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Section 2 : Doctrine en faveur de la notion subjective de l‟aléa

ADIAL

C‟est une évidence : « le passé est réputé connu et le futur réputé inconnu »(37) . En effet, ce qui c‟est déjà passé s‟est réalisé et est devenu un fait. Une fois que l‟événement redouté s‟est factualisé, il est inéluctable, et il n‟est plus possible de revenir en arrière. De même, il est impossible de prévoir un événement futur. Cependant, dans la théorie subjective de l‟aléa, l‟événement passé quand bien même fut-il réputé connu, peut être inconnu. Dès lors, si on peut arriver à prouver que cet événement passé demeure inconnu, le contrat peut fonctionner car l‟aléa existe malgré tout. A contrario si un événement futur est connu par avance, l‟aléa n‟existe plus, le risque n‟est donc pas assurable.

C‟est cette théorie qui est défendue par la doctrine majoritaire (§1), suivie par les tribunaux actuellement. Cependant, une partie dissidente de la doctrine soutenue par quelques décisions jurisprudentielles prône l‟assurabilié du risque putatif uniquement lorsque le contrat d‟assurance prévoit une clause en ce sens (§2).

§. 1 Assurabilité du risque putatif

Aujourd‟hui, la plupart des auteurs contestent la priorité donnée à l‟aléa objectif en soulignant l‟ambigüité des dispositions de l‟article L 121-15 du Code des assurances et en constatant que l‟assurance d‟un risque putatif est techniquement concevable et moralement acceptable (A).

Cette assurabilité du risque putatif peut également être soutenue en invoquant une interprétation a contrario de l‟article L. 124-5 du Code des assurances, qui certes n‟ayant qu‟un domaine d‟application restreint, permet toutefois de démontrer que le législateur conçoit l‟assurance du risque putatif en matière terrestre (B).

A. Un risque moralement, juridiquement et techniquement assurable.

Le caractère aléatoire du contrat d’assurance a toujours été considéré comme en étant l’essence même. Aucune disposition du code des assurances n’indique expressément une telle qualification, elle se déduit de l’article 1964 du Code civil. L’opération d’assurance est une « lutte collective contre le hasard »(38) qui repose sur un calcul de probabilités, dont les résultats seraient faussés si le risque garanti n’était pas hypothétique. De cette qualification légale résulte le fait que le contrat d’assurance ne peut couvrir qu’un risque futur et incertain. Ce sont donc les règles de probabilités et de techniques assurantielles qui justifient une vision objective de l‟aléa. Or, si ces mêmes règles ne font pas obstacle à l‟application d‟une notion subjective de l‟aléa, plus aucune raison ne peut valablement être avancée pour justifier l‟inassurabilité du risque putatif. La doctrine va plus loin en affirmant que le risque putatif est un risque moralement, juridiquement et techniquement assurable.

L’assurance d’un risque dont les parties ignorent réellement la réalisation est en effet considérée comme valable, aucun principe de l’assurance ne s’y opposant. Selon Jean Bigot, « la jurisprudence admet la validité des clauses de reprise du passé inconnu, considérant que cette clause rappelle le principe selon lequel le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque déjà réalisé. Elle admet donc implicitement mais nécessairement l’assurance du risque putatif en matière terrestre »(39). En effet, si la jurisprudence, et le législateur admettent l‟assurabilité du passé inconnu en assurance responsabilité civile, c‟est qu‟ils peuvent également l‟admettre à l‟ensemble des assurances terrestres. Cet argument rejoint celui consistant à affirmer que l‟assurabilité du risque putatif étant admise en assurance maritime, il n‟existe aucune raison pour qu‟il ne le soit pas également en droit des assurances terrestres.

Selon Luc Mayaux, le risque putatif est assurable. Cette assurabilité s‟explique par le fait que ce qui importerait ne serait pas l‟existence d‟un risque mais la croyance en cette existence. Le risque est alors identifié à de l‟information. L’ignorance de la réalisation du risque pourrait valablement constituer le critère de l’incertitude propre à caractériser l’aléa.

Sabine Bertolaso souligne que l‟assurabilité du risque putatif n‟est pas antinomique à l‟article L121-15 du Code des assurances(40). De plus, les données statistiques permettent à l‟assureur de prendre en compte l‟existence du risque putatif. Dès lors, l‟assurabilité du risque putatif est parfaitement envisageable, ne contrevenant en rien aux calculs de probabilité effectués par les assureurs. Le risque putatif est alors techniquement assurable puisque malgré l‟absence de hasard, l‟ignorance de sa disparition permet aux mécanismes assurantiels de fonctionner.

L‟aléa a une nature principalement psychologique, l‟essentiel est donc l‟existence chez les parties d‟une volonté de couvrir le risque. Cette volonté est présente en matière de risque putatif puisque les parties croient en une apparence de risque. Or, rien ne s‟oppose à ce que l‟apparence du risque soit assimilable au risque.

Si le passé ne peut être assimilé de façon consciente au futur, il peut très bien l‟être de façon inconsciente. En effet, nul ne peut contredire que le fait de connaitre le passé est immuable. On ne peut passer outre cette connaissance et l‟oublier pour l‟effacer de notre conscient. Il est impossible d‟assimiler cet événement passé à un futur hypothétique et éventuel. Cependant, dans l‟esprit de l‟assuré, un événement passé inconnu peut inconsciemment être assimilé à une éventualité future. Dans cette acception, le passé et le futur se rejoignent dans l‟intérêt de l‟assuré inconscient. Cela s‟explique par le fait que dans l‟esprit de l‟assuré, un événement inconnu n‟est pas un événement passé.

Le sentiment d‟incertitude, même s‟il n‟existe que dans l‟esprit de l‟assuré, est en tous points assimilable à la véritable et réelle incertitude génératrice d‟un sentiment d‟insécurité. L‟assurabilité du risque putatif oeuvre dans le sens d‟une utilité sociale. Dans cet esprit, il parait alors nécessaire et légitime de dater la réalisation du sinistre au jour de sa connaissance plutôt qu‟à sa réalisation. Cela rejoint toute la théorie propre au droit des assurances et au droit en général qui se refuse à sanctionner l‟ignorance de l‟assuré.

La déclaration tardive due à une connaissance tardive est insusceptible de déchéance tout comme la fausse déclaration non intentionnelle est uniquement « sanctionnée » dans le but de rétablir un certain équilibre contractuel. En cas de risque putatif, l‟équilibre contractuel n‟est pas rompu. Il n‟est donc pas nécessaire d‟appliquer une mesure visant à rétablir cet équilibre.

L‟assureur a pleinement conscience du risque qu‟il assure et la prime est ajustée en fonction du risque qui est connu. Que le risque se réalise antérieurement ou postérieurement à la conclusion du contrat n‟a aucune conséquence sur les calculs actuariels et sur le prix que coûte la protection d‟un tel risque.

En réalité il s‟agit non pas d‟effectuer une reprise du passé inconnu mais de comprendre le présent différemment. L‟imaginaire prend alors le pas sur le réel, et la fiction sur les faits. Or le droit est majoritairement imaginaire. Cet avantage accordé à l‟assuré doit impérativement être limité à la période de souscription puisque transposer l‟assimilation de l‟absence d‟information du risque au jour de la résiliation reviendrait à ne pas accorder de couverture au risque réalisé en cours de validité du contrat mais ignoré des parties au jour de sa résiliation. Cette pratique vise uniquement à protéger l‟assuré et ne doit pas faire l‟objet d‟une règle générale. Elle est nécessairement cantonnée à son objectif qu‟est la protection de l‟assuré.

L‟aléa subjectif est marqué par la morale. De fait, l‟assuré ou le souscripteur(41) de mauvaise foi ne saurait être protégé par la théorie du risque putatif. Cette mauvaise foi suffit à exclure la garantie. Dès lors, la connaissance de réclamations antérieures à la souscription doit pouvoir faire échec à la garantie(42). Le risque putatif est « un palliatif, une fiction ad favorem. Ce n‟est pas l‟imaginaire au pouvoir »(43). Cela signifie que l‟imaginaire ne doit pas être systématiquement privilégié au réel mais qu‟il ne doit être envisagé uniquement dans le but de protéger l‟assuré, sans pour autant être néfaste à l‟assureur.

B. Interprétation a contrario de l‟article L.124-5 du Code des assurances

L‟article L.124-5 du Code des assurances énonce que « l’assureur ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ». Dès lors, cette disposition signifie que la garantie ne sera pas acquise par l‟assuré s‟il est démontré qu‟il avait connaissance du fait dommageable au moment de la prise d‟assurance. Cela revient à accepter l‟assurabilité du passé inconnu. En effet, si le risque n‟est pas couvert dès lors que l‟assuré a connaissance de l‟élément déclenchant la garantie avant la conclusion du contrat, cela signifie qu‟a contrario, le risque est couvert si l‟assuré ignorait l‟élément déclencheur. La lecture a contrario de l‟article L.124-5 du Code des assurances conduit à admettre la garantie du risque putatif en assurance de responsabilité civile professionnelle.

Cet article concerne un champ restreint puisqu‟il ne s‟applique que dans le cadre d‟une assurance responsabilité civile professionnelle. Son impact parait donc limité. Cependant il parvient à démontrer que le législateur n‟est pas hostile à l‟assurabilité du risque putatif en droit des assurances terrestres. En effet, si le législateur énonce clairement l‟assurabilité du risque putatif en assurances maritime, il n‟en est rien en assurance terrestre.

Si le législateur ne se positionne pas clairement en faveur d‟une notion subjective de l‟aléa en assurance terrestre, il ne la prohibe pas pour autant. L‟interprétation a contrario l‟article L.124-5 du Code des assurances laisse entrevoir la possibilité que le législateur ait pris position en faveur d‟un subjectivisation de la notion d‟aléa. Dans ces conditions, les auteurs ne pourraient plus invoquer l‟argument de texte visant à exclure l‟assurabilité d‟un risque déjà réalisé lors de la conclusion d‟un contrat d‟assurance mais inconnu des parties.

§. 2 Eventuelle nécessité d‟une clause expresse en ce sens

Il existe donc deux visions diamétralement opposées de la notion d‟aléa. Une vision objective, s‟attachant uniquement à la réalité des faits ainsi qu‟une vision subjective, retenant une conception purement psychologique de l‟aléa. Au-delà de ces deux conceptions, pour certains auteurs, l‟assurance du risque putatif en matière terrestre ne serait possible que si le contrat contenait en son sein une clause en ce sens.

Rien n‟empêche l‟assureur d‟exclure la garantie du risque putatif puisque par définition, n‟étant pas consacré au sein du Code des assurances, cela ne peut être en aucun cas un principe d‟ordre public. Toutefois, il convient de respecter les conditions de l‟article L.113-1 du Code des assurances(44), imposant que la clause d‟exclusion soit formelle et limitée. En l‟absence d‟une telle exclusion le risque putatif est il automatiquement couvert?

H. Groutel donc qu‟une clause expresse autorisant l‟assurance du risque putatif devrait être insérée au contrat faute de quoi il ne serait pas assurable(45). En effet, cet auteur estime que dans les assurances terrestres contrairement aux assurances maritimes, la reprise du passé n‟est pas sous entendue. Cela ne serait pas le cas pour les assurances de responsabilité qui fonctionneraient sur une base réclamation où la reprise du passé inconnu est imposée par la loi. Cependant, si l‟article L 121-15 du Code des assurances entendait autoriser en matière d‟assurance terrestre uniquement en cas de clause en ce sens introduite au sein du contrat, on comprend difficilement pourquoi il figure parmi les dispositions impératives.

Néanmoins, dans un arrêt datant du 11 juin 2009(46), la Cour de cassation retient la nécessaire présence d‟une telle clause dans le contrat en affirmant que « la Cour d’appel ayant relevé qu’il n’était pas contesté qu’à la date de souscription du contrat, ces conteneurs avaient déjà été détournés, retient à bon droit qu’il importait peu que cette circonstance ait été ignorée des parties […] dès lors qu’aucune clause du contrat ne prévoyait la couverture des risques putatifs ».

La Cour de cassation semble donc effectivement subordonner la couverture du risque putatif à la présence d‟une clause en ce sens au sein du contrat. A supposer que cette solution soit un revirement de jurisprudence, on peut s‟interroger quant à sa portée. Est-ce qu‟il se limite aux assurances de chose ou doit il également être étendu aux assurances de responsabilité ? La réponse est dans l‟article L 124-5 du Code des assurances qui impose l‟assurance du risque putatif dans les assurances de responsabilité et ce sans clause expresse en ce sens.

Toutefois, cette solution est en passe d‟être abandonnée. En effet, deux arrêts(47) postérieurs ont repris l‟ancienne formule pour motiver leur décision « le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne pouvait garantir un risque que l’assuré savait déjà réalisé avant sa souscription, peu important l’absence de réclamation de la victime à cette date ».

Il semble que contrairement à ce que cet auteur prône, la jurisprudence tende à admettre l‟assurabilité du risque putatif, sans qu‟une telle clause ne soit nécessaire. Une clause devrait donc être insérée afin d‟exclure l‟assurabilité du risque putatif et non afin de permettre son assurabilité. L‟exigence d‟une nécessaire clause visant à assurer le risque putatif par la Cour a des conséquences néfastes en assurance de chose où la pratique n‟a pas inséré de telles clauses au sein des contrats. Dès lors, dans les contrats que les assureurs n‟ont pas pu modifier avant la découverte du sinistre, le risque putatif ne pourra être garanti. De fait, affirmer l‟assurabilité du risque putatif n‟aura alors aucune conséquence.

38 Y. LAMBERT-FAIVRE et L. LEVENEUR, Droit des assurances, 12e édition, Coll. Précis Dalloz.
39 J. BIGOT, Traité de droit des assurances, tome III le contrat d’assurance.
40 S. BERTOLASO, « l’aléa en droit des assurances : état des lieux et perspectives », RGDA 2009 n°2 p.431.
41 Cass. 2ème civ., 15 avril 2010 n°08-20377 pour la distinction effectuée entre assuré et souscripteur.
42 Cass. 1ère civ. 25 février 1992 n°86-18440 RGAT 1992 p.386.
43 L. MAYAUX, Les grandes questions du droit des assurances, L.G.D.J., éd. 2011.
44 « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
Toutefois, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. »
45 H. GROUTEL, F.LEDUC, P. PIERRE, M. ASSELAIN, Traité du contrat d’assurance terrestre, litec, no 123, p. 64.
46 Cass. 2ème civ. 11 juin 2009 RGDA 2009 p.736.
47 Cass. 2e civ. 15 avril 2010, n°08-20.377 et Cass. 2e civ. n°08-20.378 RGDA 2010 p.667, note L. Mayaux.

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