Peu de divergences sont apparues dans le groupe des médecins généralistes. Celui-ci a émis des idées concises et claires, les a développées et enrichies au fur et à mesure de la discussion. Celle-ci a déclenché, à maintes reprises, un échange sur les connaissances des structures existantes. L’ambiance générale du groupe était excellente. La participation aux discussions était distillée autour de trois protagonistes, cinq autres médecins participaient de façon plus ponctuelle et les cinq derniers ont participé uniquement après avoir été sollicités. Cinq catégories thématiques ont été retenues : le comportement, les activités, la santé, les ressources externes et l’environnement social. Pour chacune de ces catégories des solutions existantes et/ou des idées ont été discutées. Le groupe des médecins s’est d’ailleurs naturellement davantage penché sur ce second volet de l’entretien. Cet entretien collectif est le deuxième de l’interviewer, il est possible que cela ait influencé son déroulement.
Le comportement.
Accepter sa fragilité est considérer comme un facteur important pour bien vieillir avec, comme corollaire, le fait d’accepter de l’aide. Les médecins insistent sur le temps nécessaire et leur implication dans ce processus d’acceptation. Une personne évoquera le fait de prévoir suffisamment tôt une solution pour pallier à une possible dégradation de la situation.
Les activités
Trois types d’activités ont été décrites : les sorties, les activités-plaisir et les activités de type AVQ. Les médecins mettent en relation les activités avec, d’une part, l’environnement social : M8 « Au niveau des activités, c’est le tissu social… » et d’autre part avec l’image de soi : M9 « …Je pense que le fait de se sentir encore utile pour quelqu’un, ça aide à bien vieillir ».
Les ressources externes
Globalement, les médecins semblent satisfaits des ressources (formelles ou informelles) existantes pour suppléer aux incapacités dans la réalisation des AVQ. Cependant, des difficultés ont été évoquées telles que : la présence, la coordination, le problème des déplacements et enfin les ressources financières.
La présence
Deux situations distinctes ressortent de la discussion : l’urgence et la solitude. Dans ces cas de figure ce ne sont pas tant des soins ou une aide qui sont requis mais bien une présence plus soutenue. M3 : « Surtout une présence parce que pour le reste ça va quand même… »
La nécessité urgente d’une présence peut être liée à un problème médical ou à l’absence subite de l’aidant principal M6 : « J’ai un monsieur qui s’est retrouvé seul parce que son épouse s’est fracturée le col…Le voilà seul à la maison…Qu’est ce qu’on fait ? » M10 « Moi j’ai eu une patiente qui faisait tout le temps des chutes. On a cherché à avoir une place en home ou à l’hôpital. On n’a pas eu de place… elle s’est fait une fracture du col du fémur…C’est rageant parce que cette fracture on a l’impression qu’on aurait pu l’éviter…Il a fallu qu’elle casse…Maintenant elle est en home parce qu’elle ne sait plus marcher du tout » Que ce soit une présence nécessaire en situation d’urgence ou une présence bénéfique en situation de solitude, ce besoin ne peut être comblé à ce jour que par un soin ou une aide aux AVQ. M8 « Le fait d’être diabétique, ils ont l’infirmière deux fois par jour et donc ça fait une présence supplémentaire…C’est pas mal. » M2 : « C’est ça qu’elle prend les titres services pour deux heures presque par jour de nettoyage…en fait c’est pour avoir deux heures de présence. »
En réponse à ce constat, deux solutions existantes seront énoncées. Il s’agit tout d’abord des centres de jour et de la télé vigilance. L’évocation des centres de jour engendre l’intérêt des autres membres du groupe avec un bémol sur leur coût. Pour ce qui est de la télé vigilance installée régulièrement au domicile des patients, ce sont ses limites qui sont énumérées : utilisation adéquate, possibilité technique de l’installer et capacités cognitives minimales nécessaires.
Ensuite, les médecins proposent l’idée de places d’urgences, ou d’un système temporaire de soins à domicile continus. En plus de pallier au manque de place en maison de repos, deux autres avantages à ce système ont été cités : le coût moins élevé qu’une hospitalisation ou un placement et une longévité plus importante de la PAF.
En matière de solitude et d’isolement, les médecins constatent que le placement peut avoir des effets bénéfiques M3 « C’est vrai que moi ceux qui sont partis au home c’est ceux qui ne supportaient plus la solitude, ce n’était pas pour une maladie même si la famille était tout près et maintenant ça va mieux… » Plusieurs : « ils sont moins angoissés. »
M11 « Je ne sais pas si c’est pareil pour vous mais moi avec l’hiver qu’on a eu, il y en a quelques-uns qui se sont décidés à passer le cap parce qu’ils ont eu peur, ils sont restés une semaine ou 15 jours sans pouvoir avoir des courses ou des choses comme ça, j’en ai deux qui se sont décidés…maintenant ils sont bien. »
Sur le ton de la plaisanterie, internet a été décrit comme un moyen de rester en contact avec le monde extérieur.
Coordination, continuité et interdisciplinarité
Sont rassemblées ici les interventions qui décrivent, me semble-t-il, un manque d’unité du système d’aide et de soins mis en place pour les PAF.
M2 : « Il faut chaque fois aller chercher des trucs un peu partout… Ce serait bien d’avoir un truc central. On pourrait dire voilà madame un tel a besoin de ça, ça et ça. Et pas commencer à aller grappiller à droite à gauche. J’ai une patiente qui bénéficie des titres services, il a fallu monter tout un dossier d’handicapée parce qu’elle avait dépassé ses 500 tickets sur l’année… On appelle un numéro et il y a tout qui se met en place… »
Un médecin évoquera par rapport à cette problématique l’existence des Services Intégrés de Soins à Domicile que tout le monde ne semble pas connaître. D’autres remarques illustrent encore ce point : M9 « Je pense que l’assistante sociale doit intervenir parce qu’ils ne sont pas du tout au courant de ce qu’il existe comme ressources pour les aider. » M10 : « Surtout qu’ils (l’hôpital) prescrivent toujours des petits modèles, des boîtes de 28…Ils rentrent à la maison avec des petits modèles. La différence de prix est parfois minime avec des grands modèles…Oui et ils doivent nous revoir plus vite pour une nouvelle prescription. »
Les déplacements
Le problème des déplacements a également été évoqué avec, pour conséquence, une limite à l’accès aux soins et aux activités. M11« Les déplacements pour ceux qui n’ont pas de voiture, pas de famille, c’est difficile. J’ai une patiente chez qui je dois aller le lundi ou le mardi parce qu’elle va chercher ses médicaments le mercredi parce que c’est le seul jour où elle peut aller à Arlon et revenir avant quatre heures. Les transports en commun ne sont pas assez développés »
Les solutions discutées à ce sujet sont variées. Tout d’abord, il y a le service de livraison des pharmacies à domicile. Ensuite, internet qui pourrait permettre de faire ses courses. Enfin Telbus qui est un service de bus à la demande dans la province du Luxembourg.
Les ressources financières
Ce thème a également été discuté avec une reconnaissance partagée des difficultés des indépendants retraités. Si ce thème en tant que tel n’a pas fait l’objet de longues conversations, ce sont des interventions éparses qui m’ont interpelée telles que : oui mais c’est un budget, c’est cher, il faut pouvoir se le payer, etc.…. Celles-ci se réfèrent, pour la plupart, au besoin de présence (centre de jour, garde-malade etc.…).
L’environnement social
Il est difficile de scinder les ressources externes de l’environnement social car les participants ne font guère de différence entre les deux. L’interviewer « Pour finir il y a l’aide et la présence, on ne sait pas très bien ? ». Tous : « C’est les deux … ».
Au sein de cette thématique, sont donc rassemblés les « meaning units » ayant trait aux relations de voisinage, familiales et celles relatives au bien-être des aidants.
Les relations de voisinages sont prépondérantes. M11 « Ce n’est pas juste la famille-même, c’est plus souvent les voisins que la famille…Les enfants, ils ont leur vie… » Ce fait n’exclut pas nécessairement la famille. M3 : « Tout le monde se connaît dans le village, les enfants habitent dans le village, ça facilite la prise en charge… ». Cependant, une personne évoquera également la lente évolution de ces vies de quartier. M8 « Avant, c’était des grosses familles qui occupaient des quartiers entiers dans les villages avec une grosse solidarité entre eux et maintenant c’est plutôt des gens qui viennent de beaucoup plus loin et qui s’installent pour travailler au Lux et donc il y a moins de liens avec les autres, étant donné qu’ils rentrent tard. »
Le bien-être de la famille, l’aide que celle-ci peut fournir et ses limites ont été énoncés. M11 « Elle va tenir le coup jusqu’à la fin mais c’est elle que je vais ramasser à la petite cuillère après…Je le sais déjà…Il y a un degré qu’il ne faut pas dépasser parce que ça fait des dommages collatéraux aussi » M8 « Une partie de leur emploi du temps qui y passe aussi…Ce n’est plus un plaisir pour eux, ça devient une charge pour eux et une contrainte… ».
En réponse à cette difficulté, une personne évoquera l’intérêt de projets pilotes comme « Le Répit »(10) ainsi que le placement qui peut permettre de partager à nouveau du « bon temps » avec son parent : M4 « en maison de repos, la relation est beaucoup plus d’ordre de « je vais voir mon parent » ; au domicile, quand la famille vient, il y a toujours ça ou ça à faire… ». Le groupe déplore toutefois que les placements entraînent souvent un éloignement géographique important de la PAF par rapport à son entourage (médecin, famille, amis).
La santé
La santé des PAF est perçue par les médecins traitants comme globalement bonne. M11 « Il y en a plus qui vont bien que l’inverse, heureusement d’ailleurs… ». La maladie est gérée, suivie par leurs soins et ne semble pas constituer de manière générale un frein au fait de bien vieillir. M11 « Ca fait partie de notre travail …C’est un aspect de la pratique…C’est une gestion de problèmes différente des autres » Cependant, ce groupe exprime bien la fragilité de cette population et le manque d’outils pour faire face à une décompensation brutale de l’état de santé de ces patients. Plusieurs : « C’est souvent un problème de santé, après une hospitalisation, les gens ne se remettent pas… ». L’état de nutrition des PAF pose un doute également aux médecins. La santé mentale est évoquée par un médecin également qui déplore l’absence de ressource pour les PAF dans ce domaine. M5 « Lorsqu’il y en a un qui décompense, l’autre est perdu et même lors du décès du conjoint, je trouve qu’il n’y a rien en fait et je trouve ça super dur… ».
9 Les extraits des interviews sont identifiés par le module : M + n°
10 Projet d’Aide et Soins à Domicile dans le cadre du protocole 3, financé par l’inami. Permet aux aidants de souffler 3 jours. La PAF est entièrement prise en charge par les soins à domicile.