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Section 2- Dépassement des contraintes opérationnelles :

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L’examen des projets de lois de finances n’est pas une fonction qui suscite beaucoup de fierté auprès de beaucoup des parlementaires car le processus d’examen de la loi de finances n’est pas adéquat et l’examen des prévisions est un exercice parfaitement futile. En plus, le parlement et ses membres sont réduits à un rôle très marginal dans le processus financier du gouvernement puisque les débats ne sont guère fructueux et ceux de l’opposition ne portent pas en soi sur le projet de loi de finances.

Ils sont juste une occasion pour les partis politiques de l’opposition de mener des débats politiques sur les sujets de leur choix. De ce fait, le parlement est en réalité une simple chambre d’enregistrement puisqu’il n’influence guère le contenu de la loi de finances(227).

Cet état de chose est dû aux différentes contraintes opérationnelles liées à l’inadéquation des capacités institutionnelles au niveau des ressources, des structures et des procédures(228) . Alors, que partout dans le monde, depuis la montée de la technocratie et au fur et à mesure que la vie économique se complique, le budget devient un document techniquement inaccessible aux assemblées(229). De ce fait, pour que le parlement puisse faire la politique de ces moyens et avoir les moyens de sa politique(230). Il nous semble légitime de s’interroger s’il est suffisant de mettre en place un système normatif, des procédures et des institutions ? Ou bien, fallait-il que ces normes soient dotées des moyens humains, matériels et logistiques ainsi que de la volonté politique pour qu’elles soient efficaces ?

Dans cette optique, pour qu’elle soit efficace l’institution parlementaire doit s’orienter vers un débat expert (§1), doit se doter des moyens techniques et logistiques suffisants (§2), ainsi que d’assurer un contrôle efficace des différentes formes de débudgétisation (§3).

§1 : Insuffisance de l’approche experte du débat :

L’efficacité de l’approche de l’examen financier auquel se livre les représentants de la nation doit, en soi, être une alliance entre deux logiques différentes mais complémentaires : une logique qui privilégie l’approche politique de la loi de finances et une logique d’expert qui doit se baser sur le professionnalisme(231), la raison , la suprématie du droit et la négociation constructive.

Ce faisant, le parlement est convié à renoncer aux clichés vétustes qui caractérisent souvent le débat et promouvoir l’expertise technique nécessaire (A), combattre des phénomènes qui réduisent l’efficacité de l’institution législative au Maroc, ainsi que déployer de grands efforts pour perfectionner l’expertise technique (B).

A- LE RENONCEMENT AUX CARACTERES VETUSTES ET SPECTACULAIRES DES DEBATS :

L’examen du projet de LFA fait souvent l’objet d’une critique répondue selon laquelle « le processus n’est pas pris au sérieux, il est politisé à outrance, et les parlementaires ne consacrent pas assez de temps ni d’attention aux dépenses des fonds public, etc. (232)». La même critique est partagée par les parlementaires eux-mêmes. Ces derniers reconnaissent que le parlement marocain n’atteint pas encore un stade de maturité technique pour pouvoir briser le marasme dans lequel il sombrait déjà. D’après diverses assertions, la discussion budgétaire va au contre- courant d’un débat efficace et consistant et cela est dû au comportement ostentatoire des députés (1) et au pari électoral (2) qui réduisent la portée experte du débat parlementaire.

1- Le comportement ostentatoire des députés :

Loin d’être une institution inerte, le parlement livre parfois un spectacle animé, riche en coup de théâtre et en suspens grâce au comportement spectaculaire des députés.

Cela a poussé certains auteurs à avancer que « l’hémicycle parlementaire sera par conséquent un lieu de représentation, non pas au sens de délégation mais au sens de spectacle(233)». Dans ce sens, on assimile le travail parlementaire à une prestation artistique relevant du théâtre car tous les éléments d’une représentation sont réunis : décor, acteurs, costumes…etc.

Toutefois, il faut reconnaître que c’est normal que le parlement soit le lieu privilégié des refoulements sociaux, des frustrations et des phobies car il est le lieu de confrontation des forces mouvantes d’un peuple, sous l’œil bienveillant des rites et des coutumes. En plus, il faut reconnaître que la participation aux débats parlementaires constitue une épreuve pénible pour les députés à cause des deux mois consacrés à l’examen et au vote du budget qui sont insuffisants pour analyser correctement les rubriques, combien vastes et variées de ce document. Les questions s’avèrent souvent interminables, les débats houleux se prolongent souvent jusqu’à une heure tardive de la nuit(234). De ce fait, l’examen et la discussion constituent une véritable course contre la montre dont la qualité importerait peu, pourvu que les coureurs passent dans le temps et franchissent la ligne d’arrivée.

En deuxième lieu, on cite la méconnaissance du parlementaire de son métier et le taux très élevé d’absentéisme lors des séances de commission car « les députés se manifestent souvent lors des séances des questions orales devant les caméras de la télévision ».

2- Le pari électoral:

Soucieux de l’avenir électoral et motivés par les ambitions variées, les parlementaires émettent un discours séducteur destiné à la masse des électeurs. C’est ainsi que les débats prennent un débat géographique du moment que les parlementaires, bien que représentants de la nation, se considèrent comme des avocats de leur circonscription et raisonnent en terme d’intérêts particuliers plutôt que par référence à l’intérêt général(235). Pour les uns comme les autres, certaines revendications communes (écoles, hôpitaux, éclairage…) semblent séduire les électeurs et constituent parfois pour les députés des chevaux de bataille pour les prochaines propagandes.

D’autre part, les débats prennent une dimension thématique, puisque devant l’handicap sur le plan technique et étant d’une culture générale moyenne ou faible(236), certains parlementaires manifestent un appétit spécial pour des thèmes particuliers, en l’occurrence les thèmes qu’ils maîtrisent. Et rares sont les députés polyvalents qui préfèrent les débats généraux. La majorité écrasante des députés investis dans les questions locales et particulières qui s’encrent dans le subconscient social(237).

Ces limites sont aussi liées aux mécanismes de renouvellement de l’élite parlementaire marocaine qui n’ont pas pu favoriser l’affermissement de la pratique parlementaire ni la naissance d’une élite de parlementaires connaissant parfaitement leur métier, maîtrisant les méandres et les subtilités des procédures parlementaires, œuvrant résolument pour la revalorisation de l’institution parlementaire(238) et la performance démocratique. Elles sont aussi liées au retard de l’élaboration de la loi de finances qui peut provenir soit du parlement lui-même, soit du gouvernement(239). Les tergiversations entre certains députés aggravent ce retard. En effet, évoquant « des problèmes locaux, voire de détail, les représentants interviennent pour parler de leur région et montrer à leurs électeurs qu’ils existent et faire droit aux intérêts les plus locaux, souvent plus individuels que collectifs(240)».

Ces limites qui semblent constituer les germes de la défaillance de l’action parlementaire en matière budgétaire, ne sont en réalité que des conséquences de l’interférence de plusieurs conditions. Dans ce sens, le parlement ne peut modifier profondément le projet de loi de finances sur le plan politique, une fois déposé, car cela correspondrait à un vote de question de confiance. D’autre part, il ya lieu de souligner le contraste entre la longueur de la procédure d’élaboration du projet de loi de finances et le caractère limité des modifications apportées par le parlement au texte d’origine figurant dans la loi de finances promulguée comme si la discussion de celle-ci était en quelque sorte verrouillée et que les parlementaires ont été mis à l’écart de l’élaboration du projet de loi de finances. Pourtant, le parlement est sensé décider du sort de l’argent du contribuable dans un laps de temps(241) (70 jours), alors que le gouvernement a pris tout son temps pour élaborer son projet de loi de finances(242).

Cela doit pousser les parlementaires à réfléchir en profondeur sur d’autres méthodes plus luisantes ou au moins ouvrir des pistes de réflexion par lesquelles il serait possible de réaménager le système actuel de discussion du projet de loi de finances.

B- Le perfectionnement de l’expertise technique :

Le passage d’un débat politique à un débat expert, au Maroc, exige le dépassement d’un certain nombre de contraintes sociologiques, institutionnelles et politiques, ainsi que doter l’institution des ressources humaines suffisantes, qualifiées et conscientes des exigences de la représentation nationale dans la mesure où la maîtrise de la matière financière par les parlementaires sous-tend l’expertise technique maîtrisée.

Dans ce sens, Comment serait-il que la majorité des élus, parfois analphabètes, saisissent le contenu et la finalité d’un document exclusivement technique et comptable comme le budget ?

Afin de mettre le projet de loi de finances dans son cadre stratégique, il faut lier les prévisions aux performances (1), appréhender les autorisations budgétaires en termes de performance par la proposition de nouveaux redéploiements (2), ainsi que combattre le phénomène d’absentéisme (3).

1- L a liaison des prévisions aux performances :

Pour lier l’examen des crédits aux termes de la performance, il est évident que chaque ministre comparant devant une commission devait être muni de documents présentant les principaux engagements en matière de résultats. Ces documents doivent contenir des indications sur les résultats et les produits que son ministère s’engage à fournir aux citoyens ; une indication sur les méthodes qu’utilisera le ministère pour montrer dans quelle mesure les résultats sont atteints, ainsi que des indications qui montrent aux parlementaires où s’adresser pour obtenir les informations sur la performance en matière de résultats réels.

Ce genre d’indication aiderait les commissions parlementaires à s’acquitter de nouvelles responsabilités et permettra d’évaluer les prévisions budgétaires des ministres à la lumière de leur performance antérieure d’une façon logique et au moment opportun.

D’autant plus, que l’accessibilité d’une information appropriée sur la performance devrait permettre un examen plus efficace du PLFA pour l’année à venir(243). Cependant, ce genre d’information ne serait que très peu utile quand les ministères envisagent des dépenses concernant de nouveaux programmes pour lesquels l’expérience passée est inutile ou inexistante.

En tout état de cause, il doit y avoir une présentation d’une information sur la performance au parlement qui permettra de faire les liens entre les dépenses et la politique quand ils examinent le projet du budget.

2- La proposition de nouveaux redéploiements :

La présentation du budget en terme de performance, ainsi que la concentration sur les résultats attendus permettra aux représentants de la nation d’avoir les instruments dont ils ont besoin pour avancer un jugement sur les dépenses prévus surtout que la majorité des élus n’ont pas les connaissances voulues pour évaluer les nouvelles orientations gouvernementales.

En dépit des insuffisances, il apparaît que le parlement a toujours la possibilité de contribuer de façon significative au processus de réorientation des programmes des Ministères. A cet égard, le parlement et le ministère chargé des finances peuvent aussi convenir sur un accord permettant aux parlementaires de mobiliser les moyens d’expertise techniques du ministère pour réaliser des simulations.

3- L’absentéisme :

Au Maroc, « on a relevé aussi bien au niveau de la législation que celui du contrôle, des lacunes, des insuffisances, des carences parfois graves dont l’absentéisme(244) chronique des députés représente l’aspect le plus choquant(245) ».

Conscient de ce fléau, les règlements intérieurs (RI) des deux chambres du parlement ont tenté de contenir l’absence des élus et de la sanctionner(246). Il faut mentionner que ces RI des deux assemblées prévoient des sanctions pécuniaires à l’absentéisme, « mais pratiquement aucune sanction n’est jamais prise (247)».

Dans cet ordre d’idées, D.KHOUDRY fait la distinction entre l’absentéisme technique et l’absentéisme tactique. Le premier est dû à l’objet et la qualité du débat au sein du parlement. De ce fait, « il est difficile d’exiger d’un parlementaire d’être attentif au débat d’une question orale dont le sujet est strictement particulier à une circonscription…(248) ». D’autrefois, l’absentéisme est lié à la lourdeur du débat houleux qui s’impose, « plus les débats sont longs, plus les discours se répandent peu, plus l’absentéisme sévit(249) ». Quant à l’absentéisme tactique, il est utilisé par l’opposition pour manifester son refus ou son mécontentement. Il s’agit d’une sorte de boycotte dont use l’opposition incapable de s’exprimer autrement.

De toute façon, l’absence systémique des élus sévit un peu partout dans le monde sauf dans les régimes où la majorité gouvernementale n’est pas très confortable et dont l’absence systématique et régulière de quelques membres pourrait faire basculer l’équilibre, au profit de l’opposition, pouvant saisir l’occasion pour faire voter les textes que la majorité aurait toujours refusé(250).

De tout ce qui a été avancé, il s’avère que le contrôle politique marocain lié au débat est besoin d’un environnement favorable pour un contrôle efficace de l’institution gouvernementale qui nécessitera l’émergence d’une opposition(251) parlementaire crédible qui accroît de manière significative la motivation des parlementaires à superviser le budget et à contrôler la gestion gouvernementale.

§2- Manque d’assistance technique aux parlementaires :

Du moment que l’élaboration et l’exécution des budgets publics étant des opérations techniques assez complexes, le parlement avec son manque de moyens humains et matériels(252) se trouve, même en la présence d’une volonté politique tangible, dans l’incapacité d’assurer un contrôle rigoureux de la dépense et de la recette publiques puisque « les députés sont délaissés à eux-mêmes sans collaborateurs ni bureau de personnels au sein du parlement ou dans leur propre circonscription. Ils manquent dans leur majorité de formation politique qui leur permet d’analyser les évolutions rapides qui affectent le champ politique national et international et de suivre les travaux des commissions compte tenu du degré de haute technicité que les textes à débattre exigent(253) ».

Ainsi, on assiste à une faiblesse des capacités de conseil du parlement marocain qui réside dans le manque d’une tradition de recours au conseil et à l’appui technique afin d’évaluer correctement les projets des lois de finances et les autres propositions gouvernementales(254). En effet, les moyens d’expertise sont inexistants face aux moyens dont disposent le ministère des finances et les ministères techniques(255). D’une manière générale, dans les pays en développement, les capacités d’analyse et de recherche des parlements en matière financière demeurent relativement faibles(256) ; cela est dû à l’absence de références techniques requises pour une évaluation rigoureuse et impartiale des projets de lois de finances ou des rapports produits par la cour des comptes. Au brésil, à titre d’exemple, un département de recherche composé de trente-cinq professionnels est mis à la disposition de la commission parlementaire des plans, du budget et de l’audit. La chambre basse du parlement dispose d’un bureau de conseil qui emploie 245 personnes, dont 190 sont des consultants spécialisés dans différents domaines des politiques publiques. La chambre hausse, quant à elle, dispose de son service de soutien composé de trois cent huit consultants. Ces professionnels sont recrutés à plein temps sur la base d’un examen de sélection et bénéficient des conditions les plus généreuses du service public. Au Mexique, la capacité de recherche et de conseil a été renforcée depuis la fin des années 1990 avec la création en 1998, au sein de la chambre basse, d’un centre d’étude des finances publiques (CEFP)(257). Ce centre comporte un service de recherche et d’analyse de la bibliothèque parlementaire et un institut de recherche législative de la chambre haute établie en 1985(258).

Le Maroc a voulu prendre la même situation en créant le bureau d’analyse du budget au sein de l’institution parlementaire qui avait pour objectif le renforcement du pouvoir du suivi et du contrôle budgétaire et financier et de faire face à la complexité et la technicité croissante du budget. Cependant, le fonctionnement dudit bureau est paralysé depuis 2009.

Il faut constater que la technicité croissante des problèmes met les gouvernements à l’abri du contrôle et de la censure des assemblées. Il est à constater, aussi, qu’il ya un glissement au profit des gouvernements du pouvoir dont le centre de gravité a été modifié par la technicité des problèmes socio-économiques(259). A titre d’exemple, ce glissement du à la technicité est remarquable en Belgique car le parlementaire quelque soit son dévouement n’est plus à armes égales à l’égard du gouvernement qui détient les dossiers et dispose de collaborations nombreuses(260).

Pour remédier à la situation, devant l’incompétence des élus, un expert en matière constitutionnelle et financière doit prendre place aux côtés du président des deux chambres du parlement pour expliquer aux élus le contenu de la constitution et les dispositions du règlement intérieur de la chambre, ce qui fut le cas au Koweït et dont l’avis est déterminant(261)en cas de discorde et de différend.

§3- Prolifération des formes de débudgétisation :

La débudgétisation est une opération financière par laquelle le gouvernement prévoit des ressources et des charges publiques en dehors du contrôle parlementaire et en marge de son autorisation(262). La politique de la débudgétisation est justifiée par les pouvoirs publics par la nécessaire remise en ordre des dépenses en fixant quelles sont les tâches qui doivent être assumées par l’Etat et celles qui devraient être laissées aux rétrocédés du secteur privé, ou même au secteur parapublic. Dans ce sens, l’inclusion ou l’exclusion budgétaire des opérations financières correspondantes n’est que la conséquence de ces choix. Cela veut dire qu’il y a débudgétisation dès lors qu’il y a report, allègement ou transfert du budget de l’Etat à un autre support budgétaire non législatif(263). De ce fait, est- elle une manipulation et une impertinence de la part du gouvernement visant à outrepasser et détourner le contrôle politique ?

En effet, une simple lecture de la nomenclature des comptes généraux de l’Etat conduit à constater que la loi de finances ne fournissait pas un tableau complet de toutes les actions financières de l’Etat. Différents types d’opérations peuvent s’inscrire en marge du principe d’exhaustivité et à l’abri du contrôle parlementaire. On peut évoquer, à cet égard, les fonds publics quasi- budgétaires (A) et certains cavaliers budgétaires (B).

A- Les fonds publics quasi- budgétaires :

Au sens générique du terme, les fonds publics quasi- budgétaires désignent les instruments d’action financière de l’Etat revêtant des formes diverses. Ils se caractérisent, avant tout, par leur fonction de relais financiers échappant aux principes orthodoxes de finances publiques. Ils constituent aussi d’importants facteurs de démembrement. Ces fonds sont caractérisés par leur diversité qui est l’essence même de ces derniers et qui est liée à leur caractère d’instruments spécifiques(264).

En effet, les fonds publics constituent une catégorie fonctionnelle dans la mesure où chaque fond se définit par la fonction qui lui est impartie et lui confère son originalité. Usuellement, plus la dénomination du fonds est longue et complexe plus sa fonction est étroite. Le fonds prend un caractère vertical et apparaît comme une technique d’individualisation des dotations. A l’inverse, les dénominations les plus longues recoupent les grandes missions de l’Etat et signalent des fonds importants à caractère horizontal. Il s’agit alors d’un regroupement de dotations financières en vue de coordonner les actions diverses. En tout cas, la raison principale de la création des fonds est l’affectation de certaines recettes telles que les prélèvements et les redevances(265).

Toutefois, étant crées sur mesure, ces fonds ont du mal à s’intégrer dans des modèles budgétaires bien définis. Les catégories de fonds plus ou moins réglementées voisinent avec des formes de fonds inédites ; on peut les qualifier de fonds extrabudgétaires. Ces derniers constituent un important facteur de démembrement et bénéficient « d’une individualité de fait » ; ils représentent ainsi une forme ébauchée de morcellement au sens de l’altération portée à l’impérative d’une appréhension globale des finances de l’Etat. Ils sont également, dans leur majorité, le lieu d’une gestion financière hétérodoxe qui se révèle à la prise en compte des enjeux financiers qu’ils présentèrent.

Le repérage et le recensement de certains fonds extrabudgétaires qui se sont développés au Maroc depuis le protectorat s’avère comme une tâche assez difficile. La non accessibilité à certains comptes est justifiée par leur caractère de « politiquement sensibles », ils sont entourés de secret et de confidentialité. De ce fait, il semble que les données sur ce genre de fonds ou même les fonds publics en général faisaient cruellement défaut(266).

B- Les cavaliers budgétaires :

Les cavaliers budgétaires sont les dispositions qui ressortent normalement du domaine de la loi de finances, mais qui demeurent étrangères pour celle-ci. Il s’agit en l’occurrence des dessaisissements des autorités ministérielles de certaines responsabilités en faveur des agences paraétatiques (1) et le cas de certaines opérations déréglementées (2).

1- Le dessaisissement des autorités ministérielles de certaines responsabilités en faveur d’organes paraétatiques :

Concernant la prise de décision, on assiste de plus en plus à un dessaisissement
partiel des autorités ministérielles au profit d’organes, dont les règles de gestion financières dérogent aux principes budgétaires dans le but d’assurer une meilleure coordination des décisions et des financements, sous l’égide soit du chef du gouvernement, soit d’un autre ministre gestionnaire(267).

Etant des institutions parallèles, ces agences finissent par constituer un système qui juxtapose au système de l’administration de l’Etat. Elles pourraient, à cet effet, se substituer fonctionnellement aux Ministères. De plus, le foisonnement des instances interposées aux finalités trop larges ou mal définies augmente in fine la complexité des circuits de financement, soit que les départements ministériels et ces instances s’interférent entre eux dans le même domaine, soit que ces instances s’interférent entre eux avec des sources de financement plus classiques. Par ailleurs, la prolifération de ces agences paraétatiques n’est pas fortuite ; elle signifie bien plus qu’un simple réaménagement de l’organigramme de l’administration(268). S’il y a un succès du système d’agences, il faut néanmoins l’inscrire dans une logique qui éclaire la situation actuelle des modes de gouvernance démocratique.

L’engouement vers ce système de gestion même s’il peut trouver des explications dans plusieurs apports tel que faire preuve d’une meilleure capacité d’adaptation et d’une grande créativité, ou encore rendre les agences autonomes dans leur fonctionnement et les inciter à innover et à améliorer leur performance, constitue une réduction, par la prolifération des agences, de la portée de l’autorisation parlementaire par ce qu’ils ne figurent nulle part au budget de l’Etat ou par ce qu’ils n’y figurent que d’une manière imprécise sous forme d’une dépense de transfert ou d’une dotation globale. De plus, dans une logique de budget moyen, l’inscription de nombreuses dépenses de transferts en faveur de ces agences est loin d’être un facteur de clarté et de lisibilité des documents de la loi de finances(269). D’autre part, ils ne favorisent guère l’efficacité de leur système de contrôle par les instances habilitées. Leur multiplicité semble une cause d’éparpillement et de dispersion de l’information, sachant que leur nature même rend souvent difficile la reconstitution exacte de l’emploi des dotations financières allouées.

2- Les opérations financières déréglementées :

Depuis toujours, on assiste à un phénomène de profusion et de dispersion des comptes en marge de la législation et de la réglementation financière à travers des différentes pratiques de débudgétisation. Cela se justifie par la flexibilité que nécessite la pratique budgétaire puisqu’on ne peut pas tout intégrer dans la loi de finances. En revanche, le hic est que le système de la comptabilité de l’Etat n’impose qu’une consolidation réduite car elle ne mentionne que l’agrégation du budget général de l’Etat, CST et SEGMA dans la loi de règlement, sans être complétés par les résultats d’autres comptes extrabudgétaires(270). En plus, ce qui est reprochable dans la gestion des comptes extrabudgétaires au Maroc, c’est l’absence d’une réglementation précise conditionnant leur fonctionnement.

De tout ce qui a été avancé, on peut dire que la débudgétisation n’est contrôlée que par l’exécutif. Les interventions financières de l’Etat ne sont donc plus soumises au contrôle du parlement. Dans cette optique, la réforme de la loi organique des finances de 1998 doit prévoir de nouveaux outils pour empêcher la pratique des débudgétisations par l’instauration d’une charte de budgétisation et le renforcement du rôle de la Cour des comptes en la matière.

227 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.313.
228 On peut citer à ce titre l’insuffisance des moyens matériels mis à la disposition du parlement puisque 78٪ du budget modeste alloué au parlement marocain est destiné à payer les salaires, les indemnités des parlementaires et les salaires des fonctionnaires ; la part restante est nettement insuffisante pour subvenir aux besoins quotidiens et encore moins aux tâches stratégiques de formation et d’information.
229 KHOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p.92.
230 HARAKAT(Mohamed), « les finances publiques et les impératives de la performance: Le cas du Maroc », L’Harmattan, Paris, 2011, p.245.
231 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.313.
232 Ibid.
233 KHOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p236.
234 Ibid.
235 KHOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p.238.
236 Cette situation est de plus en plus en amélioration puisque plus de la moitié des députés marocains ont un niveau universitaire depuis les élections législatives de 2002. Dans ce sens, contrairement aux clichés qui les décrivent comme peu instruits, voire analphabètes, le niveau moyen d’instruction de nos députés est relativement élevé puisque plus de la moitié d’entre eux sont allés à l’université.
237 Ibid. p.238.
238 ELGHAZI (Sobhallah), « ya-t-il un droit parlementaire marocain ? », in REMALD n° 23-2000, p.172.
239 Le retard causé par le parlement provient de la lourdeur des débats et de la lenteur de la procédure.
240 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p. 204.
241 Supra, section première de ce chapitre.
242 Ibid. p. 314.
243 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.320.
244 L’absentéisme a par cause, trop souvent, le fait que la quasi-totalité des députés disposent d’une occupation principale qui les empêche de participer activement au processus de démocratisation.
245 MENNOUNI (A.), « l’expérience parlementaire au Maroc », ouvrage collectif, édition Toubkal, 1985, p.15.
246 Voir les articles 67 et 68 su RICR.
247 K HOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p.205.
248 BOURDON (Jean), « les assemblées parlementaires sous la Vème république » N.E.D. n°4463-4464, avril 1978, p.35, in KHOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p.205.
249 Ibid. p.205.
250 Ibid. pp.205-206.
251 La constitution marocaine de 2011 a essayé de remédier à la situation en renforçant le rôle de l’opposition et en la constitutionnalisant dans l’article 10 dudit texte.
252 Infra, deuxième partie, chapitre 1er.
253 Dahir n°1-91-225 du 10 septembre portant promulgation de la loi 41-90instituant les tribunaux administratifs, bulletin officiel n 4227 du 3 novembre 1993, p.595.
254 HARAKAT(Mohamed), « les finances publiques et les impératives de la performance… », op.cit, p.245.
255 En effet, avec son bras bureaucratique, l’exécutif a toujours une longueur d’avance sur le parlement en termes d’expertise et de moyens techniques. Cette situation n’est pas exclusive au Maroc, et c’est pourquoi le législateur a partout doté les institutions de l’État d’un organe supérieur de contrôle capable d’apporter un soutien efficace au parlement dans son rôle de contrôle financier de l’exécutif.
256 Banque mondiale, « manuel de gestion des dépenses publiques », 2000, p.01.
257 HARAKAT(Mohamed), « les finances publiques et les impératives de la performance… », op.cit, p.245.
258 BERRADA(Abdelkader), « la loi organique des finances du 26 novembre 1996est-elle réellement l’aboutissement d’une réforme en profondeur du texte du 18 septembre 1972 », in REMA, 2008, p.23.
259 KHOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p.93.
260 HENRION (Robert), « qui décide en matière des finances publiques en Belgique », Revue R.E.S, Publica, 1983, p.607, in KHOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p.93.
261 KHOUDRY (Driss), “Le contrôle des finances de l’Etat au Maroc”, op.cit, p.9.
262 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p. 141.
263 Ibid. p. 141.
264 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.142.
265 Ibid. 142.
266 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p. 143.
267 Ibid. p. 143.
268 Toute administration qui s’est dotée d’organismes paraétatiques a fait ce choix pour des raisons qui lui sont propres. Mais aussi diverses que puissent paraître ces raisons, elles sont toutes les mêmes. Certaines administrations créent des agences pour attribuer des pouvoirs aux gestionnaires, d’autres pour privilégier la fourniture des services, d’autres encore pour échapper à des contraintes de gestion du personnel ou à d’autres carcans administratifs. Aussi différentes que puissent être ces motivations, toutes attestent que le model traditionnel centré sur les Ministères ne correspond plus aux besoins organisationnels de l’administration.
269 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.143.
270 ELARAFI (Hassane), « gestion des finances de l’Etat… », op.cit, p.p. 145.

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