Nous avons ainsi vu que, si les innovations permettent d’évoluer, ces modifications de nos modes de vie ne se font pas sans heurts. Alors que des problèmes se posent à l’échelle de la société, à moindre envergure l’enjeu de l’innovation interroge à l’échelle de l’individu lui-même.
L’Homme, au centre de ces changements, est une entité complexe riche de facteurs à considérer (besoins, désirs, capacités,… Mais aussi plus large comme l’environnement ou encore la culture. Ces nombreux points conduisent à des comportements bien souvent imprévisibles, et cette imprévisibilité l’est plus encore lorsqu’il est question d’innovation, d’inconnu. La nouveauté n’est en effet pas toujours acceptée facilement par les individus surtout lorsqu’il s’agit de remise en question. Certains éléments associés à des questions de valeurs ou encore d’un sentiment d’acquis, d’habitude, sont devenus sécurisants pour l’Homme.
Aussi, si nous savons utiliser la plupart des objets traditionnels, du moins ceux qui peuplent notre propre environnement quotidien, nous nous retrouvons dans une toute nouvelle logique face à l’objet d’innovation. Avec le numérique, nous nous sommes ainsi trouvés dans une logique de comportements différente accompagnée d’usages que l’on pourrait qualifier de « neufs ». L’assimilation et l’adoption de ces usages devient alors elle aussi un enjeu et plus particulièrement enjeu de design. Ainsi, le designer qui a pensé son produit doit être en capacité de l’intégrer pour que l’innovation fonctionne et que la démarche soit complète. Une innovation non accompagnée risque l’incompréhension et le rejet de la société, le designer n’ayant alors exercé que la moitié de son rôle. Devant la place du designer sur l’objet dans le processus de l’innovation, il apparaît donc que celui-ci soit assimilable à un réel besoin. Ce besoin l’est plus encore aujourd’hui face à la complexité de cet objet auquel nous confrontent les technologies numériques.
Impliqué dans une démarche d’innovation, le design se trouve intimement lié au développement des innovations propulsées par les technologies numériques. Celles-ci s’intègrent dans une démarche évolutive, influençant directement notre environnement et notre façon de vivre. Il apparaît alors aujourd’hui que le processus d’innovation est considéré comme un véritable enjeu de société face au caractère indispensable de son développement pour notre évolution. L’inventivité et la créativité sont ainsi devenues les moteurs de notre société.
Or, ces interventions engendrent bien souvent d’importantes modifications et, sur ce modèle, les progrès technologiques du numérique ont changé la société impactant en même temps les nouveaux processus d’innovation qui nous attendent. Nous évoluons ainsi vers une société interconnectée dans laquelle tous les composants apparaissent interdépendants et agissent les uns sur les autres. L’enjeu aujourd’hui est alors d’avancer dans un mouvement pluridisciplinaire sur la construction d’une intelligence collective.
Le rôle du designer, au cœur de nos problématiques d’innovation, est donc devenu essentiel pour notre société. Le design est ainsi devenu question sociale alors que le designer se voit gratifié d’une véritable responsabilité sociale. A travers cette place, celui-ci doit faire face aux questions soulevées par ces nouveaux enjeux d’innovation tout en engageant une nouvelle démarche d’innovation pertinente.
Dans cette démarche d’innovation, le designer doit par ailleurs prendre en considération de nombreux points face à la complexité et la part d’inconnu que représente ces nouveaux projets. L’approche du design aujourd’hui doit aider à définir le contexte, les enjeux, les objectifs du projet jusqu’à son exécution et sa formalisation.
Il apparaît ainsi que la place du designer se retrouve dans les deux phases de conception et de réalisation du projet : nous pourrions dire qu’il innove dans la conception de nouveaux concepts et vulgarise à travers la réalisation d’un produit assimilable (l’interface parvenue à l’usager).
Par ailleurs ces deux interventions s’inscrivent dans une démarche évolutive, installant le designer dans un rôle vecteur d’évolution sociale.
L’arrivée du numérique dans nos vie s’est illustrée par une troisième révolution industrielle marqueur historique d’une formidable évolution sociale. Cette révolution, déclenchée par la découverte de la matière numérique, s’est développée à travers une multitude d’innovations bousculant les codes de notre société. Parmi ces innovations, beaucoup ont ainsi peuplé notre quotidien comme c’est le cas du téléphone mobile ou encore de l’ordinateur… Si l’usage de ces nouveaux objets est vecteur de modification des comportements, les changements opérés par la révolution numérique s’avèrent plus profonds encore. Derrière la modification de l’objet c’est tout un système qui s’est alors trouvé changé, nous conduisant vers un monde interconnecté composé de liens et de réseaux invisibles. Ce monde, paraissant tout droit sorti de récits de science-fiction, offre à la société une accessibilité de données et d’information jusque-là insoupçonnée.
De ces changements naissent alors un nouveau concept, celui d’Internet des Objets.
A travers ce terme, nous retrouvons donc tout autant les nouveaux objets introduits par ces modifications que ceux, qualifiés de traditionnels, s’en retrouvant impactés. Car l’objet du 21ème siècle se présente comme un méta-objet qui, comme la société, a subi des transformations en profondeur allant toucher jusqu’à sa composition même. Ces nouveaux objets se présentent ainsi développés sur la base d’une matière nouvelle : la matière numérique ou matière calculée. A travers celle-ci ils se présentent comme des objets communicants, osant associer la notion d’intelligence à celle de l’objet dans une démarche pleinement inédite. Par ces modifications l’objet moderne change son rapport aux entités l’entourant, de l’Homme à l’autre objet, impactant simultanément notre environnement. De cette façon les objets communiquent aujourd’hui entre eux, avec les ordinateurs, avec les Hommes… Nous faisons ainsi face à des milliards d’objets connectés au sein d’une société connectée.
Le rapport à l’Homme est au centre des questions de l’objet et, suite à l’arrivée de technologies dotant l’objet de nouvelles capacités, celui-ci passe d’un rapport exécutif à un rapport de communication. Ainsi, fort de ces nouvelles facultés, l’objet d’aujourd’hui peut nous aider à mieux vivre. Nous pouvons alors imaginer de nouvelles façons d’exister avec le numérique en y intégrant la notion de service. Ce dernier s’est peu à peu affirmé au sein de nos sociétés et il apparaît aujourd’hui que l’importance n’est alors plus l’objet lui-même mais dans le service qu’il implique.
Au cœur de cet environnement changeant, la discipline du design a donc dû s’adapter à ces nouveaux outils en se développant à travers le design numérique. L’objet du design devient alors relation, un sujet de conception pour lequel il est question d’échange, d’informations, d’assimilation, d’intégration… Quant à l’élaboration de cette relation, elle implique de raisonner en terme d’interface faisant de cet élément l’objet « physique » d’intervention du designer du 21ème siècle. Devant ces changements, le designer se voit alors attribuer un double rôle, allant du concepteur d’innovations au penseur de relations dans la réalisation, il devient connecteur entre l’Homme et l’objet qu’il ne reconnaît plus mais qui lui est indispensable.
Par cette synthèse nous pouvons donc retracer le chemin parcouru au cours de cette première partie, nous permettant de poser l’environnement d’intervention du design d’aujourd’hui. Nous avons ainsi pu assimiler les enjeux et le rôle du designer face aux nouveaux outils et objets de conception avec lesquels il doit travailler.
Après quelques éclaircissements, nous évoluons ainsi vers la question de notre problématique : ces nouveaux designs doivent-ils eux aussi être discernables ?
En effet, si l’innovation est au cœur de la démarche design, cette dernière s’est adaptée à nos évolutions pour aujourd’hui s’élargir. La complexité du monde qui nous entoure s’étant développé jusqu’aux objets de notre quotidien, le designer doit aujourd’hui être capable de penser, créer mais aussi intégrer l’objet de design dans l’environnement de l’utilisateur.
C’est ainsi que depuis quelques années, une clameur s’élève dans le monde design : le bon design aujourd’hui doit être invisible.
Cette transition est aussi l’occasion d’opérer un rapprochement entre le design comme nous le percevons maintenant et le corpus d’étude choisi.
Ce corpus s’est ainsi composé sur le thème du pilotage, incluant les situations de pilotage de la voiture, comme d’un tramway, d’un train ou encore d’un drone. Derrière ce thème il y a l’histoire d’objets que l’on peut considérer comme les premières machines. Issues de la seconde révolution industrielle, elles se sont elles aussi développées grâce à l’essor des innovations de l’époque. Face à elle, l’utilisateur a donc du assimiler des nouvelles données et s’adapter ; il le fait encore aujourd’hui face à un domaine évoluant nourrit aujourd’hui par le numérique. Complexes mais pleins de promesses, ces objets ont su intégrer notre environnement jusqu’à occuper une place aujourd’hui indispensable.
Le transport est ainsi devenu aujourd’hui un mode de vie, un processus intégré nous amenant à utiliser ces objets bien souvent chaque jour sans même y penser. S’il a impacté la vie des individus, c’est tout le système qu’il a su modifier en ouvrant le monde. Car au-delà de la machine, l’arrivée des transports a occasionné les prémisses d’une connexion par le biais de réseaux, ici bien visibles.
Il apparaît ainsi que le domaine du transport comme nous le présentons ici peut s’assimiler à un système composé de machines, de données techniques et d’environnement. Il présente de nombreuses similitudes avec les éléments que doit considérer le designer aujourd’hui. Il devient alors intéressant de comparer la conception et l’utilisation de ces objets avec ceux, arrivant, devant finalement être pensés sur un même schéma.
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