Pour Pierre Olivier Monteil (NDA : rédacteur en chef de la revue Autre Temps de 1991 à 2004 et auteur de plusieurs ouvrages sur le rapport entre le protestantisme et la modernité), cette « inculture » religieuse journalistique « est aussi bien le fait d’une lacune de l’enseignement que d’un rejet de la transmission ». Comme il l’explique, il n’y a pas que les journalistes ayant une appartenance religieuse qui peuvent porter un regard biaisé sur les religions autres que la leur, les athées également, tout en croyant être totalement libres de penser, ne le sont en fait souvent pas. « Nombre d’agnostiques ou d’athées, qui se sont jadis démarqué de la religion dans laquelle ils avaient grandi, échouent maintenant à repérer ce qui en elle les influence encore, lorsqu’ils en prennent le contre-pied ou lorsqu’ils lui restent fidèles sans le savoir. »
Aussi, que l’on soit un journaliste croyant ou athée, « difficile de trouver la bonne distance ».
Dans un monde médiatique où tout va de plus en plus vite et où l’on a de moins en moins de temps pour traiter des informations pourtant toujours plus complexes, comment ne pas sélectionner l’information en fonction de ses convictions ?
Un journaliste pressé, a-t-il vraiment le temps de faire la part des choses et de se poser la question « suis-je en train de sélectionner cette information selon mon opinion ou selon la réalité de ce que je vois ? ». La réponse est certainement : non.
Ce qui en temps normal est déjà difficile à mettre en application (NDA : prendre de la distance avec l’information à traiter) devient logiquement et tout bonnement mission impossible dans l’urgence. Aussi, voilà pourquoi trop souvent, l’information religieuse, à la base difficile à traiter car n’évoluant pas au « même rythme » que la société contemporaine, se retrouve évoquée dans les médias au travers d’images tronquées.
Comme le rappelle Jean-Paul Willaime, directeur d’étude à la section des sciences religieuses à la Sorbonne, « la religion au rythme médiatique c’est […] des temps forts, suivis de périodes de latence, comme si on était religieux par intermittence », par conséquent « la représentation télévisuelle du religieux est […] décalée par rapport aux évolutions religieuses actuelles » ce qui conduit à une transformation du religieux par les médias, qui, de même qu’ils ont « transformé le rapport au politique », « transforment le rapport au religieux. » (« Les Médias et les mutations contemporaines du religieux », Autres Temps, n°69, p.64-75).
Finalement encore une fois, l’« islam » que l’on évoque dans les médias n’a que très peu de rapport avec l’islam de la réalité. Le sens que l’on fait recouvrir aux termes « islam » et « musulman » dans la presse écrite, à la radio ou à la télévision relève plus de la vision partielle que nous en présente les journalistes que de l’authentique réalité.
Les journalistes nagent dans le bain de la modernité. Portés par les courants de pensée « en vogue », il leur est souvent difficile de lutter contre. Aussi, quand un raz-de-marée mondial s’abat sur l’islam, au point de l’engloutir sous le poids des reproches et des accusations, difficile de distinguer ce qui se dit de ce qui est. Difficile, pour un journaliste balloté au coeur du rouleau, de s’en extraire pour prendre de la hauteur. Difficile, finalement, de présenter une vision nuancée, complexe et donc moins « attirante » pour le spectateur quand l’on fait face à une tendance simpliste et racoleuse qui s’est imposée depuis une dizaine d’années.
La religion telle qu’observable par le prisme médiatique n’est que le produit d’une sélection préalable de l’information, elle-même effectuée selon les opinions personnelles des journalistes. Cette image n’est donc jamais parfaitement représentative de la réalité. Ajoutez à cela un courant de pensée dominant et vous obtiendrez souvent une information qui va dans le sens de la pensée majoritairement admise.
Aussi, quand un journaliste se trouve face à une lame de fond aussi importante que celle qui nous occupe aujourd’hui, ses seules armes sont d’y être bien préparé et d’avoir les idées claires. De s’être documenté et un minimum informé avant la tempête pour pouvoir, une fois qu’il en est en plein coeur, réfléchir par lui-même, sans se laisser influencer par tel ou tel courant. C’est pourquoi il apparaît désormais indispensable de former les nouvelles générations de journalistes au fait religieux et à la distinction entre ce qui en relève et ce qui n’en relève pas.
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