Les entretiens font ressortir un double rôle des guides composteurs au sein de leur
immeuble : celui de personne moteur et celui de personne référente.
4.A. Personne moteur(24)
Les guides composteurs ont un rôle d’instigateur du compostage collectif au sein de leur
copropriété : ce sont eux qui contactent le SYBERT ou Trivial Compost pour faire une demande
d’installation de composteurs et qui assurent la médiation avec les autres copropriétaires avant
l’Assemblée Générale de copropriété.
Cependant, même lorsque le projet a été mis en place, leur rôle moteur ne s’arrête pas pour
autant et ces derniers restent les fers de lance du compostage au sein de leur immeuble. Christian
reconnaît que la matière organique en fermentation et surtout les insectes sont des freins à la
pratique du compostage par les copropriétaires. En effet, le processus de décomposition, les insectes
et les moucherons peuvent rappeler le morbide, le cadavérique et sont vecteurs d’angoisses. L’action
du guide composteur permet de dédramatiser ce rapport craintif. Ainsi, selon Christian, le rôle du
guide composteur ne se trouve pas tant dans la bonne gestion du compost que dans l’exemple qu’il
véhicule, dans sa façon de banaliser le geste à opérer et la matière en décomposition. Son rôle est
donc de démontrer l’innocuité et la simplicité du compostage afin que ce geste devienne trivial.
Christian : « En plus, quand on nous parle des maladies tropicales, piqués par les moustiques, etc, on peut tout de
suite imaginer que… Donc on se dit quand même que tous ces petits moustiques qui sortent du composteur là, où
il y a plein de détritus, ça doit pas être très propre tout ça. Hein, ça doit quand même… Ça doit les plier les gens.
Ouais. C’est peut-être pour ça que le rôle mécanique du guide composteur dédramatise peut-être aussi un peu ça.
Peut-être que, parmi les gens qui passent quand je suis en train de remuer, ils se disent ”Oh ben, finalement il en
est pas mort.”. » (Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)
4.B. Personne référente(25)
Les guides composteurs sont chargés d’entretenir le site de compostage de leur immeuble et
de diffuser certaines consignes aux autres copropriétaires mais chacun d’eux s’approprie son rôle de
façon différenciée.
4.B.a. Différents niveaux d’application des consignes de compostage
Les consignes de compostage ne sont pas suivies avec une même vigueur par l’ensemble des
copropriétaires composteurs et nous pouvons dégager des entretiens deux degrés d’investissement
qui permettent de dresser une typologie :
– Le composteur « actif » qui fractionne ses apports(26), les enfouit et remet du broyat de bois(27) ;
– Le composteur « passif » qui se contente de verser ses déchets dans le composteur sans
vraiment prêter attention aux consignes (erreurs dans le tri des matières compostables,
matière non fractionnée et non enfouie, pas d’apport en broyât).
Victor : « Tout le monde respecte bien les consignes de compostage ? »
Vincent : « Ben pas la découpe. Pour les agrumes, il y en a aussi qui mettent des fois des mandarines pleines. Il y
en a qui sont pas trop… »
Émeline : « […] Même si il y en a quelques-uns qui font pas comme il faut, le compost il se fait quand même.
Aussi parce que, voilà, derrière nous on regarde. On refait à leur place quoi quelque part. Mais ça nous prend pas
non plus un temps fou. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)
4.B.b. Une attitude qui varie face aux erreurs des voisins
Le non respect des consignes par certains voisins composteurs est plus ou moins toléré selon
qu’il est attribué à l’innocence (peur des moucherons) ou à la négligence (mauvaise volonté). Dans
cette perspective, Christian fait preuve d’une approche compréhensive face à des erreurs récurrentes
de certains voisins, notamment une personne qui jette systématiquement ses déchets organiques
dans le mauvais bac(28). La même logique peut être repérée chez Vincent et transforme le moucheron
en bouc émissaire.
Christian : « Je pense que la personne qui met ailleurs que dans le composteur principal, c’est bien plus
compliqué pour elle tout ça. Ça veut donc dire qu’elle doit avoir une certaine réticence par rapport à ça. C’est
pour ça que je dis rien, même si je la voyais faire je lui dirais ”Bon ça serait mieux de mettre là parce qu’il y a des
cycles, il y a un fonctionnement, ça permettrait…”. Mais dans la mesure où c’est pas plus important que ça
j’admets aussi qu’elle ait des difficultés à venir devant le composteur et puis à lever le couvercle et à voir peutêtre
toutes les matières qui sont là, qui sont en décomposition. Et plus encore les petits moustiques. » (Entretien
avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)
Vincent : « Ils font pas forcément un trou pour recouvrir après. Mais aussi parce qu’il y a plein de moucherons
donc forcément c’est pas très agréable d’aller gratter. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs,
le 6 mars 2012.)
Le respect des consignes semble difficile à assurer malgré les nombreuses mesures prises pour que
celles-ci soient accessibles et respectées par tous (affichage près des composteurs ou dans les parties
communes, petits mots dans les boites aux lettres). Cependant ces erreurs ne sont pas dramatisées et
sont jugées inoffensives, mais elles posent des questions sur la capacité des voisins à gérer le site
en cas de déménagement du guide composteur.
Émeline : « Ouais. On a affiché, on a ré-affiché aussi. Ça fait deux fois qu’on met des affichages dans le hall pour
expliquer qu’il faut bien découper, faire un trou et recouvrir les déchets qu’on met. Ça marche guère. […] »
Vincent : « Moi ça me dérange pas, c’est juste que je me dis : le jour où il y a plus personne qui le fait, comment
ça se passe quoi ? C’est juste ça qui me questionne. Peut-être qu’il y en aura un qui dira ”merde” et prendra ça en
charge. » (Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)
4.B.c. La difficulté à transmettre les consignes de compostage
Le guide composteur possède une légitimité pour répondre aux questions des copropriétaires
mais encore faut-il que ceux-ci fassent la démarche de venir chercher l’information. Une fois de
plus, nous pouvons supposer que ce sont les voisins les plus investis et les mieux informés sur le
compostage qui cherchent à obtenir des renseignements(29).
De plus, les déchets étant de très bons révélateurs identitaires, ils peuvent être considérés
comme relevant de la sphère privée, de l’intimité. Par conséquent, s’intéresser à la gestion des
déchets de ses voisins constitue, en quelque sorte, une ingérence dans la vie privée d’autrui. Nous
pouvons donc repérer un certain malaise face à ce qui constitue une mission de « persuasion »,
d’« enrôlement ». Ce constat est très palpable chez Émeline qui refuse d’adopter un rôle de
« promoteur actif du compostage » par peur de la réaction et du jugement des autres.
Émeline : « Après oui, je trouve que ça fait un titre un peu pompeux quoi « guide ». On se sent pas très guides. »
(Entretien avec Vincent et Émeline, guides composteurs, le 6 mars 2012.)
Pour Émeline, reconnaître cette terminologie serait un peu trop présomptueux car cela reviendrait à
avouer qu’il existe une hiérarchie parmi les citoyens selon qu’ils ont adopté ou non des
comportements écologiques. Or elle refuse de juger les gens. Si elle composte c’est d’abord pour
elle, elle se voit mal essayer d’inciter ses voisins à mieux trier leurs déchets. Elle ne se sent pas
toujours légitime pour donner des conseils et a peur du jugement de l’autre : le leitmotiv de son
discours réside dans la peur d’être stigmatisée et étiquetée comme une « écolo intégriste ».
A ce déficit de légitimité s’ajoute un autre frein à la promotion du compostage et à la
communication des consignes dans les habitats collectifs comprenant beaucoup de logement : la
difficulté pour recenser la population de composteurs au sein de l’immeuble.
Christian : « Je sais pas qui c’est qui vient. Je vois bien que le composteur se remplit mais il y a des fois où je me
dis qu’ils viennent la nuit parce que je vois rarement des gens qui viennent avec un seau pour le vider. »
(Entretien avec Christian, guide composteur, le 8 mars 2012.)
Grâce à la médiation de Trivial Compost qui fait figure d’expert et à la légitimité
conférée au modèle de compostage collectif bisontin par le soutien des représentants des syndics,
ce système de valorisation des déchets organiques bénéficie d’une très bonne acceptabilité sociale.
L’instauration de la redevance incitative avec pesée embarquée, qui sera effective le 1er septembre
2012, conforte le bien-fondé des projets et leur acceptation en AG de copropriétés en donnant à ses
défenseurs un argument économique non négligeable. Cependant, l’activation du levier de la
rationalité économique ne suffit pas face à certains copropriétaires qui considère le SPED comme
un « service total ».
Une fois les projets acceptés, la valorisation des déchets organiques doit passer par une
valorisation symbolique de la pratique afin que celle-ci puisse perdurer dans le temps. En ce qui
concerne les facteurs qui peuvent expliquer l’investissement dans le compostage collectif, notons
qu’il sont multiples(30) et hétérogènes. Retenons seulement que cet investissement entre en corrélation
avec l’intégration de l’individu ou du foyer au sein du collectif de l’immeuble. Cette hypothèse
devrait faire l’objet d’une vérification empirique dans le cadre de notre recherche de Master 2 en vue
de sa systématisation(31). Malgré une bonne acceptabilité sociale, le développement de ce modèle de
compostage collectif connait un certain nombre de limites relevant principalement de la nécessité de
s’appuyer sur des guides composteurs motivés et disponibles sur le long terme.
24 Les guides composteurs sont des personnes moteurs dans le sens où c’est sur eux que repose l’enclenchement et le
maintien de la dynamique du compostage au sein des copropriétés.
25 Les guides composteurs sont également des personnes référentes puisqu’il leur revient la charge d’entretenir le site
de compostage et de « guider » les copropriétaires dans l’adoption du nouveau geste.
26 Ce qui permet une meilleure décomposition de la matière organique.
27 Ce qui permet d’accélérer la fermentation des matières fraiches et de limiter la prolifération des moucherons.
28 Rappelons que chaque immeuble dispose en général de trois bacs : un pour la matière fraiche, un pour la maturation
et un pour stocker le broyât de bois.
29 Cf. partie « Des relais de terrain pour lutter contre l’information en vase clos. », p. 52.
30 Les facteurs que nous avons identifiés ne prétendent pas à l’exhaustivité mais sont plutôt destinés à dégager des
pistes de réflexion au sein d’une problématique délaissée par les sciences sociales.
31 Ce travail gardant une dimension encore très générale et théorique, nous nous efforcerons de développer une
réflexion plus restreinte et empirique pour notre mémoire de deuxième année de Master.