Esquissée dans un contexte politico-militaire volatile face aux besoins multisectoriels croissants , la présente analyse devra être comprise comme une contribution, sans doute modeste, à la nécessité pressante d‘identifier toutes les causes et les conséquence de la crise politico-militaire et postélectorale en Côte d‘Ivoire, les mécanismes et les stratégies de coordination, de plaidoyer et de réponses mises en place pendant cette période , leur points forts, leurs points faibles et leur valeur ajoutée ainsi que les leçons tirées de la gestion de la de la crise ivoirienne pour la Cote d‘Ivoire, la sous-région et tout le continent africain.
Elle aura également permis d‘identifier et d‘analyser toutes les stratégies ainsi que toutes les mécanismes de coordination, de plaidoyer et de réponse humanitaires, politiques, diplomatiques, socioreligieuses et judiciaires utilisées durant la phase de transition politique ,humanitaire et postélectorale, y compris l’analyse de l’évolution des indicateurs, des points de repère et des défis de cette période.
Nous pensons cependant avoir essayé de relever l’un des paradoxes le plus important qui caractérise la période de la transition politico –militaire et humanitaire, à savoir la difficulté de mettre en place la stratégie et les mécanisme commune de coordination, de plaidoyer et de réponse aux besoins multisectoriels pressant, tout en prenant en compte les facteurs externes et internes dont les effets sont souvent imprévisibles.
Comme conclusion générale, nous recommandons l‘exploration ou le renforcement de certaines solutions, notamment la transcendance des contradictions et le relèvement des vrais défis sociopolitiques et économique suivie d‘une solide réconciliation nationale.
Mais, pour quoi la réconciliation ?
En effet, « On ne se réconcilie pas avec son ami, mais avec son ennemi » dit-on. La réconciliation présuppose l‘existence de l‘ennemi, la haine de l‘ennemi et la volonté de le détruire. Cette réconciliation peut être interprétée de façons différentes, chaque interprétation pouvant donner lieu à des « politiques de réconciliation » particulières, alors qu‘elle porte des conditions exigeantes, dans le domaine militaire, politique et éthique, qui ne peuvent être mises de côté au risque d‘engendrer une réconciliation fictive(275).
L‘idée de base de notre affirmation est qu‘en plus des problèmes existant avant les violences post électorales, ces dernières sont venues provoquer d‘autres expériences encore plus dramatiques : des milliers de morts, des disparus, des déplacés, des veuves et des orphelins, des communautés totalement exclues, des esprits habités par la peur, traumatisés, des liens sociaux entièrement rompus par la méfiance réciproque…
Comment alors, dans de telles conditions, mettre en oeuvre une politique de réconciliation ? La réconciliation resterait-elle difficile en Côte d‘Ivoire car il s‘agit d‘un conflit interne qui avait perduré depuis une décennie ? Ces deux questions sont nécessaires mais apparaissent difficiles.
Il faut donc les procédures de construction de l‘ennemi. Comment la société ivoirienne a-t-elle pu en arriver là ? Comment une grande partie de la population a-t-elle pu se haïr jusqu‘à prendre des armes pour « tuer ou s‟entretuer » ? Les conflits sont le fruit d‘une construction complexe. Pour réconcilier, il est nécessaire de comprendre les éléments qui ont entrainés la guerre. Nous prenons en compte ici deux de ces éléments qui nous semblent importants pour comprendre le conflit interne ivoirien, à savoir :
• La construction de l‘image de l‘autre en tant qu‘ennemi dans l‘imaginaire des groupes en conflit (crises identitaire et politique);
• Le développement de la peur de l‘autre pouvant conduire à la haine de l‘autre.
Cette double procédure, on le voit bien, constitue un système symbolique précis : pour être capable de tuer, l‘homme a besoin d‘une raison ultime, d‘un sens, lui permettant de justifier son action. Cette justification est d‘autant plus efficace lorsque celle-ci est sacralisée. Comment les violences des rapports sociaux ont été construites en Côte d‘Ivoire ? La construction de l‘image de l‘autre en tant qu‘ennemi trouve son aboutissement et sa réussite dans la destruction de l‘ennemi. Cette tâche semble plus efficace lorsqu‘un groupe se donne les moyens au nom de la démocratie pour combattre les autres groupes opposés. La violence au nom de l‘embrigadement de certains groupes va alors entrée en jeu (comités d‘autodéfense, milices, syndicats ou associations de jeunes, etc.).Face à une société qui recherchait le respect des droits humains, la démocratie, la justice sociale, l‘Etat va utiliser des moyens de répression. Et la rébellion armée va l‘accroître en 2002. La « spirale de la violence » était ainsi mise efficacement en oeuvre.
Le conflit armé avait finalement abouti à la violation de la distinction juridico-militaire entre combattants et civils. D‘une part, la répression militaire s‘appliquait aux combattants ainsi qu‘aux populations civiles qui pouvaient paraître suspectes de sympathiser avec eux. Les disparitions, la torture et les assassinats, étaient des pratiques utilisées. D‘autre part, les combattants s‘attaquaient certes à l‘armée et aux institutions étatiques mais aussi à des civils accusés d‘être des collaborateurs ou tout simplement d‘appartenir au groupe adverse. Pour ce faire, la société civile, quant à elle, se trouvait prise au piège entre les camps belligérants. Les parties en conflit avaient ainsi imposé à cette société ivoirienne la violence comme seul moyen de répondre aux conflits sociaux, voire de vivre ensemble.
Par conséquent, la violence avait pénétré les institutions, les rapports sociaux et les esprits d‘une population qui n‘avait nul droit à la négociation, aux consensus, à la tolérance, au respect des différences ni à la gestion pacifique des conflits. La violence était devenue l‘institution sociale la plus importante et d‘ailleurs, celle-ci englobait et déterminait l‘ensemble des rapports sociaux.
Les groupes en conflit étant considérés comme réels, différents et ennemis, il fallait un élément symbolique fort, capable de légitimer, justifier et donner du sens à la volonté de « détruire l‟ennemi » par l‘utilisation de la violence par le biais des éléments religieux et identitaire. C‘est ainsi que les groupes en conflit vont trouver des éléments nécessaires à la sacralisation de la violence à venir.
Les démarches précédentes avaient servi à constituer les groupes en conflit qui se percevaient comme des ennemis mortels. Ceux qui avaient les moyens de la répression utilisaient un mélange de facteurs idéologiques, ethniques, militaires, religieux, éthiques, etc. Ici nous sommes bien dans le domaine des croyances et des valeurs, de l‘éthique et c‘était là que l‘avenir de la guerre se joue. Cette situation avait eu un double impact au niveau éthique. Par le biais, d‘abord, du développement d‘un sentiment de haine envers l‘autre. Et là, nous sommes sur le terrain éthique du Bien et du Mal. C‘est lorsqu‘une personne considère l‘autre comme son ennemi, comme représentant le mal, que cette personne devient capable de tuer l‘autre. C‘est le chemin classique pour expliquer l‘utilisation de la violence contre l‘autre. Cependant, en Côte d‘Ivoire, l‘éthique avait été touchée plus profondément (mensonges, parasitisme social, clichés sociaux de l‘ennemi, etc.) suivi du développement d‘un mépris de la vie d‘autrui. Nous sommes ici sur le terrain de l‘absence d‘éthique .C‘est lorsqu‘une personne est désormais indifférente au Bien et au Mal et qu‘elle n‘a plus de repères éthiques, que cette personne devient capable de tuer l‘autre, pour des raisons importantes ou pas, peu importe !
La violence avait tellement pénétré les rapports sociaux que les repères éthiques des individus avaient été totalement brouillés. Sans conscience de la valeur de la vie, sans motivation pour le bien et sans peur du mal, n‘importe quelle personne peut devenir meurtrière. Si la puissance de la haine peut pousser à tuer l‘autre, le mépris de la vie peut également amener à éliminer autrui. Le dédain absolu vis-à-vis de la vie de l‘autre était devenu en Côte d‘Ivoire beaucoup plus destructeur que la haine de l‘autre. Cette indifférence absolue à la dignité de chaque personne et à la valeur de la vie restait au plus profond des sociétés, même lorsque des accords de paix avaient été signés et que, officiellement, la paix avait été entamée.
Mais, au vu de toute cette problématique, quelle est alors la réconciliation appropriée au cas de la Côte d‘Ivoire ?
L‘approche de la religion sur la réconciliation repose sur la croyance fondamentalement correcte qui fait que tous les individus sont des pécheurs aux yeux de Dieu et qu‘ils sont appelés à se repentir et à recevoir le pardon et une vie nouvelle dans leur croyance. Le glissement fatidique survient quand cette croyance fondamentale est associée à un accent presque exclusif sur la moralité privée conçue comme la conséquence éthique de la réconciliation d‘une personne avec Dieu et à une position strictement apolitique basée sur la conviction que les institutions religieuses et l‘Etat ont des sphères d‘autorité distinctes.
La réconciliation revêt alors une signification théologique et personnelle, mais ne revêt pas une signification sociale plus large. Les « âmes » sont désormais réconciliées avec Dieu et les personnes se réconcilient entre elles mais le monde social plus large, infesté par les querelles, est plus ou moins laissé à ses propres moyens. C‘est ce qui explique la noblesse de l‘idée de création d‘une « Commission vérité et réconciliation » après des crises profondes issues de conflits armés dans un pays.
La réconciliation nationale n‘est donc pas une démarche occasionnelle, ni individuelle. Elle constitue une étape essentielle dans la construction d‘un Etat endommagé, une modalité institutionnelle pour la paix. D‘ailleurs, Léopold Sédar Senghor avait estimé « qu‟une notion ne se forme plus à coups de canon, ni de bombes. La seule conquête qui soit efficace… est celle des coeurs ». Il s‘agit d‘une réconciliation du peuple envers lui-même pour dépasser les crises et conflits armés.
Lors de toute initiative de pacification et de reconstruction de la paix, l‘un des enjeux majeurs a trait aux procédures de déconstruction de l‘ennemi, condition essentielle pour parvenir à une véritable réconciliation. Parce que l‘on ne se réconcilie pas avec l‘ami mais avec l‘ennemi, la réconciliation consiste précisément à faire que l‘autre ne soit plus perçu comme un ennemi. Dans toute histoire de violence se pose le problème de la réconciliation comme base pour la construction d‘un avenir différent. Il s‘agit, en effet, de faire de l‘ennemi héréditaire, un ami ou un associé, afin de construire ensemble un avenir commun.
Au vu de toute l‘argumentation ci-haut, le mot « réconciliation » en Côte d‘Ivoire devrait alors poursuivre les trois objectifs majeurs suivent :
• la pacification des rapports sociaux et la cohésion sociale ;
• la reconstruction nationale et la bonne gouvernance ;
• l‘éthique et la moralisation de la vie publique.
La réconciliation nationale devrait faire l‘objet de deux mesures concrètes : en premier lieu, mettre en oeuvre des dialogues et des négociations entre les parties en conflit ; en deuxième lieu, instaurer dans le pays une « commission nationale de vérité et réconciliation ».
En général, la « réconciliation nationale » doit être marquée, dès son origine, par une approche très précise axée sur le typique « vérité/ justice/ négociations ». De ce point de vue, dans une société en reconstruction, la restauration de la justice reste fondamentale. En ce sens, la fonction de la commission est certes de favoriser la réconciliation entre les grands ennemis, mais aussi de renforcer les bases de la cohésion sociale entre les communautés, par le biais de la « réconciliation nationale ».Cette commission aura pour mission de collecter le témoignage des victimes, d‘entendre les agresseurs, leur permettre de dévoiler la vérité sur leurs actes et parfois de décider de la publicité des débats par les moyens de communication. Ceci permettra aux agresseurs de se purifier et aux victimes de connaître la vérité et de les soulager. D‘ailleurs, en Afrique du Sud, «l‟amnistie juridique n‟a été accordée qu‟en échange de la vérité comme contrepartie d‟une forme de réparation morale». La reconnaissance des actes commis par les agresseurs constitue une thérapie psychologique importante. Elle a une vertu curative.
Par conséquent, le triptyque vérité/ justice/ négociations doit être fondée sur la vérité, la justice et négociations. Cette démarche exige la réalisation d‘un travail approfondi de recherche de la vérité concernant notamment les violations des droits de l‘Homme et les atrocités commises pendant les conflits afin de traduire les responsables en justice car une véritable réconciliation ne peut être construite sur l‘impunité. Une fois ce travail de mémoire et de responsabilisation juridique fait, la réconciliation pourrait être plus authentique sur la base de négociations à partir des repentis et pardons. De plus, cette démarche n‘exclut pas de construire davantage l‘avenir à partir du passé. Enfin, cette démarche doit être doublée d‘activités de plaidoyers et de sensibilisation des communautés par les leaders communautaires ou d‘opinion afin d‘éviter que des victimes se sentent en droit d‘entamer des actions de vengeance.
Pour le cas de la Côte d‘Ivoire, la justice devrait redorée son image à travers sa réforme avant d‘engager au nom de la réconciliation des négociations (après le repenti ou le pardon) des personnes mises en cause et privilégier ainsi la construction de l‘avenir sur des bases justes et saines. Enfin, les négociations avec les personnes mises en cause et leurs victimes permettraient de consolider la cohésion sociale et le vivre ensemble communautaire.
La société civile ivoirienne, devrait trouver dans la mise en place de cette Commission vérité et réconciliation, un espace politique d‘organisation, d‘expression et de participation. A ce titre, la femme ivoirienne, devrait en être le fer de lance de par le rôle qu‘elle a toujours joué dans la société en tant qu‘éducatrice des générations à travers la transmission des valeurs. A cet effet, la femme devrait être fortement impliquée dans cette démarche car elle représente après tout la première médiatrice dans les communautés. De surcroît ; la femme et les enfants qui sont les premières victimes des conflits armés, ont toujours payé un lourd tribut au prix de leur vie et de leur corps (viols, esclaves sexuels, etc.).
Il est important de souligner que la société civile ivoirienne devrait de plus en plus s‘engager dans la lutte pour la justice sociale, la démocratisation du pouvoir, le respect des droits humains et la construction de la paix. Ces quatre éléments constituent un ensemble cohérent et un projet de reconstruction nationale donnant ainsi un sens à la société à peine sortie de la guerre.
Quelles sont alors les pièges à éviter après la chute de Laurent Gbagbo(276)
Même si en avril 2011, la défaite militaire du camp du président sortant et battu dans les urnes, Laurent Gbagbo, avait mis fin à l‘incertitude, la Côte d‘Ivoire était toujours traumatisée par le dénouement sanglant de la bataille pour le fauteuil présidentiel en fin d‘année 2011.
La relance économique et les indices d‘une meilleure gouvernance prônée par le nouveau pouvoir doivent être reconnus, mais il est encore trop tôt pour proclamer que la longue crise politique est terminée. Le président Ouattara et son gouvernement doivent alors résister à au moins quatre tentations dans les années à venir.
Résister à la tentation de gouverner seul : Boycottées par le parti de l‘ancien chef d‘Etat, le Front Populaire Ivoirien (FPI), les élections législatives du 11 décembre 2011 avaient consolidé le pouvoir du président Ouattara. En effet, son parti, le rassemblement des républicains (RDR), avait obtenu la majorité des sièges, suivi de loin par le Parti démocratique de Côte d‘Ivoire (PDCI) de l‘ancien président Henri Konan Bédié. Le camp Ouattara, et en particulier les cadres influents du RDR, devraient avoir la victoire modeste et considérer l‘absence d‘enthousiasme des électeurs pour les législatives (le taux de participation avait été de 36 %) comme un indicateur de l‘ampleur des efforts à faire pour réconcilier les Ivoiriens avec la politique et les institutions démocratiques.
Si le parti présidentiel abuse de sa position dominante, il finira par se mettra à dos une partie du PDCI et sera vite isolé sur la scène politique ivoirienne, d‘autant plus que Bédié, dont la carrière politique tire à sa fin, aura de moins en moins de prise sur son parti. La perception qu‘aura alors du régime Ouattara une partie non négligeable de la population ivoirienne sera celle d‘un pouvoir nordiste animé d‘un esprit de revanche. Pour couper l‘herbe sous le pied des extrémistes de tous les camps, le gouvernement et la nouvelle Assemblée nationale devront associer l‘ensemble des forces vives du pays, notamment les organisations de la société civile et les partis non représentés au parlement, à un dialogue national sur les réformes nécessaires à la consolidation de la paix et de la sécurité.
Résister à la tentation de bâcler la réforme des forces armées : Le lancement de la réforme du secteur de la sécurité est la priorité parmi les priorités. Conséquence du violent conflit postélectoral mais aussi de la très longue déstructuration des forces ivoiriennes depuis une quinzaine d‘années, l‘armée, la police et la gendarmerie restent toujours confrontées à d‘inquiétantes divisions, à un déficit de moyens et à un profond déséquilibre hiérarchique. Apres la chute de Gbagbo, les hommes issus des Forces nouvelles continueraient de garder l‘ascendant sur les éléments issus des anciennes forces régulières. Les chefs militaires de l‘ex-rébellion auraient gardé autour d‘eux leurs hommes les plus fidèles et les plus aguerris qui se soustraient à la hiérarchie classique et continueraient à s‘adonner à des activités économiques illicites.
La vision que les anciens responsables politiques et militaires de la rébellion auraient de la réforme de l‘armée aurait peu de chances de coïncider avec l‘impératif de formation de forces républicaines qui soient au service de la stabilité du pays et de la sécurité des populations. Le nouveau régime devrait s‘engager personnellement dans le règlement des questions de sécurité et mobiliser l‘assistance technique et financière ainsi que le soutien politique des partenaires africains, des Nations unies, de l‘Union européenne et des Etats-Unis pour une réforme ambitieuse.
Résister à la tentation de la facilité dans les procédures judiciaires : Au cas où il n‘y aurait pas de réforme, la structure de l‘appareil de sécurité composée essentiellement de la partie vainqueur, serait un handicap pour l‘exercice d‘une justice impartiale. De ce fait ,la toute-puissance des anciens commandants de zone des forces nouvelles au sein de l‘armée en construction rendrait très délicate l‘arrestation de l‘un ou l‘autre des leurs dans le cadre d‘une enquête lancée par la justice ivoirienne ou par la cour pénale internationale sur les crimes graves qui avaient suivi l‘élection présidentielle de novembre 2010 et sur ceux de la période 2002-2010. La justice des vainqueurs aurait pour effet de perpétuer de fortes tensions sur la scène sociale et politique ivoirienne. Aussi difficile et périlleux que soit l‘exercice, la mise en oeuvre d‘une justice impartiale reste absolument nécessaire.
Le déficit de justice qui avait suivi plusieurs évènements très graves survenus depuis la transition militaire de décembre 1999, puis l‘élection du président Gbagbo en octobre 2000, aurait permis aux auteurs directs ou indirects des crimes les plus odieux de rester sur la scène publique et d‘y accroitre leur influence. Le pays ne pourra sortir de ce cycle meurtrier si les procédures judiciaires nationales et internationales oublient certains acteurs politiques et militaires présumés coupables de graves crimes, ce qui reviendrait à oublier également une partie des victimes. Dans les années qui viennent, il faudrait que le nouveau pouvoir prenne le risque d‘honorer les engagements pris dans le domaine de la justice. Les partenaires de la Côte d‘Ivoire devraient alors l‘y encourager et l‘y aider.
Résister à la tentation d’une croyance excessive aux recettes économiques classiques : Le développement économique sur une longue période est à coup sûr un puissant facteur de stabilité et de paix. Apres la chute de Gbagbo, l‘économie ivoirienne aurait redémarré et le pays afficherait à nouveau de grandes ambitions régionales. Il reste évidemment trop tôt pour mesurer l‘impact de plusieurs programmes ambitieux lancés depuis la chute de Gbagbo. La disposition bienveillante des bailleurs serait toujours de mise avec de nouvelles promesses de prêt et d‘annulations de dettes, encouragée par les signes réels de rupture dans la gouvernance sous l‘impulsion d‘un nouveau pouvoir, a la tête duquel se trouve un président qui a toujours misé avant tout sur ses compétences en matière économique. Mais ces signaux économiques prometteurs, dont il faut espérer qu‘ils se traduiraient bientôt en créations importantes d‘emplois pour occuper une jeunesse sacrifiée depuis deux décennies, ne seraient pas suffisants pour garantir une stabilité durable.
Il faudra faire accompagner la mise en oeuvre des recettes traditionnelles visant à accélérer la croissance économique d‘une dimension politique et réconciliatrice. Le nouveau pouvoir devrait regarder vers l‘ouest de son pays, notamment la région du Moyen-Cavally à la lisière du Liberia. Dans cette région où avaient émergé et proliféré les milices d‘autodéfense pro-Gbagbo après la rébellion de septembre 2002. Le désarmement des jeunes hommes ne pourra réellement se faire qu‘en manipulant astucieusement la carotte et le bâton. Les autorités ivoiriennes devraient y entreprendre un plan de réhabilitation des villages détruits pendant le conflit et de construction de voies de transport et montrer qu‘il a une vision économique pour la région tout en travaillant avec le Liberia à l‘établissement d‘un espace de co-développement comprenant l‘Ouest ivoirien et l‘Est libérien.
Quelles sont des es erreurs à ne plus commettre ?
Même si le pardon se nourrit de vérité, l‘on devrait faire en sorte de ne pas refaire les mêmes erreurs(277).
Comme lors du second tour des présidentielles en novembre 2010, une grande partie des Ivoiriens était en train de donner dans ce jeu malsain du « bien et du mal ». On se souvient qu‘à cette époque, Alassane Ouattara incarnait « le mal » et Laurent Gbagbo « le bien ». Et, l‘on se souvient d‘ où tout cela avait conduit. Car, l‘on était sans même s‘en rendre compte, en train de reproduire le schéma manichéen et machiavélique qui avait été mis en place et véhiculé par le pouvoir d‘antan. La seule différence, c‘était que le camp du « bien » était représenté aujourd‘hui par le RHDP et ses alliés et celui du « mal » par le FPI et la LMP. Certes, il était légitime de manifester sa joie à la chute de ceux qui avaient été les bourreaux pendant toute une décennie.
Une décennie pendant laquelle, certains ivoiriens auraient eu plus d‘ivraie que de blé, connu des vertes et des pas mûres, bu parfois la coupe de la cigüe. Mais là où le bât blesse, c‘est lorsque cette joie commençait à déborder au point de gêner, de mettre mal à l‘aise, de créer l‘amertume, la colère, réveiller la rancoeur pire, susciter la haine chez certains des frères ivoiriens, des parents, des amis…du peuple. Que cela ne se reproduise plus jamais en Côte d‘ivoire ou partout ailleurs!!
Bref ,sur base de tous les enjeux identifiés et analysés dans cette thèse, nous nous permettons d’affirmer sans aucun doute que le retour à la paix, la transcendance et relèvement de vrais défis politiques, économiques et sociaux suivi du redressement et de la reconstruction économiques d’après crise sont une base nécessaire pour le développement durable du pays et de la sous-région.
Nous n’aurons pas la prétention d’avoir analysé exhaustivement tous les enjeux, indicateurs et défis de la transition politico-militaire et postélectorale en Côte d‘Ivoire, vu que de nombreux aspects qui méritaient un approfondissement auraient été certainement survolés. La recherche doit alors se poursuivre afin d’embrasser tous les aspects de l’exercice.
275 Eburnews (Côte d‘Ivoire) – 03/05/11 par Mme Touré Diabaté Ténin, Enseignante Chercheur, Formatrice en négociation, médiation et résolution des conflits. Auteure de l‘ouvrage : Genre et Construction d‘une paix durable en Afrique : Comprendre pour vaincre la violence et la haine dans les sociétés ouest-africaines, Editions du CERAP, Septembre 2010, Abidjan. Présidente du Réseau des Femmes Musulmanes d‘Afrique-Section Côte d‘Ivoire (REFMA-CI).
276 Cette question est très bien élaborée dans l‘analyse de Gilles Olakounlé Yabi parue dans le quotidien Le Démocrate le 27/12/11.Gilles Olakounlé Yabi dirige le projet Afrique de l‘Ouest de l‘International Crisis Group. Il analyse pour SlateAfrique les conditions de la sortie de crise en Côte d’Ivoire.
277 L’intelligent d’Abidjan (Côte d‟Ivoire) par Marie-Laure Ayé – 05/05/11