Tierno Monénembo, écrivain guinéen(252), avait déploré que la démocratie soit bafouée en Côte d‘Ivoire. Il avait accusé la «fameuse communauté internationale» de rallumer les incendies qu‘elle était censée éteindre. Regard critique sur «le raffut» fait autour du tandem Ouattara-Gbagbo.
Pauvre Afrique, hier, on lui imposait ses dictateurs, aujourd‘hui, on lui choisit ses «démocrates». Les rappeurs, ces Prévert des nouveaux temps, viennent d‘inventer un néologisme qui fait fureur d‘un bout à l‘autre du continent: « la démocrature ». Entendez, ce système hybride (le visage de la démocratie, le corps diabolique de la dictature) qui a le don de déchaîner les passions et d‘ajouter à la confusion.
Qui a gagné les élections en Côte d‘Ivoire, qui les a perdues en Guinée? Cette question qui a l‘air d‘embraser l‘univers n‘a aucun sens dans les faubourgs de Conakry et d‘Abidjan où, bon an, mal an, la vie politique n‘aura jamais qu‘un seul régime, la disette, et une seule loi: «Tout ce qui n‟est pas obligatoire est interdit», pour reprendre le fameux mot de Léon Campo. Là-bas, on préfère d‘expérience les mauvaises élections aux guerres civiles bien réussies. Mieux vaut encore Bokassa et Mobutu que les drames du Liberia ou de la Sierra Leone! La bête humaine s‘habitue à l‘enfer du despotisme, certainement pas aux massacres à la rwandaise!
Or, les démons de la violence et de la haine hantent à nouveau la Côte d‘Ivoire. Comme en 2000, le pays coupé en deux, brulé comme une paille, plus rien ne peut l‘empêcher. La faute à qui? Au monde entier et d‘abord et avant tout à cette fameuse communauté internationale qui n‘est jamais mieux dans son rôle que quand elle rallume les incendies qu‘elle est censée éteindre.
Formellement, ce «géant» derrière lequel se cachent les grosses griffes des Etats-Unis et de l‘Union européenne ne pèse pas plus que le poids d‘un arbitre. Son rôle se limite à prévenir les conflits et à proposer une solution négociée lorsque ceux-ci s‘avèrent inévitables. Aucune circonstance exceptionnelle ne lui permet de déborder de ce cadre-là. C‘est du moins ce que croyaient les néophytes, les sorciers de la diplomatie, eux ne manquant jamais d‘arguments pour justifier l‘injustifiable.
Disons-le clairement: l‘ONU n‘a pas à décider qui est élu et qui ne l‘est pas à la tête d‘un pays (le cas ivoirien compte peu en l‘occurrence). Le faisant, elle outrepasse ses droits, ce qui lui arrive de plus en plus. Au point que derrière le langage feutré de ses diplomates, on distingue des bruits de bottes coloniales. A la manière dont Barack Obama, Nicolas Sarkozy ou Ban Ki-moon traitaient ce pauvre Laurent Gbagbo, on croit revoir Gosier-d‘Oiseau (célèbre personnage du Vieux nègre et la médaille, roman du Camerounais Ferdinand Oyono) transpirer sous son casque en engueulant ses nègres dans une plantation d‘Oubangui-Chari.
Nous ne soutenons pas Laurent Gbagbo, nous nous contentons de rappeler un principe. D‘ailleurs, le pestiféré d‘Abidjan n‘avait pas besoin de notre soutien: l‘arrogance des chancelleries et l‘hystérie des médias travaillaient pour lui. La diabolisation dont il était l‘objet avait fini par le rendre sympathique aux yeux de ses pires détracteurs. «A force de jeter une grenouille de plus en plus loin, on finit par la jeter dans une mare», dit un proverbe africain…
Nous ne contestons pas non plus l‘élection d‘Alassane Ouattara (nous sommes même convaincus que psychologiquement et techniquement, il est mieux outillé que n‘importe lequel de ses concurrents pour gouverner). Nous disons simplement que le rôle de la communauté internationale ne revient pas à prendre des positions partisanes et à se répandre en déclarations intempestives encore moins dans une situation aussi explosive que celle de la Côte d‘Ivoire. Pourquoi le défi et la menace du canon là où la discrétion, la ruse, la prudence et le tact bref, l‘art de la diplomatie, auraient suffi?
Nous n‘allons pas apprendre à des géopoliticiens de métier que la Côte d‘Ivoire est la pierre angulaire de la sous-région et que, si elle sombre, elle risque d‘entraîner ses voisins, alors que la Guinée tente une périlleuse expérience démocratique et qu‘Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) aurait déjà ses sanctuaires au Burkina Faso et au Mali. La situation paraissait d‘autant inquiétante qu‘il planait sur la région un «non-dit» tribal lourd de menaces pour l‘avenir: « tout sauf un Dioula au pouvoir à Abidjan; tout sauf un Peul au pouvoir à Conakry ».
La Côte d‘Ivoire méritait-elle de brûler pour les besoins des statistiques ou pour les beaux yeux de Laurent Gbagbo ou d‘Alassane Ouattara? Non, assurément non!
Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, où est la différence? Ils formeraient le trio maléfique qui a ruiné le pays d‘Houphouët-Boigny. A Bédié, le poison de l‘ivoirité, à Ouattara, celui de la sécession, à Gbagbo celui de la confiscation du pouvoir. Chacun de ces caïds a montré combien il était prêt à sacrifier sa patrie au profit de son pouvoir personnel. De ce point de vue, ils n‘ont rien d‘exceptionnel.
La quasi-totalité des chefs d‘Etat africains seraient au pouvoir à la suite d‘un putsch sanglant ou d‘une élection truquée. Une loi non écrite permettait à chacun de tuer, de voler et de tricher pour arriver au pouvoir. La nouveauté, ce sont les «scrupules» avec lesquels les grands de ce monde regardent cela.
République Démocratique du Congo,Tchad, République Centrafricaine, Madagascar etc.…, jusqu‘ici ils auraient encouragé les trucages électoraux et les putschs et fermé les yeux sur les pires atrocités au gré de leurs intérêts. Et voilà que ces messieurs sont soudain pris d‘un excès d‘états d‘âme!
Eh bien, s‘ils sont devenus aussi vertueux qu‘ils le prétendent, pourquoi ne vont-ils pas fouiller dans les cuisines électorales du Burkina, de la Tunisie ou de l‘Egypte? Sont-ils sûrs que les dynasties présidentielles du Gabon et du Togo sont sorties de la vérité des urnes? Se seraient-ils comportés ainsi s‘il s‘était agi de l‘Iran, de la Birmanie ou de la Chine?
Ce raffut fait autour d‘Ouattara est tel qu‘il en devient suspect. Que voulait sauver la communauté internationale, à la fin: la Côte d‘Ivoire ou un de ses protégés? Ouattara et Gbagbo sont les loups jumeaux de la politique ivoirienne: même teint, même sourire, même poids électoral (l‘un contrôlant la Commission électorale et l‘autre la Cour suprême). Il y a cependant entre eux une différence de taille: le carnet d‘adresses. Dans le monde mesquin et corrompu qui est le nôtre, plus besoin de formule magique, ce joujou-là suffit à ouvrir les plus secrets des sésames.
Ancien directeur adjoint du Fonds monétaire international (FMI), Ouattara se trouvait au coeur du complexe réseau qui gouverne ce monde alors que, modeste professeur d‘histoire, Gbagbo, hormis un bref exil à Paris, n‘était jamais sorti de chez lui. Ce petit détail là expliquerait mieux que tout (les longs couplets sur la démocratie par exemple) pourquoi une simple élection africaine avait aussitôt pris une dimension mondiale. Le village global est bel et bien là: la planète des copains et des coquins! Et ses lois s‘appliqueraient partout aussi bien en Côte d‘Ivoire que dans la Guinée voisine où, Alpha Condé, le président «élu» serait un ami des présidents africains et un vieil habitué des ministères parisiens.
«Je ne me vois pas échouer cette élection», affirma le nouveau président guinéen au lendemain du premier tour alors qu‘il accusait un retard de près de 25 points sur son concurrent. Il ne croyait pas si bien dire: l‘élection fut prolongée de cinq mois, le temps sans doute que le «bon» candidat soit prêt avec à la clé, l‘incendie de la Commission nationale électorale indépendante, les vols du fichier informatique, le tout suivi d‘un véritable nettoyage ethnique. Il n‘y eut aucune enquête et ces sourcilleux jurés de la communauté internationale n‘y trouvèrent rien à redire. Comme pour confirmer ce que tout le monde savait déjà: pour être élu en Afrique, pas besoin de mouiller la chemise. Avec un peu de chance et quelques copains bien placés à l‘ONU, à la Maison-Blanche, à l‘Elysée ou au Quai d‘Orsay, vous êtes sûr de passer même à 18%.
252 Parue dans le quotidien Letemps.ch – 17/01/11 par Tierno Monénembo