L’une des spécificités du métier de guide-conférencier est qu’il est en permanence amené à travailler avec différents types de publics : il doit donc savoir comment s’adapter à tous types de visiteurs. Pour cela, il lui est nécessaire de bien connaître son public afin de pouvoir également adapter sa technique de guidage en fonction de ce dernier. Pour être en mesure de travailler avec un public sourd, il est alors nécessaire de bien connaître son histoire.
I.2.1.1 Des siècles d’obscurantisme
Dans l’Histoire, la distinction n’a pas toujours été faite entre les handicapés physiques, sensoriels et mentaux : ils étaient le plus souvent tous assimilés aux marginaux.
Déjà au IVe siècle avant J-C, le philosophe grec Aristote disait que quelqu’un qui n’avait pas accès au langage ne pouvait être considéré comme un être pensant. L’intelligence n’était donc pas imaginable chez une personne sourde. D’ailleurs l’expression “sourdingue” témoigne encore aujourd’hui de la marque de cette pensée.
Les sourds n’étant donc pas estimés capables de témoigner par eux-mêmes pendant des siècles, on trouve finalement peu de témoignages de sourds avant le XVIIIe siècle. On peut néanmoins imaginer que les sourds aient pu trouver une place dans la société médiévale puisque le travail à cette époque relevait quasiment exclusivement d’un savoir-faire manuel, qui n’imposait pas les obstacles de la communication verbale et écrite contrairement à la plupart des professions d’aujourd’hui. Ils ont donc pu être acceptés ou tolérés, mais malgré tout au même titre que les “idiots du village”.
Ce n’est qu’à la Renaissance, que certains écrivains s’intéressent à la communauté sourde, comme Rabelais ou encore Montaigne qui écrit “Nos muets disputent, argumentent et content des histoires par signes. J’en ai vus de si souples et formés à cela qu’à la vérité, il ne leur manque rien à la perfection de se savoir faire entendre” (Essais, Livre II, ch. 12).
On découvre alors qu’ils sont pourvus d’intelligence et qu’ils peuvent apprendre un langage pour exprimer leur pensée. Néanmoins, ce langage sera réprimandé et l’on tentera d’éduquer les sourds par l’apprentissage de la parole.
I.2.1.2 La révolution de l’abbé de l’Epée
Les religieux semblent avoir été plus ouverts aux sourds que la société laïque. Notamment en France, qui sera le premier pays au monde à développer l’éducation des sourds grâce à l’abbé de l’Epée (1712-1789). A la suite d’une rencontre avec deux sœurs jumelles sourdes, il a l’idée d’apprendre cette langue des signes et de l’utiliser pour les instruire. C’est ainsi qu’en 1760, il ouvre une école gratuite, accessible à tous les sourds, dans sa maison parisienne. Considérant les sourds comme des êtres capables d’intelligence, il favorisera ainsi leur regroupement en rendant leur éducation collective. Il jouera alors un rôle principal dans l’expansion de leur culture et dans la reconnaissance de leur langue.
Aujourd’hui encore, il est considéré comme une figure majeure dans l’histoire des sourds.
A sa mort en 1789, l’école comptera une centaine d’élèves, venus de toute l’Europe.
La Révolution fait alors de l’instruction des sourds une affaire nationale au même titre que celle des aveugles, des orphelins, de ceux que l’on considérait comme faibles en général. Il s’agira de tout mettre en œuvre pour que les exclus deviennent des citoyens à part entière.
I.2.1.3 Un âge d’or de courte durée
Les sourds voient donc l’émergence d’une reconnaissance sociale de leur personne à la fin du XVIIIe siècle. Au cours du XIXe siècle, les jeunes sourds étudiant dans les instituts nationaux reçoivent une solide formation artistique et technique. De nombreux élèves poursuivront leurs études à l’école des Beaux-Arts ou s’inscriront dans de grands ateliers parisiens comme celui d’Ingres par exemple : c’est “l’âge d’or”.
En 1834, Ferdinand Berthier (1803-1886), doyen des professeurs sourds à Paris, crée la Société Centrale des Sourds-Muets de Paris. L’objectif principal de cette société est de rassembler et d’animer la communauté sourde, mais également d’organiser chaque année un banquet en hommage à l’abbé de l’Epée : ce sera la naissance des banquets, toujours célébrés aujourd’hui chaque 24 novembre.
Mais le Congrès International de Milan de 1880 freinera fortement l’émancipation des sourds en votant à l’unanimité la presque totale interdiction des gestes dans leur éducation, imposant l’utilisation de la méthode orale. Il faudra attendre la loi du 11 février 2005(14) pour mettre officiellement fin à l’obligation de cette méthode orale pour l’éducation des sourds en France. L’objectif de cette loi “pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées” est l’accessibilité pour tous.
Malgré cette reconnaissance et les efforts effectués en ce sens, encore peu de jeunes sourds pensent avoir le droit à la liberté de choix de leur future profession. Rares sont ceux qui affirment leurs goûts et qui connaissent l’éventail des possibilités qui leur sont offertes.
Surtout, la communauté sourde semble continuer de se sentir à l’écart de la vie citoyenne.
14 Loi n°2005-102 du 11 février 2005 consultable en ligne suivant le lien http://www.legifrance.gouv.fr.
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