La problématique des droits sur la terre en Côte d‘Ivoire, accentuée par les crises répétées depuis 1999 avec les déplacements des populations, demeure une cause déterminante des conflits inter et intracommunautaires, particulièrement dans l‘ouest et dans les zones de production de café et de cacao(105).
Elle aura fortement contribué à saper la confiance entre les communautés et aura conduit à la fracture sociale à travers des conflits de génération (entre les jeunes autochtones et leurs parents) et sociopolitiques (entre autochtones et allochtones d‘une part et entre autochtones et allogènes d‘autre part) qui se traduisent par des violences et fournissent un terreau fertile à la mobilisation politique.
La loi relative au Domaine Foncier Rural(106) qui a été votée le 18 décembre 1998 et promulguée le 23 décembre 1998, ainsi que ses textes d‘application (trois décrets et quinze arrêtés d‘application) constituent le cadre juridique qui permet de transformer en droit de propriété moderne les droits coutumiers (droits non écrits) et de sécuriser l‘accès à la terre des propriétaires du Domaine Foncier Rural Coutumier (DFRC), ainsi que des occupants non admis au Titre Foncier.
Notre analyse aura relevé les défis et les principaux obstacles suivants :
• La loi sur le Domaine Foncier Rural comporte des échéances contraignantes, notamment l‘expiration le 13 janvier 2009 du délai de 10 ans imparti aux personnes détentrices de droits coutumiers pour les faire constater, au risque de voir ces terres considérées comme appartenant à l‘Etat.
• Un dispositif de mise en oeuvre de la loi encore insuffisamment développé : Certains textes d’application n‘ont pas encore été pris en compte, notamment en ce qui concerne (i) le(s) modèle(s) de contrat de location, (ii) les comités départementaux d‘explication de la loi, (iii) le bail emphytéotique (iv) la transmission du patrimoine foncier et des contrats de location par succession ; (v) la délimitation précise séparant le domaine foncier rural, le domaine foncier urbain et le domaine forestier ; (vi) la définition des taux de l’impôt foncier sur le domaine foncier rural. En plus, la mise en oeuvre de la loi se heurte à l‘insuffisance des ressources humaines chargées du travail à la base, des moyens matériels et financiers.
• Une méconnaissance de la loi et des procédures de son application : Les procédures d‘obtention du Certificat foncier et de consolidation des droits concédés sont insuffisamment maîtrisées voire méconnues, non seulement par les populations concernées, mais aussi par les personnels intervenant dans la mise en oeuvre de la loi, notamment l‘administration préfectorale et les services déconcentrés du MINAGRI.
• Une faiblesse des actions de prévention et de règlement des conflits fonciers : Les conflits fonciers peuvent s‘analyser comme des actes de contestation de droits d‘utilisation de la terre qui dégénèrent en violence. Il en résulte, entre autre, l‘insuffisance d‘un système de prévention et de règlement de litiges (fiabilité de l‘arbitrage au niveau local, efficacité de l‘appareil judiciaire) pouvant entraver la cohésion sociale, la baisse de la productivité agricole, voire dans les cas les plus graves causer l‘insécurité alimentaire et le déplacement des populations.
• La pression sur le foncier a agrandi avec la crise économique et le retour de multiples jeunes à leur village natal dans l‘attente de récupérer leurs terres pour l‘agriculture. Ces jeunes, en quête d‘opportunités sur leur terre natale, se sont heurtés à de nombreux étrangers ou migrants de l‘intérieur ou membres de la famille qu‘ils trouvaient souvent sur les terres qu‘ils espéraient réclamer. Ils pouvaient, de surcroît, se voir également entrer en conflit avec les anciens du village, qui avaient généralement veillé à leur propre intérêt dans les accords qu‘ils avaient eux-mêmes signés avec les allogènes. Les tensions intergénérationnelles provoquées par ces conflits ont eu des répercussions qui dépassent la gestion des ressources foncières et s‘étendent à la gestion de conflits locaux de manière générale.
• Le retour ou la réinstallation des personnes déplacées internes et des ex-combattants désireux de reprendre leurs activités agricoles : Dans certaines localités, notamment du fait de la crise, des détenteurs de droits coutumiers ou des personnes ont été spoliées de leurs terres ou de leurs exploitations agricoles. Ceci a un impact négatif sur le retour effectif des personnes déplacées et victimes de guerre dans leurs lieux de résidence habituelle. Il faut notamment rétablir les conditions de l‘accès à la propriété ou à l‘usufruit de la terre des déplacés internes désireux de retourner dans leurs exploitations agricoles abandonnées et des ex-combattants désireux de reprendre leurs activités agricoles.
105 PNUD- Cote d‘Ivoire : Aide-mémoire des Partenaires Techniques et Financiers relatif à la problématique du foncier rural en Côte d‘Ivoire, Abidjan, février 2008
106 Droit-afrique.com.- Le domaine financier rural en Côte d‘Ivoire.- 23 décembre 1998 http://www.droit-afrique.com/images/textes/Cote_Ivoire/RCI%20-%20Domaine%20foncier%20rural.pdf/