette distorsion spatiale s’ajoute aussi le fait que l’agriculture et l’industrie profitent de la
découverte de gisements naturels de matières premières et de l’invention de nouveaux procédés de
production. Par exemple, la papeterie a toujours cherché des substituts au chiffon mais ce n’est que
durant la deuxième moitié du XIXe siècle que d’autres matières premières commencent à être
utilisées pour la fabrication de papiers, notamment la paille, l’alfa et le bois et que le papetier
allemand Henri Voelter met au point une technique de défibrage mécanique du bois qui permet la
fabrication de pâte à papier. Ces trois matières premières sont à l’origine du développement de
l’industrialisation de la papeterie et de l’abandon progressif des vieux chiffons en bousculant le
marché des matières premières : « D’après les syndicats patronaux et ouvriers, la consommation de
chiffons a été divisée par deux entre 1880 et 1900, parallèlement, les cours, s’ils se maintiennent
pour les chiffons de très bonne qualité, baissent pour les autres. »(47).
Les utilisations multiples de l’os sont, elles aussi, évincées par des innovations
technologiques. On découvre des nouvelles techniques de décoloration du sucre par filtration, ce qui
rend peu à peu obsolète le noir animal qui faisait auparavant l’objet de toutes les convoitises. De
même, la poudre d’os, qui contient des phosphores et servait à fertiliser les champs, est
graduellement concurrencée par « la découverte des gisements de phosphates naturels, matière
première plus abondante que les os »(48). Enfin, la tabletterie « connaît des mutations profondes et
durables avec la naissance des matières plastiques »(49) qui commencent à faire leur apparition dans
les grands magasins parisiens à la fin du XIXe et deviendront peu à peu des produits de
consommation courante au fil du XXe siècle.
Les matières premières animales ont connu le même sort. Les colorants, auparavant produits
artisanalement à l’aide de mélange de minéraux, végétaux ou sous-produits animaux sont désormais
fabriqués à partir du goudron (tiré de la transformation de coke en gaz de houille), puis du pétrole.
L’arrivée de la fée électricité conduit à l’anéantissement de la filière de réutilisation du suif des
graisses animales pour la fabrication de bougies. De même, « la mise au point des colles végétales,
des colles à base de dextrine (issue de la fécule de pomme de terre), puis de résines de synthèse
entraîne la disparition de l’industrie de la colle animale »(50). Pour autant, on ne peut pas parler
d’abandon de ces sous-produits animaux, que constituent carcasses et os, puisqu’on cherche toujours
des débouchés. C’est ainsi que les farines animales voient le jour : « En 1899, on expérimente la
poudre d’os pour l’alimentation des jeunes animaux, bovins en particulier. »(51). Malgré ces
transformations, certains usages persistent : la gélatine est toujours utilisée dans les « industries
photographique, agroalimentaire et pharmaceutique »(52) et le suif dans la savonnerie, les industries
cosmétique et agroalimentaire. Dans un premier temps, l’abandon de ces sous-produits varie selon
les débouchés et on assiste plutôt à une restructuration de la filière. Dans un second temps, à partir
de l’entre-deux-guerres, de nouvelles techniques de conservation de la viande vont peu à peu
éloigner le bétail des centres urbains, décourageant ainsi toute réutilisation des sous-produits par les
industries citadines.
Les sous-produits urbains valorisés en agriculture, tels que les boues et les vidanges, sont
lentement détrônés par les découvertes de gisements de phosphate naturels et de nouvelles
techniques d’extraction de l’azote. Ces nouvelles sources d’engrais viennent dans un premier temps
s’ajouter aux anciennes techniques de valorisation organique avant de s’y substituer. « Par
conséquent, l’engrais humain, s’il joue un rôle dans l’agriculture périurbaine au cours du premier
XXe siècle, apparaît comme un produit désuet dont le rôle devient de plus en plus anecdotique. »(53).
Enfin, la deuxième moitié du XIXe siècle se caractérise par le développement des transports,
notamment des réseaux ferrés, facilitant ainsi l’acheminement de matières premières en provenance
de régions éloignées. La réutilisation des matières premières dont on dispose localement commence
à perdre de son intérêt.
47 BARLES Sabine, op. cit., p. 159.
48 Ibid., p. 141
49 Ibid., p. 141-142.
50 Ibid., p. 145.
51 Ibid., p. 146.
52 Ibid., p. 146.
53 Ibid., p. 155.
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