Pour analyser cette part d’invisible, il est important dans un premier temps d’en comprendre la signification.
D’une manière générale, la notion d’invisible caractérise toutes choses qui « n’est pas perceptible par la vue » (1). Si nous nous arrêtons à la matière calculée apportée par le numérique, celle-ci paraît effectivement invisible. Nous avons vu que si elle est réelle, elle existe, elle n’est cependant pas tangible dans le sens physique : nous ne la percevons pas. La matière de ces nouveaux designs peut donc être qualifiée d’invisible.
Or, le propre de cette matière (laquelle est, rappelons-le, un ensemble de données et d’informations développé dans le langage machine est d’être transmise à l’Homme. La matière se révèle alors à travers l’utilisation de l’objet de la machine, le rapport Homme/machine s’opérant par le biais l’interface. Cet élément s’impose alors comme élément de contact entre les deux entités communicantes et, à travers ce rôle, comme sujet de recherche et d’application du design d’aujourd’hui. Devant cette affluence d’objets, de machines et d’interfaces, la matière calculée préalablement invisible se retrouve transformée en un élément visible et utilisable par l’Homme.
Si la matière du design moderne peut ainsi être qualifiée d’invisible, l’objet du design et donc l’apport du design, nous apparaissent, eux, bien visibles. Pourquoi et comment alors associons-nous l’invisible au design ?
Aujourd’hui de nombreux professionnels témoignent pourtant dans ce sens. Si nous ne pouvons pas tous les énumérer, nous pouvons citer deux discours rencontrés au cours de lectures de recherche. Ainsi, Bill Buxton, directeur de recherche chez Microsoft Research et spécialiste du design numérique, nous donne en 2011 sa définition d’un design réussi : « Un bon design interactif est transparent, quasiment invisible, à tel point que l’utilisateur ne doit se rendre compte de l’interaction qu’une fois cette dernière terminée. Comme par magie. Un bon design numérique doit aussi s’intégrer harmonieusement à l’environnement des appareils qui l’entourent »(2). Nous remarquons par ailleurs qu’il qualifie le design numérique de « design interactif » mettant ainsi le doigt sur l’importance de l’interaction dans le processus de conception.
Dans une même démarche, Oliver Reichenstein, designer à l’origine des agences internationales « Information’Architects », affirme à son tour au cours d’un entretien en 2013 : « Good’ design’ is’invisible.’ Good’ screen’ design’ happens’ in’ the’ subatomic’ level’ of’microtypography'(the’exact’deTinition’of’a’typeface ,’the’invisible’grid’of’macrotypography’ (how’the’ typeface’ is’used ,’ and’ the’ invisible’world’ of’interaction’ design’ and’ information’ architecture.’Minimum’input,’maximum’output'(… . » (3)
Ce type de phrases est ainsi devenu fréquent et, depuis le début du 21ème siècle, réuni de nombreux adeptes. A travers ces interventions, nous nous rendons compte que la notion d’invisible utilisée ici ne se rattache pas à l’idée de la perception (comme nous l’entendons à travers la définition première du terme), mais bien au ressenti. Ainsi, l’invisible appliqué au design serait une question d’intuitivité, d’affordance, d’ergonomie… Il s’agirait alors d’évoluer vers un design naturel dans son utilisation , un design simple et fluide pour son utilisateur. Cette démarche apparaît comme une réaction aux objets toujours plus complexes que le designer doit s’appliquer à intégrer à nos environnements.
Alors comment cette notion est-elle appliquée au design ? Où trouvons-nous cette part d’invisible ? Peut-on réellement associer la notion d’invisible avec celle de design ? Peut-on respecter l‘identité de la discipline design par cette démarche ? Enfin, doit-on tout de même ajouter la nuance du discernable pour parler de design ?
1 Définition issue du Larousse édition 2013
2 entretien de Bill Buxton « Un bon design interactif est transparent, quasiment invisible » réalisé par Chine Labbé pour le magasine RSLN n°10 au 3ème trimestre 2011
3 « Un bon design est invisible. Une bonne conception de l’écran qui se passe dans le niveau subatomique de microtypography (la définition exacte d’un caractère , la grille invisible de macrotypography (comment la police est utilisée , et le monde invisible de design d’interaction et de l’architecture de l’information. Entrée minimum, rendement maximum (…). -> entretien intitulé « Good design is invisible : an interview with iA’s Oliver Reichenstein » réalisé par Sam -yford pour le site www.theverge.com le 24 juillet 2012
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