Entrée en vigueur le 9 juin 1967, cette Convention réaffirme dans son préambule les huit
principes adoptés par la CNUCED lors de sa séance du 23 septembre 1964.
Ces principes, en substance, concourent à la reconnaissance du droit pour tout Etat sans
littoral d’accéder librement à la mer. Les énonciations du troisième principe du préambule de
cette Convention sont à cet égard édifiantes : « pour jouir de la liberté des mers à égalité avec les
Etats riverains, les Etats dépourvus de littoral doivent pouvoir accéder librement à la mer ».(45) Le
quatrième principe abonde dans le même sens et justifie la nécessité d’une telle reconnaissance
par des raisons de commerce international et de développement économique.
Ces considérations rencontrent un écho favorable dans le dispositif même de la
Convention du 8 juillet 1965 qui fixe aussi bien les modalités techniques (voies et moyens de
transport, usage des ports de l’Etat côtier, etc.),(46) administratives (simplification des méthodes et
de la documentation à utiliser, facilités plus étendues à accorter),(47) financières (droits de douane,
tarifs, redevances et autres taxes spéciales)(48) que les garanties d’ordre juridictionnel nécessaires à
l’exercice de ce droit.(49)
Leur valeur juridique comme d’ailleurs la reconnaissance de cette Convention elle même
dans les instruments bilatéraux passés entre le Cameroun et le Tchad d’une part, et entre le
Cameroun et la Centrafrique d’autre part, reste néanmoins problématique. Les débats lors de
l’adoption de cette Convention permettent à ce sujet de s’en faire une idée. Comme le mentionne
Dietrich Kappeler, la proposition de la Commission préparatoire à la CNUCED susvisée d’insérer
dans le projet de la Convention un Article 1 bis comportant les huit principes susévoqués afin de
leur donner une forme juridique – suivant le voeu de certains délégués – suscita au sein de la
Conférence plénière de vives oppositions. En effet, certains niaient le caractère juridique de ces
principes, d’autres la compétence même de la Commission en matière de codification des règles
du droit international.(50) Comme on peut le constater, cette opposition pose, au-delà de la force
juridique à accorder aux principes en question,(51) le problème de la valeur juridique des
énonciations du préambule en général.
A la question qu’ils se posent dans leur ouvrage Droit International Public de savoir
quelle est la valeur juridique du préambule, Nguyen Quoc Dinh, Patrick Daillier et Alain Pellet,
s’appuyant sur une jurisprudence solide(52) répondent que « dans l’ordre international, le
préambule d’un traité ne possède pas de force obligatoire, il constitue toutefois un élément
d’interprétation du traité ».(53)
Une partie de la doctrine reste cependant réservée et nuancée sur cette question. Charles
Rousseau se voulait pour sa part prudent lorsqu’il considérait qu’il faut retenir le préambule
quand il contient des énonciations suffisamment précises au but du traité pour permettre
l’interprétation du dispositif.(54) Ce point de vue trouve son mérite dans la Convention du 8 juillet
1965.
La segmentation entre les principes énoncés dans le préambule et le corpus conventionnel
nous parait dérisoire pour deux raisons au moins.
Primo, l’analyse de ces deux compartiments de la Convention laisse apparaître un lien
ombilical solide quant à leur objet. Quelques dispositions, sans prétention à l’exhaustivité, le
montrent à suffisance. Ainsi, les Articles 3 et 4 du dispositif sur les moyens de transport, les
marchandises en transit, les droits de douane et les tarifs applicables reprennent et précisent l’idée
d’un transit libre et sans restriction exprimée par le quatrième principe du préambule, car aussi
bien dans ce quatrième principe que dans les articles précédemment mentionnés, il se dégage une
seule et même réalité: l’exonération des transports en transit de taxes ou de prélèvements
supérieurs à ceux perçus pour l’utilisation des transports de l’Etat de transit.
De même, l’Article 11 (2) (4) qui réfère au droit de l’Etat contractant de prendre des
précautions et des mesures nécessaires pour protéger ses intérêts essentiels et s’assurer de la
réalité du transit intègre et systématise le cinquième principe.
Le même lien de connexité existe entre le septième principe et l’Article 10 sur la clause de
la nation la plus favorisée.
Secundo, la rédaction du huitième principe revêt plus d’une signification. De prime abord,
elle semble admettre que les huit principes, tels qu’énumérés, constituent un corps de normes
« régissant le droit des Etats sans littoral d’accéder librement à la mer », en dépit de tout accord
existant ou à conclure à l’avenir sur cette question entre deux ou plusieurs Etats. Par ailleurs, ce
huitième principe établit, conjointement avec les sept autres, un régime de référence qui se veut
une contre-mesure contre tout accord futur à naître sur ce problème instituant « un régime moins
favorable » ou « contraire aux dispositions » de ces principes.(55) L’interprétation amène ainsi à
voir dans cet ensemble de principes une convention à part entière signée et applicable aux Etats
parties. La formulation usitée ici nous conforte dans ce sens : « [c]es principes […] n’abrogeront
en aucune façon les accords en vigueur […] ».(56) Une telle rédaction attribue auxdits principes une
valeur comparable à celle des accords internationaux.
En droit international, l’abrogation d’un accord ou plus précisément l’extinction d’un
instrument international dépend généralement de la volonté des parties, de la survenance de
certaines circonstances, d’une nouvelle norme de jus cogens ou d’un nouvel accord censé abroger
ou mettre fin à un(e) précédent(e) portant sur la même matière. Envisager par conséquent
l’abrogation d’un accord à partir de principes, c’est : ou bien reconnaître une même force de droit
à ces deux catégories de sources du droit (sources conventionnelles/sources non
conventionnelles) ; ou bien établir un parallélisme ou une coexistence entre ces deux catégories
normatives dans un même corps conventionnel. On pourrait, en d’autres termes, parler de deux
conventions au contenu identique dans un instrument unique: la Convention du 8 juillet 1965.
Le caractère normatif de ces principes donne ipso facto au préambule de la Convention une valeur
indéniable.
Le renvoi à cette Convention dans les instruments bilatéraux entre le Cameroun et ses
voisins géographiquement désavantagés(57) soulève lui même quelques difficultés. Quelle
signification en effet donner à cette formule ? Comment interpréter cet acte, puisque signataire, le
Cameroun n’a pas ratifié cette Convention ? Autrement dit, il n’en est pas partie.
Cette question qui est abordée dans la seconde partie de l’étude nous permet d’y voir
l’expression d’un consentement de l’Etat camerounais, une forme de reconnaissance de cette
Convention, car la reconnaissance, écrit Nguyen Quoc Dinh, comporte des « modalités variables
[…] : elle peut être implicite ou expresse, unilatérale ou collective, discrétionnaire ou ”liée”,
appliquée à de simples faits ou à des normes juridiques ».(58)
Dans le cas d’espèce, il s’agit bien d’une forme expresse, puisque cette convention est
explicitement visée dans les textes bilatéraux auxquels nous consacrerons une analyse dans les
lignes qui suivent, l’objectif poursuivi par cette référence systématique, comme dans tout acte de
reconnaissance d’ailleurs, étant d’« introduire une certaine cohérence et une certaine continuité
juridique dans les rapports internationaux »(59) entre les différentes entités étatiques impliquées
dans ce transport import/export vers et depuis la principale zone portuaire du Cameroun.
Certaines modalités de ce transport font l’objet d’instruments sous-régionaux.
44 Créée par le Traité du 8 décembre 1964, l’Union Douanière et Economique des Etats d’Afrique Centrale (UDEAC)
a officiellement pris fin par une décision des Chefs d’Etats de cette Organisation réunis à l’occasion de leur 33ème
Sommet (5 Février 1998). La Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) constituée du
Cameroun, de la Centrafrique, du Congo, du Gabon, de la Guinée Equatoriale et du Tchad en a pris le relais à l’issue
du Traité signé le 16 mars 1994 à N’djaména.
45 On note dans ce troisième principe de la Convention du 8 juillet 1965 une nette évolution par rapport au texte de la
Convention sur la haute mer de 1958 qui utilisait la formule conditionnelle « devraient » pour l’accès à la mer des
Etats enclavés. L’Article 3 de cette dernière Convention disposait en effet que « pour jouir des libertés de la mer à
l’égal des Etats riverains de la mer, les Etats dépourvus de littoral devraient accéder librement à la mer ».
46 Articles 1 (d) et 8 de la Convention du 8 juillet 1965 relative au commerce de transit des Etats sans littoral.
47 Articles 5 et 9, ibid.
48 Article 3, ibid.
49 Article 16, ibid.
50 Voir D. KAPPELER, « La Convention relative au commerce de transit des Etats sans littoral du 8 juillet 1965 » in
A.F.D.I. XIII, 1967, pp. 678 et 679.
51 Pour une contestation sur la valeur juridique des principes énoncés dans le Préambule de la Convention du 8 juillet
1965, voir J.H. MERRYMAN et E.D. ACKERMAN, International Law, Development and the transit trade of
landlocked States : the case of Bolivia, Hamburg, Institut für Auswärtige Politik in Hamburg, 1969. Ces deux auteurs
font noter que : It will be observed that the « principles » set out in the preamble are not intended to have the legal
effect of an international convention, but are « reaffirmed » without being given operative legal effect. They do not
even create « imperfect » rights.
What they do accomplish, as a legal matter, is unclear. Articles 1 to 16 however, are
clearly intended to have legal effect and constitute the furthest advance in the development of the international law
on the right of transit of landlocked States. (p. 47).
52 Affaire des droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc, C.I.J., Rec. 1952, pp.196-197 ;
Exceptions préliminaires sur l’Affaire du Sud-Ouest africain, Rec. 1962, pp. 330-331 ; deuxième phase de l’Affaire
du Sud-Ouest africain, Rec. 1966, p. 5.
53 N.Q. DINH, A. PELLET et P. DAILLIER, Droit International Public, 7ème édition, Paris, L.G.D.J, 2002, p.132.
54 C. ROUSSEAU, Droit International, tome 1, Paris, Sirey, 1970, p. 87.
55 Soulignons ici que le huitième principe in fine parle bien de dispositions alors que cette terminologie est
proprement réservée à la phraséologie qui forme le dispositif, le corps d’un instrument conventionnel.
56 Huitième principe de la Convention du 8 juillet 1965.
57 La notion « d’Etat géographiquement désavantagé » utilisée ici pour qualifier la situation d’enclavement du Tchad
et de la Centrafrique ne se confond toutefois pas avec la notion « d’Etat sans littoral ». Il est vrai, comme le note
Jean-François PULVENIS (« La notion d’Etat géographiquement désavantagé et le nouveau droit de la mer » in
A.F.D.I ; XXII, 1976), que « traditionnellement, cette place ”à l’écart” était celle des pays sans littoral. Mais
l’évolution actuelle du droit de la mer a suscité de nouvelles inégalités [et] s’est traduit[e] par l’apparition […] d’une
nouvelle catégorie dans la typologie des Etats : celle des pays que l’on qualifie de « graphiquement désavantagé » (p.
680). Il s’agit en général de pays côtiers qui se trouvent dans une situation géographique défavorable par rapport aux
autres riverains. Gilbert APPOLIS (L’emprise Maritime de l’Etat Côtier, Paris, A. Pedone , 1981, pp. 13 et 55) en
distingue plusieurs catégories : Etats côtiers avantagés, Etats côtiers moins ou peu avantagés, Etats côtiers
désavantagés. Cette dernière catégorie à laquelle appartient le Cameroun (voir les Documents de la Conférence des
Nations Unies sur le Droit de la mer , Doc.A/Conf.62/C. 2/L. 29. Vol. III. p. 243) regroupe les pays à plateau
continental enclavé, mais aussi des Etats riverains de mers très étroites.
58 N.Q. DINH, A. PELLET et P. DAILLIER, op. cit., p. 361.
59 Ibid.