Le placement sous surveillance électronique est fortement développé par l’Administration Pénitentiaire depuis 2002 comme explicité supra. Avec la loi pénitentiaire de 2009, il s’est étendu aux fins de peine, pour les détenus auxquels il reste moins de quatre mois de détention à effectuer, comme modalité d’exécution de peine avec la SEFIP(41) et comme alternative à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire avec l’ARSE(42).
L’ARSE consiste à imposer à la personne mise en examen l’obligation de demeurer à son domicile ou dans une résidence fixée par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention, et de ne s’en absenter qu’aux conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat. Afin de contrôler à distance le respect de cette obligation, celle-ci est exécutée sous le régime du placement sous surveillance électronique prévu par l’article 723-8 du code de procédure pénale.
La personne peut, en outre, être astreinte aux obligations et interdictions du contrôle judiciaire prévues par l’article 138 du Code de Procédure Pénale.
Cela a des conséquences sur la mise en oeuvre pratique des PSE pour les CPIP. En effet, cette pratique, en se simplifiant, a aussi accentué la rapidité de la réponse attendue et la quantité d’écrits professionnels (demande de changements d’horaires, demandes d’aménagement de peine, permissions de sortie) :
F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans d’ancienneté
: « Compte tenu des différentes réformes, moi, j’ai le sentiment qu’on fait de la gestion de stock, de la gestion de flux et qu’on s’attache moins, qu’on a moins de temps pour faire de l’individualisation de la peine, voilà ; la question du contrôle, enfin l’idée du contrôle et de l’accompagnement socio-éducatif, c’est ce qu’on fait encore un peu, mais le fondement, ça reste toujours du contrôle social, même si c’est du contrôle à travers une mesure de justice ».
F, 42 ans, CPIP, 2 ans d’ancienneté
: « Car pour eux, c’est la mesure phare, c’est la mesure qui coûte moins d’argent qu’une incarcération, moins d’argent qu’une semi-liberté et que les parquets semblent extrêmement ravis de cette mesure, ce critère qui pour moi, me semblait important, il vole complètement en éclat ; et comme y a pas de discussion, il n’y a pas eu établissement d’un corpus de critères d’évaluation, et c’est le propre de toute de l’administration pénitentiaire je pense ; moi je suis bien d’accord que la grande mode, c’est le déclenchement de la LOLF, et puis dans tous les secteurs de la recherche, ça se fait, c’est évaluer ; à chaque fois que c’est de l’argent public qui est mis sur un projet, il doit être évalué».
La proposition d’une SEFIP est systématisée car seul le parquet peut refuser le bracelet aux détenus. Le CPIP instruit mais ne propose plus. Il est, de fait, placé dans une situation d’exécutant, du fait de la distinction minime entre aménagement de peine et exécution de peine introduite par la Loi Pénitentiaire.
Aussi, le placement sous surveillance électronique devient une modalité d’exécution de peine, dissociée de toute notion de projet le justifiant en termes de réinsertion sociale :
F, 40 ans, CPIP, 9 ans d’ancienneté
: « On est dans des réponses immédiates, ça va trop vite ; là , je suis en milieu fermé, je dois répondre essentiellement à des permissions de sorties, à des aménagements de peine ; y a pas vraiment de suivi social entre guillemets ; tu fais le quartier arrivants, effectivement, tu joins les familles et après, il n’y a plus rien, et après, tu te focalises sur la sortie, quoi, tout ce qui est la préparation de la sortie, donc t’as pas vraiment le temps ; là, tu reçois des personnes, on doit mettre en place des mesures, ça va trop vite ».
F, 54 ans, Assistante sociale, 20 ans comme assistante sociale, 14 ans comme CPIP
: « Il y a une proposition endémique du PSE mais ça demande de la préparation en amont, faut que la famille soit prête ; toute la famille vit la condamnation, donc, ça doit être préparé, sinon, ça marche pas ».
Il apparaît que la frontière entre rôle de proposition et fonction d’exécution soit ainsi rendue poreuse du fait de l’utilisation massive du placement sous surveillance électronique pour des fins différentes. Ce caractère mal défini des missions semble également affecter d’autres groupes professionnels.
S’agissant des Conseillers Principaux d’Éducation de catégorie A, il est constaté « des activités multiples allant de l’exécution à la conception, des contours flous de l’activité… ne permettant pas que s’organise une forme de marché professionnel interne sur le modèle enseignant… et rendant à nouveau possible une captation pour des tâches administratives » [DEMAZIERE, GADEA, 2009, p156]. Un mouvement similaire semble advenir dans le cas des CPIP, la mise en oeuvre du placement sous surveillance électronique étant normalisée et accélérée :
H, 51 ans, CPIP, 25 ans d’ancienneté
: « J’ai l’impression qu’on va vers une simplification des tâches ; on a le sentiment qu’on va vers la mise en place de fiches, qu’on aura plus qu’à mettre des croix dans les cases : je vois ça au niveau de la maison d’arrêt. Quand on fait les arrivants, il y a recours à des questionnaires où les questions ont été pensées pour nous.
Ça ne me paraît pas très compliqué de le faire, pas besoin d’être CIP, suffit de savoir lire et écrire. Je pense que la matière grise sera réservée à la hiérarchie pour concevoir ».
H, 27ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté
: « Ben, ça s’est beaucoup simplifié, vu le changement de matériel Là, ça devient très basique, il y a deux ou trois questions techniques à poser, après bien sûr le diagnostic de la situation ; mais si, au terme de l’entretien, j’arrive à la conclusion que c’est le plus approprié, et bien il y a quelques questions techniques à se poser, j’évalue si nécessaire de se rendre au domicile ; donc, c’est y aller pour des cas très particuliers ; quand même, il y a une situation familiale un peu compliquée, mais bon, c’est de plus en plus rare et sinon, j’essaie de voir sur un plan médical si c’est adapté ; après, c’est la transmission, la finition du rapport au chef de service qui transmet au service de l’application des peines ».
Ce rabattement progressif vers des fonctions d’exécution concernant la mise en oeuvre des placements sous surveillance électronique est donc un obstacle au processus de professionnalisation des CPIP et les inscrit dans une pratique de type actuariel. Nous entendons par actuariat l’ensemble des techniques qui « permettent aux décideurs pénaux de rendre compte de leur action facilement, sans mettre en danger le système pénal ».
Ces techniques « sont simples puisqu’elles ne nécessitent pas de clinicien qualifié, mais se réduisent à l’application directe d’une équation aux données » [SLINGENEYER, 2007, p17]. Dans le cas des CPIP, il s’agit de s’assurer que techniquement, la pose du bracelet électronique est possible, indépendamment de la situation sociale et pénale de la personne. Ainsi, c’est seulement dans la proposition du placement sous surveillance électronique aux Juges de l’Application des Peines que les CPIP gardent leur spécificité et leur magistère sur l’évaluation de la situation sociale et pénale de leur public.
41 L’article 84 de la loi pénitentiaire prévoit la généralisation du placement sous surveillance électronique en «fin de peine» pour toutes les personnes incarcérées ne remplissant pas les conditions pour bénéficier d’un aménagement de peine classique. Ce sont des personnes dont le reliquat de peine est inférieur à 4 mois et initialement condamnées à une peine inférieure ou égale à 5 ans. Sauf impossibilité matérielle, refus du détenu, risque de récidive, incompatibilité entre la personnalité de la personne condamnée et la nature même de la mesure, cette mesure de PSE deviendra ainsi une modalité d’exécution de la peine comme une autre. Une expérimentation de ce PSE fin de peine a eu lieu entre octobre 2008 et janvier 2009. Il apparaît que sur 1347 dossiers répondant aux conditions juridiques d’éligibilité, 15,3% ont finalement abouti à une mesure de PSE. Pour la première fois, il s’agit de dire que l’exécution de la fin d’une peine d’emprisonnement se fait sous une autre modalité que celle de l’enfermement en établissement pénitentiaire classique. Autrement dit, la sortie sous PSE n’est pas conçue comme un aménagement de peine venant valider la présentation d’un projet voire venant récompenser un comportement positif. Il s’agit bien d’une modalité classique d’exécution dans un objectif de progressivité de la peine, rebaptisée pour l’occasion Surveillance Électronique de Fin de Peine (SEFIP).
42 Conformément aux dispositions de l’article 142-8, qui renvoie aux articles 139, 140, 141-2 et 141-3 sur le contrôle judiciaire, les obligations de l’ARSE peuvent être modifiées et la mainlevée de la mesure peut être ordonnée à tout moment par le juge d’instruction ; en cas de violation de ses obligations, la personne sous ARSE peut faire l’objet d’un mandat d’arrêt ou d’amener et être placée en détention provisoire ; en cas de révocation de la mesure, la durée cumulée de la détention peut excéder de quatre mois celle prévue par les articles 145-1 et 145-2. D’une manière générale, l’article 142-12 prévoit que les juridictions d’instruction et de jugement peuvent prononcer, comme mesure alternative à la détention provisoire, une assignation à résidence avec surveillance électronique dans les cas où elles peuvent prononcer un contrôle judiciaire (notamment dans le cas prévu par l’article 397-3 en matière de comparution immédiate) et que l’ARSE peut être levée, maintenue, modifiée ou révoquée par les juridictions d’instruction et de jugement selon les mêmes modalités que le contrôle judiciaire. L’article 93 de la loi pénitentiaire a par ailleurs complété les différentes dispositions du code de procédure pénale prévoyant la possibilité de placement sous contrôle judiciaire afin qu’elles visent également le placement sous ARSE.
L’ARSE peut être renouvelée pour une même durée de six mois à trois reprises, la durée totale de la mesure ne pouvant dépasser deux ans. Chaque renouvellement exige la tenue d’un débat contradictoire. Il est par ailleurs prévu par l’article 142-9 qu’avec l’accord préalable du juge d’instruction, les horaires de présence au domicile ou dans les lieux d’assignation peuvent, lorsqu’il s’agit de modifications favorables à la personne mise en examen ne touchant pas à l’équilibre de la mesure de contrôle, être modifiés par le Chef d’établissement pénitentiaire ou le Directeur du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation qui en informe le juge d’instruction.
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