3.1 Réduire les possibilités de conflits d’intérêts
Dans cette partie, nous analyserons plus particulièrement la réponse apportée aux conflits d’intérêt dus à une liaison des différentes activités des banques d’investissements et leur effet sur celle plus particulière de la gestion.
3.1.1 Le constat de l’insuffisance de la règlementation sur les conflits d’intérêt résultant de la liaison de différents métiers au sein des banques d’investissement
L’AMF(147) énumère les différentes règles relatives à la transposition de la directive Européenne MIF sur les conflits d’intérêt. Cette directive est entrée en vigueur le 1er novembre 2007 et concerne les prestataires de services d’investissement :
– Obligation de détection des conflits d’intérêts – article 313-32 (reprise Directive).
– Définition des situations de conflits d’intérêts – article 313-33 (reprise Directive).
– Obligation d’établir une politique de gestion des conflits d’intérêts : contrôle des échanges d’information, rattachement hiérarchique, politique de rémunération – articles 313-34 et 313-35 (reprise Directive).
– Obligation de tenue d’un registre des situations de conflits d’intérêts – article 313-36 (reprise Directive).
– Obligation d’information des clients lorsque les conflits d’intérêts n’ont pu être évités – articles 313-37 et 313-38 (reprise Directive).
Une première observation concerne la nature de cette réglementation. Celle-ci est une réglementation intérieure au marché. Il appartient aux sociétés de gestion d’appliquer ces règlements par elle-même : détection des conflits d’intérêts, définitions de situation de conflits d’intérêt…
Jacques Sapir critique la « réglementation prudentielle » (interne au marché) qui suppose que le marché est efficient et qu’il suffirait de « gommer ses imperfections » pour éviter les crises.(148) Celui-ci base son argumentation sur les découvertes de la psychologie expérimentale qui mettent en lumière l’existence de plusieurs rationalités invalidant de fait l’existence d’une rationalité unique.
Dans le cas présent, il s’agit donc de faire confiance aux sociétés de gestion dans leur capacité s’autoréguler. Nous avons déjà dénoncé au cours de ce travail le danger d’une telle croyance qui accepte de l’acteur qu’il soit à la fois juge et parti. De plus une telle croyance nie l’existence de relations de pouvoir au sein des entreprises et la capacité de certains acteurs d’imposer leur volonté face aux velléités des « régulateurs de l’intérieur ».
La troisième critique de cette réglementation porte sur la teneure des règles qui concernent davantage la transparence et la communication (définition des conflits d’intérêt, obligation de détection des conflits d’intérêts…), plutôt que l’empêchement des conflits d’intérêt. Seule une mesure sur les cinq citées a cet objectif (« établir une politique de gestion des conflits d’intérêt »).
Ces premières observations faites, analysons maintenant un exemple de mesures prises par une société de gestion (Amundi) pratiquant l’ISR pour éviter les conflits d’intérêts issus des diverses activités du groupe :
Amundi fait référence à ce type de conflit d’intérêts de la manière suivante(149) :
« des conflits d’intérêts associés aux opérations et aux conventions avec d’autres entités du groupe Crédit Agricole »
Les détails des mesures sont explicités dans ce tableau :
Tableau 29 : Extrait de la politique de prévention et de gestion des conflits d’intérêts d’Amundi
Les mesures citées consistent toutes à détecter les cas de conflits d’intérêts possibles par des « suivis » des opérations des sociétés incriminées dans la gestion mise à part une : la « muraille de Chine » qui serait la solution ultime.
. Une « muraille de Chine » fragile
La « muraille de Chine » est une expression utilisée pour désigner une séparation des activités dans les établissements financiers. Cette expression s’est généralisée à d’autres types d’institutions. Il est impossible de donner une définition précise de la « muraille de Chine. Il y a tout d’abord une dichotomie entre les mécanismes visant à garantir l’indépendance des activités (séparation à l’intérieur) et le fait de séparer juridiquement les entités (séparations de l’extérieur).
Ainsi, pour Amundi, la muraille de Chine renvoie à la première définition. La loi Glass Steagall en 1933 instaurant une incompatibilité entre les activités de dépôt et les activités d’investissement est un exemple du deuxième type de séparations.
Ensuite, les observateurs ne s’accordent pas sur les objectifs de la séparation et donc les activités à séparer. Trois types de séparation existent :
– La séparation de l’activité de recherche et d’analyse : le but est d’éviter en priorité les délits d’initiés(150).
– La séparation des activités de dépôt et d’investissement : le but est de réduire la propagation des risques issus des produits complexes de la banque d’investissement vers tous les déposants de la banque(151).
– la séparation des diverses activités d’investissement : le but est d’éviter les conflits d’intérêts entre les activités de financement des entreprises et celles d’investissement par exemple.
En l’absence de loi instaurant une séparation juridique, la muraille de Chine consiste dans la pratique actuelle, à mettre des cloisons entre les différentes activités des banques en vue d’éviter tout type de conflits d’intérêts. Une autre mesure réside dans la mise en place d’un département « compliance ».
La réglementation est donc interne aux banques. Les projets de loi visant à lutter contre les conflits d’intérêts après la crise de 2008 vont aussi dans ce sens. Par exemple, les conclusions du rapport de l’ICB (commission bancaire indépendante) au Royaume-Uni, préconise de renforcer les dispositifs de contrôle dans le cadre d’une filialisation consacrant la sanctuarisation des activités, laissée à la discrétion des banques(152).
Dans les faits « la muraille de Chine » est donc laissée à la discrétion des banques, ce qui consiste à laisser le soin aux acteurs des conflits d’intérêt de trouver eux-mêmes des solutions pour les régler. Nous avons expliqué précédemment que cette situation était dangereuse.
– Proposition : Dans le cas de l’ISR, la situation la plus pernicieuse est due au regroupement des différentes activités d’investissements entre elles.
Une première solution consisterait à séparer juridiquement les fonctions de services aux entreprises et celles de gestion d’actifs. Dans le cas d’Amundi, les banques (SG et CA) devraient rompre leurs liens avec la société de gestion. De même pour les banques privées et les autres services (ex : CA private banking).
Une deuxième solution moins radicale est de « filialiser » la société de gestion (préconisation de l’ISB) en créant un conseil d’administration indépendant.
Une question épineuse reste à résoudre car la filialisation signifie que l’entreprise mère détient la majorité des parts de sa filiale ou une partie importante autorisant la maison mère à proposer des administrateurs aux élections des assemblées générales et de posséder un potentiel de voix importantes pour élire ses administrateurs. Dans quelle mesure le conseil d’administration peut-il être indépendant ?(153)
3.2 Le seuil de dépôt de résolution
Le dépôt de résolution est le fer de lance de l’actionnaire dynamique pour influencer la stratégie de l’entreprise. Actuellement (article R225 du code de commerce), il faut réunir plus de 0,5% du capital de l’entreprise pour espérer déposer une résolution qui sera obligatoirement à l’ordre du jour et soumis au vote lors de l’assemblée générale (pour les entreprises de plus de 15 millions d’euros).
Le seuil de résolution de 0,5% semble assez bas de manière absolue. Pourtant, si nous nous penchons sur cette question plus précisément, il apparaît que les entreprises du CAC 40 ont actuellement une capitalisation moyenne d’environ 20 milliards d’euros(154)
Il faut donc réunir 100 millions d’euros d’actions en moyenne pour déposer une résolution. Or, seulement 8 sociétés de gestion sur plus de 500 ont plus de 5 milliards d’euros d’encours en France. Compte tenu du fait que les sociétés de gestion ont une fraction de leurs fonds investis dans une entreprise, la grande majorité des sociétés de gestion n’ont pas assez de capital pour pouvoir déposer des résolutions.
Pour déposer une résolution, des coalitions s’organisent avec plusieurs sociétés de gestion. Pour le dépôt de la résolution concernant Total, Phitrust ne réunissait que 3,78 millions d’euros du capital de Total(155) alors que 0,5% du capital de Total équivaut à environ 375 millions d’euros…
Selon un interviewé pratiquant l’engagement, il n’est pas utile de baisser le seuil de dépôt de résolution puisque celui-ci confère un grand pouvoir à l’actionnaire dans la mesure où la résolution doit obligatoirement figurer à l’ordre du jour et qu’elle est contraignante si elle est acceptée. Il est vrai que dans les pays ou ce seuil est très bas, la résolution n’est pas contraignante : aux Etats-Unis, il suffit de 2000$ pour déposer une résolution en assemblée générale mais le vote est consultatif et non contraignant.(156)
– Proposition : le seuil de dépôt est trop élevé pour inciter la majorité des sociétés de gestion (petites) à utiliser l’outil principal de l’engagement. De plus, la réunion du capital au travers de coalitions accroît la lourdeur du processus. Ce seuil ne doit pas non plus être trop abaissé car son impact sur la politique de l’entreprise est grand.
147 AMF. Transposition de la directive MIF: Prestataires de services d’investisseemnt . 2007.
148 Sapir, Jacques. La démondialisation. Paris : Seuil, 2011. pp. 169-179.
149 Amundi. politique de prévention et de gestion des conflits d’intérêts. 2010.
150 Edubourse. http://www.edubourse.com/lexique/muraille-de-chine.php. www.edubourse.com. [En ligne]
151 La Tribune. http://www.latribune.fr/journal/edition-du-1310/l-evenement/1210889/et-si-le-vieux-continent-reformait-plus-radicalement-ses-banques-.html. www.latribune.fr. [En ligne]
152 Agefi.http://www.agefi.fr/%28S%284lbqfj45w5q2j5551iobpn45%29%29/search/default2.aspx?search=B%C3%A2le%20III&id_article=1192341&page=&themes=&societes=|HSBC||Barclays|&personnes=&publications=|410|&tri=. www.agefi.fr. [En ligne]
153 PEOI. http://www.peoi.org/Courses/Coursesfr/finanal/ch/ch4g.html. www.peoi.org. [En ligne] 2010.
154 Wikipedia. http://fr.wikipedia.org/wiki/CAC_40#cite_note-0. fr.wikipedia.org. [En ligne]
155 Phitrust.http://www.phitrust.com/data/file/partenaires/R_ponses_au_Code_de_Transparence_062010.pdf. www.phitrust.com. [En ligne]
156 Novethic. http://www.novethic.fr/novethic/v3/isr-investissement-socialement-responsable-article.jsp?id=4. www.novethic.fr. [En ligne]