À partir de décembre 2010, après que Gbagbo eut refusé de reconnaître les résultats de l‘élection, des unités des forces de sécurité d‘élite étroitement associées à Gbagbo auraient enlevé des responsables politiques locaux membres de la coalition de Ouattara, les traînant hors de restaurants ou hors de chez eux et les forçant à entrer dans des véhicules en faction. Leurs proches auraient ensuite retrouvé les corps des victimes à la morgue, criblés de balles.
Des milices pro-Gbagbo gardant des postes de contrôle informels à Abidjan auraient assassiné des dizaines de partisans réels ou présumés de Ouattara, les battant à mort à l‘aide de briques, les exécutant à bout portant avec des fusils, ou les brûlant vifs. Des femmes actives dans la mobilisation des électeurs, ou qui portaient simplement des t-shirts pro-Ouattara, auraient été prises pour cible et auraient souvent été victimes de viols collectifs commis par des membres des forces armées ou des milices contrôlées par Gbagbo.
Alors que la pression internationale s‘intensifiait pour que Gbagbo quitte le pouvoir, la violence s‘est faite plus effroyable encore, a expliqué Human Rights Watch. La Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI), contrôlée par le gouvernement Gbagbo, aurait incité à recourir à la violence contre les groupes pro-Ouattara et aurait exhorté les partisans de Gbagbo à ériger des barrages routiers et à « dénoncer toute personne étrangère ». Ces faits auraient été, à bien des égards, l‘aboutissement de dix années de manipulation par Gbagbo de l‘ethnicité et de la citoyenneté, période au cours de laquelle les Ivoiriens du nord auraient été traités comme des citoyens de seconde zone et les immigrés ouest-africains comme des indésirables.
Entre février et avril 2011, des centaines de personnes des deux groupes auraient été tuées à Abidjan et dans l‘extrême ouest du pays, parfois sur la seule base de leur nom ou de leur tenue vestimentaire. Les mosquées et les dirigeants religieux musulmans auraient également été pris pour cible.
Selon Human Rights Watch, les exactions perpétrées par les forces pro-Ouattara n‘auraient pris une telle ampleur que lorsqu‘elles ont entamé leur offensive militaire pour s‘emparer du pouvoir dans l‘ensemble du pays en mars 2011. Dans l‘extrême ouest, village après village, surtout entre Toulepleu et Guiglo, les membres des Forces républicaines alliées à Ouattara auraient tué des civils appartenant aux groupes ethniques pro-Gbagbo, y compris des vieillards incapables de fuir ; ils auraient également violé des femmes ; et réduit des villages en cendres. À Duékoué, les Forces républicaines et leurs milices alliées auraient massacré plusieurs centaines de personnes, traînant hors de chez eux, avant de les exécuter, des hommes non armés soupçonnés d‘appartenir à des milices pro-Gbagbo.
Par la suite, lors de la campagne militaire visant à s‘emparer d‘Abidjan et à consolider leur contrôle sur la ville, les Forces républicaines auraient à nouveau exécuté des dizaines d‘hommes appartenant à des groupes ethniques alignés sur Gbagbo – parfois dans des centres de détention – et elles en auraient torturé d‘autres.
Au terme du conflit, les forces armées des deux camps auraient commis des crimes de guerre et selon toute probabilité des crimes contre l‘humanité, a signalé Human Rights Watch. Une commission d‘enquête internationale a présenté un rapport au Conseil des droits de l‘homme à la mi-juin 2011, établissant également que des crimes de guerre et de probables crimes contre l‘humanité avaient été perpétrés à la fois par les forces pro-Gbagbo et pro-Ouattara. Le Haut-commissariat aux droits de l‘homme, les Opérations des Nations Unies en Côte d‘Ivoire, la Fédération internationale des ligues des droits de l‘Homme et Amnesty International ont tous publié des conclusions similaires.
Le mandat d‘arrêt à l‘encontre de Laurent Koudou Gbagbo est donc le premier mandat délivré dans le cadre de la situation en Côte d‘Ivoire.
La Côte d‘Ivoire n‘est pas partie au Statut de Rome mais avait accepté la compétence de la Cour le 18 avril 2003. Plus récemment, le 14 décembre 2010 et le 3 mai 2011, la Présidence de la Côte d‘Ivoire a de nouveau confirmé qu‘elle acceptait la compétence de la Cour.
Le 3 octobre 2011, la Chambre préliminaire III a autorisé le Procureur à ouvrir une enquête de sa propre initiative sur les crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis en Côte d‘Ivoire depuis le 28 novembre 2010, ainsi que sur les crimes susceptibles d‘être commis à l‘avenir dans le cadre de cette situation. Les juges ont autorisé le Procureur à enquêter sur les crimes contre l‘humanité et les crimes de guerre qui auraient été commis par les forces pro-Gbagbo et par les forces pro Ouattara, notamment des meurtres, des viols, des disparitions forcées, des cas d‘emprisonnement, des actes de pillage et de torture et le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des civils.
La Chambre préliminaire III a également demandé au Procureur de lui communiquer, dans un délai d‘un mois, tout renseignement supplémentaire dont il dispose concernant des crimes commis entre 2002 et 2010 et susceptibles de relever de la compétence la Cour. Le Procureur a répondu à cette demande le 3 novembre 2011. La Chambre examine maintenant s‘il y a lieu ou non d‘autoriser le Procureur à enquêter sur des crimes qui auraient été commis entre 2002 et 2010.
La Cour pénale internationale est une juridiction permanente et indépendante qui juge des personnes accusées des crimes les plus graves touchant l‘ensemble de la communauté internationale, à savoir le crime de génocide, les crimes contre l‘humanité, les crimes de guerre et le crime d‘agression.